Lorsque Hawke ouvre la porte, les gémissements prennent une toute autre dimension, loin de ce qu'elle avait imaginé trouver. Sans obstacles autre que les jambes de l'elfe gris entre lesquelles elle distingue maintenant une silhouette, le son s'abat sur ses craintes, effaçant la vision d'un enfant seul, blessé ou apeuré ; pour ne laisser que les gémissements d'un être à bout de souffle et à bout de force, un rauque de profonde douleur et d'une peur capable de devenir palpable.
Et pour cause.
La silhouette au sol est un homme à la peau d'un gris bien plus foncé que ceux de la race de Maâra, mais d'un noir bien moins intense que celle de Caabon. Un shaakt, l'un de ceux ayant réussi à survivre dans cette région où rien ne pousse, où tout est destiné à mourir avant de grandir. Un shaakt qui né ici, dans cette région, proche d'où sont entassés les pires criminels et les renégats de la société Sindeldi , sait ce que veut dire être traqué … mais dans les yeux de celui-ci, on se rend compte qu'être la proie de quelques elfes gris, même par dizaines, ne mérite pas le nom de traque, ni celui de peur.
Acculé, meurtri, terrorisé, il n'est pas seulement la proie d'animaux devenus fous à un point inimaginable de la faute d'un seul monstre ; il est aussi leur jouet, leur objet de défi, celui par lequel ils se jugent l'un l'autre, blessant tour à tour leur proie sans lui donner le coup de grâce. Il est au seuil d'une mort longue et douloureuse, comme aucun autre être, en dehors de leur Dieu et de beaucoup d'entre eux, ne saurait apporter.
A travers l'espace des jambes de Hawke, ce n'est pas seulement le corps qu'elle voit, mais le bout de deux gueules, les crocs sortis et les babines férocement relevées, à droite et à gauche de la proie. Le reste des corps des Silnogures de chaque côté est caché par les jambes de l'elfe ; mais pas celui qui lui fait face.
Au fond de la pièce, dos à la porte donnant sur le désert, se trouve un être tout aussi féroce, déformé, sale, abîmé par les expériences et tortures d'un barbare. Mais son pelage, même parcimonieux et maculé de sang et de sable, sombre et presque noir, ni long ni court, ni doux ni dru ; ses proportions et certains parties encore relativement charnues de son anatomie ne laisse aucune part de doute aux yeux de Maâra.
Des yeux devenus humides malgré elle.
"Les elfes attendent toujours trop longtemps pour vivre leurs envies", se dit-elle en regardant ce qui reste du Morëlartëa. Pourquoi croient-ils que de vivre mille ans les autorisent de remettre au lendemain leurs désirs et se gausser de ceux qui vivent vite … ((Ai-je moi aussi finis par croire que le destin allait attendre que je me décide à aller à leur rencontre ?)) Elle le savait pourtant, qu'il y en avait un dans ces cages ; elle a encore la touffe de poil noir dans la poche, ainsi que ceux plus courts et ambrés d'un Lothlartëa, dont elle a croisé le chemin de l'un d'eux lors de ses années de passage, avec qui elle a partagé tant … dont la promesse d'un jour, traverser l'océan et trouver l'un de ceux de son mois de naissance. Ceux dont elle donna le nom à son Faera.
Mais savoir et voir est très différent.
Un autre gémissement finit par sortir Maâra de sa stupeur qui, à tout compter, n'a duré qu'une seconde.
Charlène est montée aussi sur les premières marches et a elle aussi été témoin de la scène. De l'homme et des animaux devenus des monstres.
Sans-desseins, elle dévale les marches d'escalier vers la petite et la suit, la rattrapant au niveau de l'intersection.
- Viens, dit-elle en lui montrant d'un geste la petite cavité où elle s'était déjà installée avec Fenouil. L'endroit où Maâra leur avait demandé de se cacher, le temps qu'elle explore le tunnel et l'escalier, ne s'est pas écroulé. Elle commence à ramasser des pierres de bonnes tailles et à les mettre devant l'ouverture pendant qu'elle parle à Charlène à mi-voix.
Il faut te mettre à l'abri, c'est trop dangereux d'essayer de t'approcher des portes pour fuir vers Fenouil.
Elle sort ensuite de son sac la corde empruntée à Caabon et le reste de sa vieille robe d'apprenti qui ne sert pas à emballer ses denrées. Je te couvre avec ça, cachée derrière les pierres …. C'est d'accord ? Demande-t-elle en lui tendant la main pour la porter au dessus des pierres.
T'en fais pas, on s'en sortira … et eux aussi !
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