En réponse à mes mots, l’elfe grise qui se présente sous le nom de Maâra, prouve qu’elle a plus de jasette que les aventuriers l’accompagnant, puisqu’elle révèle enfin leurs propres découvertes. Elle me révèle, particulièrement, que leur expérience des portes a été peu fiable, puisque depuis le début de l’aventure, elle cherche avec mon frère à me suivre dans les portes que j’ai empruntées, en vain… et qu’il s’est lui-même perdu dans le passage de l’une d’elles. Elle a donc plus de nouvelle de Sihlaar que je n’en ai moi-même. Mon frère s’est sans doute débrouillé pour se trouver une autre donzelle à suivre pour se démerder. C’est son genre, il a la tchatche et le charisme. Il n’est pas imprudent : il aura trouvé de quoi se mettre à l’abri, peut-être même farfouillant de ses yeux habitués à la lecture les nombreux volumes de la bibliothèque. Je n’ai pas à me soucier de lui, mais bien de tout le reste : la prophétie, les Silnogures, et les paroles de cette elfe grise volubile, qui nous apprend par la suite qu’ils ont appris que dix espèces de Silnogures ont été profanées, correspondant aux dix chaînes dont j’ai parlé dans la prophétie.
Et apparemment, nous sommes dans un lieu fort lié à ces expériences, puisque des cages contenant touffes de fourrures et poils de ces mythiques animaux du Naora gisent, vidées de tout contenu, dans les pièces voisines, si j’en crois ses dires.
Une des enfants présente, une petite elfe grise, a été précédemment envoyée ici pour, comme nous, sauver l’espèce en danger, mais elle a des problèmes pour recouvrer la mémoire, et a apparemment à peine évoqué leurs cris, et la présence d’un homme, disparu depuis lors. Un homme, une dame grise… des elfes noirs, un gobelin et des enfants. Voilà un curieux décor gravitant autour de ces curieux animaux dégénérés. Mais rien ne m’émeut plus que d’apprendre la présence d’un silnogure bien vivant, juste à côté, en compagnie d’un autre aventurier de leur petite compagnie. Elle émet l’hypothèse d’un lien entre le gobelin Fenouil et ledit Silnogure. Bien ! Ça colle avec nos propres conclusions, et ça nous évite de chercher à qui celui-là sera rattaché.
Le gobelin, d’ailleurs, ne tarde pas à se porter mieux, aidé par les soins d’une petite dont j’ai déjà oublié le nom. Il y a trop d’enfants tout autour. Vivement qu’on les abandonne avec leur paire silnogure dans la salle du rituel.
Un autre gamin prend la parole pour répondre à l’elfe grise concernant son inquiétude pour l’utilisation des portes, précisant que pour rejoindre la salle, il leur suffira de penser à Fabiolo qui y est retourné. Pour des lieux géographiques, ce n’est pas très précis, pour des personnes aléatoires, c’est carrément hasardeux, mais entre eux, les enfants semblent pouvoir aisément se joindre. C’est une bonne chose. Au moins nous avons fini par comprendre un mécanisme complexe de ce qui nous était caché au départ. Ça facilitera les choses.
Je pose le regard sur Aliéron, qui narre à la sindel le souci libérateur que nous avons eu avec l’une des deux jumelles, qui une fois dans la salle en présence de son silnogure associé, n’a plus pu en sortir. Mes yeux se trouvent un peu insistants sur ses lèvres sèches et peu charnues qui remuent pour évoquer la potentialité de rapatrier Fenouil et son double spirituel animal dans la salle, au risque de les retrouver bloqués dedans. Mais les lèvres sont plus attirantes, irrésistiblement, que son discours, dont je partage pourtant le contenu. Irrésistibles, oui. Comme si un instant, je pourrais y rester suspendue, effaçant tout autour pour ne garder qu’elles, que lui. Sans le vouloir, je m’approche de lui, à quelques pas, comme hypnotisée, avant de… reprendre conscience. Subitement.
« Que… »
Qu’est-ce qui me prend, encore ? Quel nouveau sortilège ce bel étranger a-t-il lancé sur moi pour me faire sortir ainsi de la conversation. Oh je n’ai jamais eu une grande concentration, délaissant les longs discours pour observer le vol chaotique d’un papillon, ou épier les pas feutrés d’un renard curieux de la civilisation voisine à son antre. Mais là, ce n’est ni un papillon, ni un renard. Ni même une feuille d’arbre se laissant porter par une brise printanière sous le couvert de ses pères les arbres. Je me sens bête, et j’en ai l’air, ayant ainsi avancé sans but vers lui, et le regardant maintenant avec un air éberlué qui se mue vite en moue mêlant surprise et mécontentement.
« Hum… »
Éloquent, une fois de plus. Je dois reprendre contenance, préserver une image plus ou moins saine auprès de ces aventuriers qui nous entourent. Plus ou moins, quoi, moi qui suis généralement déjà impulsive, maladroite et caractérielle. Têtue, même, diraient certains. Versatile, soupe-au-lait, tout ça… Inutile de me rajouter d’autres tares face à des étrangers dont je ne connais que peu. Voire quasiment rien. Rien, en vérité, pour beaucoup d’entre eux, même ceux qui m’accompagnent depuis le début de cette aventure étrange. Alors, je prends la parole, d’un ton assuré, pour marquer mon accord aux propos de mon confrère aux yeux magiques.
« Oui, nous devrions rapatrier Fenouil et le Silnogure dans la salle du Rituel sans tarder. Ils sont affaiblis, et c’est là qu’ils seront le plus en sécurité d’ici la fin de tout ça. »
Ma question posée précédemment, je me dois de la répéter, puisqu’elle n’a trouvé aucun écho parmi les aventuriers, et que Fenouil est désormais sur pied. Je tends la main vers lui comme pour l’aider à se mouvoir.
« Allons-y. Tu sais aussi appeler à toi le pouvoir des portes, n’est-ce pas ? Et ce calice, en as-tu déjà entendu parler ? »
(952 mots)
_________________ Asterie
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