La Petite prit un air réprobateur en ignorant bien ostentatoirement la révérence de Faëlis. Qu'avait-il donc à se pencher de la sorte ? Keynthara ne comprenait pas toujours tous les codes sociaux de ce monde, elle qui n'avait été durant longtemps qu'une souillonne.

"Tes questions sont intéressantes c'est vrai, nous verrons donc bien après, mais, gros nigaud, si je t'ai poussé vers la porte là, c'est que c'était celle que je voulais prendre !"

Elle pointa du doigt la porte Sud, devant laquelle ils se tenaient tous les deux, dos à l'endroit où Jack venait de disparaître quelques instants auparavant.

"En avant toute !", déclara-t-elle fièrement sans relever la réaction du blondinet, car elle avait retrouvé son aplomb. Elle avait cette capacité spéciale de naviguer d'une émotion à l'autre en l'espace de quelques secondes et dans de telles situations, ses sauts d'humeur contrastaient d'autant plus...

Elle insista pour prendre la porte vers laquelle elle l'avait poussé. En grimaçant devant son langage commun, le jeune elfe suivit les instructions. Ce n'était certainement pas le moment d'enseigner le savoir vivre à cette mignonne petit créature.

« Hé bien, soit, allons-y... haut les cœurs ! » déclara-t-il en ouvrant la porte.

Keynthara eut à peine le temps de réagir face à cette nouvelle rencontre avec Dolly. Cette dernière n’avait pas daigné leur expliquer ses intentions jusqu’au moment où la prêtresse fut aspirée et projetée avec violence contre le mur du fond. La sensation en traversant le corps évanescent de l’Aniathy défunte fut des plus agréables, mais ce ne fut rien face au choc qu’elle subit ensuite.

Un bourreau était apparu dans la salle pour malmener la pauvre Keynthara prise au piège et paniquée. Elle se débattait en tous sens et ne tarda pas à donner satisfaction à Dolly en hurlant et en appelant au secours, comme elle l’avait fait déjà auparavant avec Jack.

En repensant à ce dernier, elle se rappela qu’elle leur avait promis d’être forte, alors, elle se ravisa.

« Non, Faëlis, non, j’ai rien dit ! Ne leur donne pas ce qu’ils veulent ! Car ils ne le veulent pas ! Souviens-toi ce que je t’ai dis, ils veulent que nous leur prouvions qu’on est fort. Ce n’est qu’une illusion, un moment à passer, c’est tout… », lui ordonna-t-elle, alors qu’un nouveau coup venait cette fois-ci lui lacérer la chair de la cuisse, lui arrachant un nouveau cri de douleur.

« Je ne suis pas en détresse, alors ça n’a rien à te faire… », continua-t-elle, cette fois-ci en gémissant, alors que sa plaie était béante et que sa jolie robe avait été déchirée. Nul sang ne coulait, seulement une sorte de vapeur magique qui s’échappait dans les airs.

À peine étaient-ils passés qu'une force figea les pieds de Faëlis au sol. Keynthara fut projeté à travers la pièce et plaquée contre un mur. Dolly apparut pour narguer le jeune homme tandis que, sous ses yeux impuissants, un cruel bourreau apparut devant l'aniathy crucifiée.

« Qu'est-ce que ça fait d'être impuissant face à la douleur d'une jeune femme en détresse ? »

Ce que ça faisait ? Il était bouleversé, horrifié devant ce nouveau stratagème cruel de Dolly. Il tira frénétiquement sur ses pieds pour se dégager, mais sans succès.

Le fouet claqua et la poupée hurla. Une étrange fumée magique coulait de ses blessures. Malgré tout, faisant preuve d'un courage incroyable, elle exhorta le jeune elfe à ne pas céder à la panique et à montrer à la fantôme qu'il était fort.
Furieux, il ramassa son arc et encocha une flèche.

« Ce que ça fait ? Je vais te montrer ce que ça fait espèce de... »

Mais les paroles de Keynthara entrèrent finalement dans son crâne et il hésita. Il tremblait de terreur et de colère, mais elle avait raison, il devait être fort. Ignorant la scène atroce, il plongea le regard dans les yeux de la poupée rouge et il lui sembla comprendre ce qu'on attendait de lui. Il demanda :

« À quelle mort as-tu assisté impuissante, Dolly ? »

Ses mains tremblaient, l'arc bandé prêt à lâcher sa flèche sur le bourreau, visant ce qu'il espérait être une faille dans les lourdes protections de l'homme. Si un autre coup tombait, il tirerait.

Le fantôme sembla bouleversé. L'illusion se dissipa et Faëlis se précipita pour prendre Keynthara par les épaules.

« Voilà, c'est fini... Tout va bien ? »

Mais son attention fut détournée par Dolly qui murmurait qu'elle n'avait rien pu faire pour empêcher sa propre mort. Le jeune elfe avait de la peine à imaginer à quel point cela avait dû être horrible. Mais, hélas, il était trop tard. Et il fallait qu'il comprenne ce qui s'était passé :

« Allons, Dolly... Je sais que tu as été brûlée, mais pourquoi ? Qui a osé faire ça ? »

Se rappelant les tableaux qu'il avait vu, il précisa :

« Peux-tu me dire son nom ? »

Keynthara se détacha prestement du mur, alors qu'elle serrait très fort ses poings et sa mâchoire, prête à encaisser le coup suivant. Rien ne se produisit, et elle vit Faelis se précipitait vers elle, alors que l'illusion du bourreau se discipait aussi vite qu'elle était apparue.

L'Aniathy vivante ne cria pourtant pas sa joie d'être libérée et ne manifesta pas d'intérêt pour Faëlis qui s'était pourtant volontiers porté à son secours, égoïstement, observant attentivement le comportement de Dolly qui en disait long sur les émotions qu'elle ressentait. Ainsi, les fantômes étaient capables d'émotions profondes...

"N'y aurait-il pas un moyen de vous venger ? Enfermés dans ce manoir, ça vous est tout bonnement impossible. Un fantôme, normalement, ça reste ici parce qu'il veut se venger pour trouver le repos... Et moi si j'étais vous je chercherais clairement à me faire justice moi-même..."

Cette réflexion se fondait sur les racontards des légendes entourant les spectres et Keynthara ignorait s'ils avaient le moindre fondement.

"Pour le moment j'ai vraiment l'impression que vous perdez votre temps à faire souffrir des innocents plutôt qu'à rendre la monnaie de leur pièce aux gens qui vous ont fait du tort..."

La poupée rouge hésita. Keynthara, qui se fichait comme d'une guigne de ses attentions malgré une épreuve normalement éprouvante, sans doute fallait-il mettre ça sur le compte de sa non-humanité, demanda pourquoi l'autre ne s'était pas vengée.

« C'est ma famille qui m'a brûlé sur ordre de mon frère. » répondit finalement Dolly.

Elle ajouta que c'était finalement le temps qui l'avait vengé. Sans doute fallait-il comprendre par là que ces événements étaient très anciens. Pourtant, la douleur était toujours visible dans ses yeux. Hélas ses réponses soulevaient plus de questions qu'autre chose, et l'elfe se sentait fatigué de tout cela. Profitant qu'elle n'ai pas encore disparue, il demanda rapidement, sans lâcher Keynthara :

« Ton frère ? Qu'est-ce qu'un frère pour une aniathy ? Et pourquoi voulait-il te tuer ? »

En apprenant la mort atroce de Dolly, Keynthara se plaqua les mains sur les yeux, comme pour masquer à son esprit les horreurs que ce dernier se faisait voir à lui-même. Elle ne fut pourtant pas épargnée et secoua vivement la tête pour en extraire définitivement les images.

Pour préserver son équilibre mental, elle tenta donc de concentrer son attention sur ce que demandait Faelis, avant de s'en remettre à un pragmatisme beaucoup plus rassurant :

"C'est vraiment terrib', affreux, cette mort, mais dit moi, pisqueuh tu nous as dit quelle était cette injustice qui a causé ta mort : ton frère qui t'a tuée, je vois pas dans quelle direction rechercher l'injustice, j'aurais cru que c'était ça la réponse... Je suis un peu perdue à vrai dire, je vois plus dans quel sens chercher..."

Songeuse, elle fit le tour de Dolly en fronçant les sourcils, la main sur le menton, en proie à une profonde réflexion intellectuelle qui se recentrée sur leur problématique ici, qui lui permettait de s'extraire des affres de ses émotions.

Keynthara y alla de son commentaire compatissant, et Dolly sembla bien vite débordée sous les questions. Elle s'énerva, affirmant qu'il s'agissait d'un frère adoptif qui l'avait tué sans raison. Dans un esprit d'apaisement, Faëlis leva les mains devant lui et déclara :

« Ce me semble grande injustice en effet. Mais s'agit-il de celle que nous devons trouver ? Cela est-il suffisant ? Je me pose les questions à moi-même, mais ne te demande point d'y répondre, car il me semble que ce serait grand danger pour toi, de trop nous en dire. Peut-être devrions-nous mettre fin à cette rencontre, et terminer la prochaine fois que nous aurons le plaisir de te revoir. »

Il s'efforça de mettre de l'enthousiasme dans le mot « plaisir », malgré les épreuves toujours plus atroces qu'il avait enduré avec cette poupée capricieuse. Gaïa savait qu'elle avait raison d'être en colère, mais il trouvait néanmoins tout cela par trop cruel.

La Petite continuait de tourner en rond en s'interrogeant, alors que Faëlis se proposait de passer à la suite.

"Tu es maso ?!", s'exclama Keynthara, en n'en croyant pas ses oreilles artificielles. Elle était plutôt contente que Dolly réponde à leurs questions, et d'ailleurs, attendait toujours la réponse à la sienne, qui rejoignait tout de même celle du blondinet.

"Oui, comme je viens de le dire, j'ai moi aussi du mal à comprendre dans quelle direction poursuivre les questions puisque on a l'impression que l'injustice tu viens de nous la dire. Ou alors, il faut trouver pourquoi ton frère a voulu injustement te tuer ?"

Elle suivit Faëlis en direction de la porte suivante sans quitter du regard Dolly.