Des voix derrière le murLes échos de voix de l’autre côté du mur s’étaient tus. Meraxès craignait que leur bref échange eût aussi été entendu. Les sons portaient et résonnaient dans ces salles souterraines avec une dérangeante limpidité et peut-être avaient-ils déjà été repérés.
Deirdre secouait la tête à ses suppositions, elle ignorait ce qu’était un gobelin. Meraxès ne sut si c’était une bonne chose, soit les gobelins n’existaient pas en Elysian, soit la jeune bansidhe ignorait réellement tout du monde… Elle disait d’ailleurs ne pas connaitre cette portion de la ville, dont il était dit qu’elle était hantée par les esprits des nains.
Les histoires de fantômes n’effrayaient guère l’elfe, beaucoup moins lorsque la possibilité de rencontrer une horde de peaux vertes avait autant de risque d’arriver. Il s’approcha encore un peu plus d’elle, jusqu’à souffler sur sa nuque, tout en restant alerte sur les alentours.
« Les gobelins sont des parents des garzokes, des peaux vertes, plus stupides et brutaux encore. Ils vivent généralement sous terre, en colonies, où ils s’y reproduisent de manière déraisonnable. Ils ne sèment pas, ils n’aiment personne et ils se contentent de prendre ce qu’ils ne peuvent pas produire eux-même. De ce fait, ils sont la hantise des nations naines et la vision d’un déclin aussi subit, d’une cité aussi puissante, n’augure rien de bon. Espérons seulement que mes craintes sont trompeuses. »
Il scruta ensuite l’obscurité au-delà de la lueur de la torche, se demandant ce qui pouvait bien attendre dans l’ombre.
« Il serait plus prudent d’éteindre notre lumière. Autant hurler que nous sommes ici, cela reviendrait au même. D’autant que pour tirer à l’arc, une seule main libre ne suffira pas. Tiens-toi prête, si quelque chose surgit de l’ombre, ferme momentanément les yeux que je réplique avec un sort d’aveuglement, tu auras ensuite des cibles faciles. »
Deirdre acquiesça d’un signe de tête et posa la torche sur le sol. Ils l’étouffèrent à tâtons sous leurs semelles. Une fois éteinte, les ténèbres se refermèrent sur eux. Les yeux de l’elfe mirent quelque temps à s’habituer à l’obscurité, presque totale, mais il parvint à se repérer. Restait ce « presque », qu’il ne parvenait pas à s’expliquer.
Ils avancèrent le long de la paroi sur quelques mètres, lorsqu’une lumière vacillante leur parvint. Elle sortait timidement du mur, en un faisceau, et sa teinte orangée sous-entendait la présence d’un feu. Cela n’avait rien de surprenant, la lave irriguait une majeure partie de la cité, mais cela valait le coup de s’y attarder, car elle donnait justement sur l’endroit supposé où étaient parvenus les voix. Une brèche profonde, aussi large que le mur, mais trop étroite pour s’y insérer, donnait sur l’autre côté. Meraxès y plongea le regard pour découvrir avec stupéfaction des silhouettes sur leurs gardes. Leurs armes étaient sorties du fourreau, ou s’y apprêtaient, en scintillant distinctement. Il reconnut alors la morphologie des elfes.
« Ce sont des elfes… » chuchota-t-il.
Ils regardaient majoritairement dans leur direction, signe qu’ils avaient eux aussi entendu quelque chose.
« …et je crois qu’ils nous ont aussi entendus. Oh, mais attend ! »
Il ne put contenir sa surprise, si bien que son intonation parvint, incompréhensiblement, mais parvint quand même, jusqu’à l’autre côté. Au centre du groupe d’elfe aux aguets, un personnage ne lui était pas inconnu : Kalas se tenait parmi eux.
Il se détourna pour s’appuyer dos au mur, en adressant un regard à Deirdre qui l’observait avec interrogation.
« Je reconnais l’un d’eux. C’est Kalas, l’homme-loup, qui vient aussi de monde. Je n’ai pas voyagé longtemps avec lui, mais je suis catégorique. Je pense que nous n’avons rien à craindre. C’est un homme bon. »
Il se remémora alors le dernier souvenir qu’il avait de lui, lorsqu’il avait chuté dans le ravin et qu’avec une ultime tentative, l’homme loup avait dressé un pont de pierre pour tenter de le retenir. La tentative avait été vaine, vraiment futile, mais Meraxès eût put esquisser un dernier sourire avant de disparaître dans l’abîme. Pour cela, il lui devait au moins reconnaissance.
« Ce sont des alliés, nous pouvons nous manifester. »
Il hésita cependant un instant. Il était venu dans ce pays pour rencontrer les elfes, mais une fois le moment venu, une appréhension le gagna. Il allait enfin rencontrer un peuple, certes ce n’était pas le peuple, mais de ceux qui l’avaient abandonné lorsqu’il était nourrisson… et qui avaient fait de lui un orphelin. Il avait développé une rancune envers ses semblables, plus grande encore qu’envers toutes les autres peuplades. Il avait grandi parmi les hommes et il les méprisait pour leur insignifiance, il rebutait les nains pour leur soif absurde de richesse et les peaux vertes pour leur stupidité commune et très largement admise (quoiqu’il affectionnait leur propension à la violence et au chaos), mais les elfes… eux, ceux qui l’avaient rejeté, il leur vouait une haine particulière. Toute son existence était vouée à les exécrer.
Il ravala cependant son affectation, ce dégout profond, qui était en réalité une peur viscérale de se retrouver en présence de ses congénères, pour reprendre un peu de contenance. Il se concentra sur ses fluides et progressivement, il s’entoura d’un muutos de lumière aux fluctuations harmonieuses. Il eut une brève pensée pour son compagnon Tartuffe, en se surprenant de l’avoir déjà oublié, mais avec davantage de regret pour ne pas avoir pu mettre la main sur son pendentif, que pour sa mort.
(Voyons voir ce que Kalas vient faire dans un endroit aussi inhospitalier.)
Il se plaça alors devant la brèche, de manière à être vu, mais aussi à propager sa lumière de l’autre côté, pour enfin prendre la parole, cette fois-ci d’une voix haute, grave et pourtant chaleureuse.
« Un loup se serait-il perdu dans les profondeurs de la terre ? Qu’est-ce qui t’amènes ici, dans la cité de Rthranon, mon bon Kalas ? En tout cas je constate que tu as bien rencontré les elfes et je suis heureux de te savoir toujours en vie ; la lutine paraissait fort peu commode. »
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