D'abord interdit à cause du corps partageant sa couche, l'elfe finit par me jeter un regard où se lit une forme de rébellion. Mais il sait que pour appuyer son attitude, il lui manque ses affaires. Il demeure donc assis et ferme respectueusement les yeux de la femelle. Aucune trace de panique dans son geste, juste un sérieux traduisant qu'il a compris que j'arriverai à mes fins, quel que soit l'obstacle. Nos regards se rivent l'un à l'autre une poignée d'instants, et je ne flanche pas. Il me sonde, comme pour trouver quelque chose mais qui n'existe pas.
"
Assassin.", accuse-t-il d'un ton crispé.
"
Esclavagiste.", réplique-je froidement.
"
Je suis mercenaire.", se défend-il. "
Si mon contrat inclut d'attraper quelqu'un contre de l'argent, je le fais."
"
Joue pas sur les mots. M'en contrefous. Je n'ai besoin que de tes infos."
L'elfe a l'air encore plus confus maintenant. Sa tactique du "c'était les ordres" ne fonctionne pas avec moi. J'ai donc toute son attention. Il tente tout de même de se donner de l'aplomb en voulant me tenir tête.
"
Les renseignements ont aussi une valeur. En or, généralement.", me fait-il.
"
Pfff ! Ha ! Hahaha ! Ha...", ris-je amèrement et brièvement avant de retrouver ma froideur et mon sérieux. "
Toi aussi, tu te crois en position de négocier ? Tu ne serais pas le premier. Et tes prédécesseurs ont maintenant beaucoup de mal à marcher."
Là encore, l'hinïon sonde mon expression. Je ne bluffe pas. Justinien m'a donné ces informations parce que ma dague-croc dansait allègrement dans sa chair. S'il me faut délier la langue de cet énergumène de manière identique, je le ferai. Le seul souci est que cela me retarderait, et que le faire crier pourrait alerter les imbéciles enivrés en bas.
"
Mais je sais me montrer compréhensif.", fais-je avec neutralité. "
Tant que tu ne me pousses pas à bout.", ajoute-je en inclinant la tête vers le cadavre encore chaud.
"
...Qu'est-ce que tu veux ?", finit par demander l'hinïon, réalisant qu'il est coincé, et sans doute résolu à coopérer.
"
Dae'ron.", lâche-je avec brutalité. "
Le mâle aldryde capturé en territoire kendrain par ton groupe, il y a quelques jours de cela."
L'elfe se fait silencieux, comme pesant quelque chose mentalement. Je crois deviner mais je patiente tout de même en le dardant d'un regard froid et sombre. Son expression s'alourdit. J'ai presque l'impression qu'il pense à quelqu'un en particulier et qu'il lui en veut beaucoup. Tant mieux. Moins il se contrôle, plus simple il sera à manipuler.
"
Je ne vois pas de qu...", commence-t-il.
"
N'essaie même pas.", l'interromps-je. "
Tout ton maintien te trahit. Parle. Plus vite tu l'auras fait, plus vite je te laisserai en... Charmante compagnie.", grince-je.
"
Et qu'est-ce que tu comptes faire si je te le dis ? "
"
Pas tes affaires.", réponds-je vivement.
"
Si.", fait-il avec aplomb. "
Cela concerne mon plus gros client."
"
Oh, on progresse.", souffle-je. "
Qui et où ?"
"
Minute. Jure-moi d'abord que tu ne t'en prendras pas à mon commanditaire. Il n'y est pour rien.", m'informe-t-il, défendant l'inconnu ou cherchant peut-être à gagner du temps.
"
Je veux récupérer l'aldryde.", avoue-je doucement en pensant au brun. "
Il n'aurait jamais du se trouver là...", m'entends-je dire avec une pointe de regret que je chasse d'un mouvement de bras. "
Je suis venu pour Dae'ron, rien d'autre.", déclare-je avec force et conviction.
Luovik demeure quelques instants à me regarder, semble penser à quelque chose, puis me sourit. J'ai comme une infime impression de danger en le voyant faire, sans parvenir à savoir pourquoi.
"
Soit. Si tu penses laisser mon client en vie, je ne vois pas où est le problème.", annonce-t-il tranquillement. "
L'aldryde a été livré au propriétaire d'un cabinet de curiosités. Un ynorien vivant avec son assistant, installés dans une résidence privée. Tu ne peux pas la rater. C'est le seul bâtiment qui ait une enceinte et un large portail, pas loin de la porte Est. Mais ne me demande pas plus...", ajoute-t-il en détournant inexplicablement le regard."
Je ne suis jamais allé plus loin que la cour."
"
Te voilà bien loquace.", commente-je avec une pointe de suspicion.
"
Eh ! Je suis un elfe d'affaires. Je sais encore discerner où je m'y retrouve le plus.", me fait-il avec une confiance renouvelée.
"
Si tu me mens, je reviendrai te rendre visite.", menace-je sans animosité.
"
Cela semble... Logique. Mais mentir n'est vraiment pas dans mon intérêt. Un commanditaire se remplace. Ma vie, pas vraiment.", me fait-il, reprenant contenance ou alors masquant son trouble avec habileté.
"
Bien raisonné.", conclus-je en avisant la fenêtre contre laquelle la pluie cogne durement.
Alors que je m'y déplace, une part de moi s'agite, perplexe. J'ai ce que je suis venu chercher, mais une voix difficile à entendre gronde dans un coin de ma tête. Quelque chose comme un besoin non satisfait. Alors que je tente de dénouer mon ressenti, des coups brutaux sont frappés à la porte. La voix derrière s'excuse de déranger, mais est alarmée. La femelle aldryde en blanc a été retrouvée dans sa choppe, apparemment trop tard, et une fléchette entre les omoplates. Cela y est, je sais ce qui me chagrine.
Je m'empare de ma sarbacane pendant que l'attention de l'hinïon est détournée. Mon énergie combattive est sollicitée, et au moment où Luovik semble comprendre que je suis impliqué, un rictus me vient. Je n'en avais pas après lui tant qu'il détenait des informations. Mais j'avais oublié un détail. Il est le chef de cette troupe, a enfermé mon congénère dans une vulgaire souricière, et porte donc la responsabilité de tout ce que j'ai enduré pour arriver jusque-là. En bref, je le déteste.
Nos regards se croisent, mais il n'a pas le temps de faire autre chose qu'esquisser un bond vers ses équipements. L'une de mes fléchettes le percute en plein mouvement. Elle frappe sans retenue à l'épaule, lui tirant un bref glapissement douloureux. Ma puissance martiale est telle qu'il bascule sous l'impact et tombe du lit tête la première. La pièce étant étroite, il heurte violemment un meuble bas. Quand je vole au-dessus de lui sans me presser, je le découvre étourdi, luttant pour ne pas perdre connaissance, mais bien en vie. Une poussée de haine me vient, et je cherche quelque chose à lui lâcher à la figure, quand mes yeux remarquent l'ocarina. Une idée cruelle, parfaite pour une punition mémorable, me vient. Agrippant ma dague, je me laisse descendre au niveau de sa main directrice.
Sans ménagement, j'épingle sa paluche au sol et plonge résolument le croc dedans. J'aurais pu lui couper la langue à ce ménestrel, mais je me contente des liens vivants lui permettant de se servir de sa sale patte. Son bras tressaille à chaque impact, mais il n'émet pas un son. Sous le choc, sans doute. Je n'ai pas touché aux gros vaisseaux, mais une flaque rouge se forme quand même, maculant mes bottes. Le tambourinement à la porte se renforce, bientôt accompagné d'inquiétude vocale, alors que je retire ma lame sanglante de sa chair.
"
Un conseil.", lui dis-je en m'approchant de son oreille pointue, sans savoir s'il est conscient ou pas. "
Restez tous hors de ma route car ma clémence a ses limites."
Mes armes rangées, je vole vers la fenêtre et l'ouvre sans ménagement. À peine assez large pour mon envergure, le battant vitré est brutalement repoussé par une bourrasque. La vitesse est suffisante pour que la matière remplissant le quadrillage métallique se brise en partie à l'impact. Glacée, l'eau que je me prends dans la figure ne me calme pas. Je plonge à l'extérieur alors que mes spirales m'apprennent que la porte est enfoncée.
Je sais maintenant où me rendre mais je ne parviens pas à chasser une pointe d'appréhension. Quelque chose dans ce qu'il m'a dit cloche. Mon instinct en est persuadé, mais j'ai du mal à voir quoi.