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Depheline ne put s’empêcher de pouffer en voyant son compagnon ainsi désemparé. Il semblait hautement perturbé, signe que la tentative de la demoiselle s’était soldée par une éclatante victoire. Il n’était donc pas aussi insensible que ce qu’il voulait le faire croire, ce curieux personnage plein de surprise.
La jeune femme se savait belle et séduisante, pourtant, elle n’avait pas eu beaucoup d’occasion d’user de ses charmes. Sa vie d’avant, quittée la nuit dernière, se résumait en trois mots : isolement, vol et angoisse. Rien de bien vertueux, finalement, et c’était la raison pour laquelle elle se portait plutôt bien après la mort et la disparition de ses deux acolytes d’antan. Le choc de la nouveauté passé, elle avait bien vite compris que son avenir n’aurait été qu’incertitude et tristesse si Serpent n’avait pas débarqué dans sa vie pour lui donner une toute autre saveur. En fait, c’était un peu comme si elle avait attendu cette renaissance toute son existence.
Lorsqu’il retira sa main pour briser ce tendre contact, Depheline poussa un long soupire de détente. Elle se sentait si bien dans sa peau, sa tête, ainsi que dans son corps, que sur le coup, elle ne comprit même pas les allusions maladroites et sans doute involontaire du voleur désarçonné. Il était un homme, faible dans sa nature, mais touchant en son naturel. Ce n’était pas le genre de chose que la jeune femme avait tendance à condamner et lorsqu’elle percuta le sens caché de ses propos, elle ne put que s’empourprer d’un tel intérêt. Voici qu’elle s’était retrouvée, en l’espace de quelques instants, de chasseuse à proie fuyante.
Jetant un coup d’œil aux nouveaux arrivants de la table d’à côté, elle fut à son tour fortement soulagée par cette venue impromptue, le repas une fois terminé.
« C’est un Lutin voyons ! », murmura-t-elle l’air outrée par ce manque de culture de la part de Serpent, semblant pourtant si noble et distingué dans son allure. Pour sûr que l’on en croisait très peu à Dahràm, des lutins, mais enfin, ça n’était pas une raison suffisante pour s’en étonner ainsi.
D'ailleurs, tout laissait à penser que ce petit être n’était pas d’ici. Ses vêtements, bien en ordre et hauts en couleurs, ne pouvaient venir d’une boutique de la ville, où tout était teinté de pauvreté et de misère. Ici, personne ne gaspillait ses sous pour s’acheter des vêtements voyants qui aurait été la signature de son propre arrêt de mort. Et puis, son allure assurée ne jouait pas non plus en sa faveur. Elle ne pouvait qu’être garante d’ennuis de taille, ici. D’ailleurs, un nouveau problème se pointait déjà à l’horizon, avec la venue de l’aubergiste peu satisfait de ses nouveaux clients.
Le ton monta très vite et Depheline jugea bon de ne pas trop être insistante du regard. Elle s’était donc rabattue sur son assiette de mouton qui avait du mal à descendre, parce que la viande était bien trop filamenteuse. Dans cette miséreuse cité, avoir de la viande dans son assiette était déjà un luxe, alors il ne fallait pas être trop exigent. L’oreille de la jeune femme n’en était pas moins dressée et elle ne manqua pas d’une miette la conversation mouvementée.
« Une squiamoise ? Hm… peut-être une chatte, tu sais, c’est une race de chat, les squiamois, très vicieux il parait, le genre de bête que les vieilles sorcières aiment à avoir sur leurs épaules en jetant des mauvais sorts ! »
Elle fit quelques signes dans les airs en guise d’illustration avant de reporter son attention sur le petit personnage accompagné de son animal. Une brise soudaine avait balayé la table des deux acolytes et un nouveau personnage étrange était maintenant aux côtés du lutin. Il fallut quelques bonnes secondes pour réaliser que ce qu’elle voyait n’était autre qu’une créature magique d’air, invoquée. Pantoise, elle eut d’abord l’air un peu abrutie, avant de se reprendre pour ne pas perdre la face. Il s’agissait là d’une manifestation de magie et Depheline devait se contenir pour donner l’impression à Serpent que cette situation était pour elle d’une banalité extrême.
« Bien quoi, t’as encore beaucoup de choses à apprendre dans le domaine de la magie, mon pauvre ! Retiens bien qu’avec elle, point besoin de savoir manier les mots avec brio, ni de sortir les griffes dès la première contrariété : la seule démonstration de son existence suffit souvent à faire taire les impertinents ! »
Oui, elle voulait être l’experte en magie qui savait donner des leçons et il fallait dire qu’elle prenait son rôle très au sérieux. Il n’y avait, après tout, pas de raison que Serpent soit le maître de ce duo surprenant. Elle se devait de lui apporter quelques choses d’autres que sa seule charge, car elle n’aurait pas supporté de n’être utile à rien.
« N’empêche qu’il faut se méfier des lutins, il paraît, car ils aiment bien embêter les gens. », lui annonça-t-elle fièrement et sans grande discrétion, en guise de seconde couche de confiture narcissique à étaler. La magie était à présent son domaine et elle comptait bien que cela perdure.
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