A la grande surprise de Caabon, c’est un des enfants qui réagit à la mort de l’homme ; il associe sans trop de peine la réaction du petit Phil à la découverte du médaillon placé dans le sac. Pas si muet que ça, finalement, cet enfant. Pas de place pour la surprise, c’est son cœur qui se serre en entendant les mots pleins de tristesse et de douleur de l’enfant, ainsi que ses sanglots. Pourtant, il ne s’arrête pas pour le réconforter. Martine s’en charge bien, et le jeune homme est soulagé de pouvoir encore compter sur l’intiative de cette dernière pour prendre en charge immédiatement la situation. Même s’il n’est pas directement concerné par cette mort, il ne feele pas en voyant la manière dont a réagi l’enfant. Cela lui rappelle trop le départ de la maison, la séparation avec son mentor. Si loin d’Oranan, sur un autre continent, il ne peut s’empêcher de se demander ce qu’il advient de l’homme, s’il est heureux malgré le départ de son pupille.
En continuant jusqu’au bout de la caverne, il parvient enfin à l’air libre. Cependant, il ne sort pas tout à fait, se contentant d’observer ce qui se passe en demeurant relativement à l’abri des regards, même s’il se sait faiblement dissimulé. Enfin il parvient à associer les grognements entendus de l’extérieur à un ensemble plus cohérent. C’étaient sans doute ces nombreux sinolgures qui les poussaient, et continuent de faire entendre leur rage et leur colère. Loin de se contenter de grogner, ils s’affrontent également, dans des corps à corps violents, à coups de griffes et de crocs.
(Quel courage il a dû falloir à cet homme pour s’enfoncer dans cette mêlée bestiale, et ramener l’une de ces bêtes !)
Tandis que son regard continue de balayer le désert devant lui, il aperçoit d’autres infortunées créatures, n’ayant rien à voir avec les fauves. Peut-être des animaux qui avaient tenté de fuir, de se mettre à l’abri – peut-être était-ce d’ailleurs la raison pour laquelle les oiseaux et les serpents s’étaient rués simultanément dans la grotte. Au milieu de ce déchainement de griffes et de crocs, il n’y a pas que des animaux blessés. Sur le sable clair se détache la silhouette allongée d’un humanoïde, probablement un shaakt, proie inconsciente que se disputent quatre sinolgures. Même à cette distance, il est évident qu’une de ses jambes est à moitié arrachée, et la flaque de sang qui se répand est sans équivoque quant à son état. Mû par un premier instinct, il s’apprête à quitter l’ombre pour porter secours au blessé. A un pas de se trouver au soleil brûlant, un éclair de raison l’arrête.
(Tant de bêtes… Et il me faudra ramener cet homme, le porter jusqu’ici, sans pouvoir me défendre… Risquer ma peau pour sauver la sienne, et puis quoi après, en admettant que je réussisse ? Si j’y parviens que ferons-nous de lui ? De ce que je vois de là, nous n’aurons pas les moyens de le soigner. Risquer la mort, des blessures, pour ramener un second cadavre ? Et peut-être saper encore plus le moral des petits ? Avec Jôs pour porter le blessé, nous pourrions augmenter nos chances… Mais doubler les risques… Qui protègerait alors les enfants ? Que se passera-t-il si, tandis que nous sauvons ce malheureux, un sinolgure se glisse dans la grotte ? Si me monstre à tentacules finit par entrer ?)
Quelques secondes s’écoulent encore tandis que le wotongoh cherche à trouver une solution à ce terrible dilemme. Il ne peut se résoudre à laisser ainsi mourir quelqu’un, déchiré par les crocs des bêtes. Mais n’a-t-il pas lui aussi pris des vies par le passé ? Tout cela lui semblait alors la bonne décision… La bonne décision est moins évidente ici.
(Phaïtos, permet lui d’avoir une mort douce, sans souffrance ; ne laisse pas son âme errer, tourmentée, en ce monde après son trépas.)
Il a pris sa décision. De ce sauvetage il se détournera, emportant avec lui le poids de cette décision, dont il ne compte pas faire part ni aux enfants, ni à Jôs, ni à personne. C’est un secret qu’il doit celer pour ne pas l’imposer à d’autres. La protection des enfants est une priorité, il s’est engagé à ramener Martine saine et sauve, et même s’il n’a rien exprimé de formel au sujet des autres, il se sent tout de même engagé ; ne serait-ce que parce que les autres adultes impliqués dans ces évènements sont partis de leur côté avec l’assurance qu’il se chargerait de cette tâche de protection. Comment réagiraient-ils s’il leur advenait de revenir et de ne trouver personne, ou, pire, des cadavres, des blessés ?
« Rana, aide-moi à prendre encore de bonnes décisions, à être sage en mes choix, et à bien mener mes actions, à être fidèle à ma parole. Un fidèle perdu en ce désert t’implore. »
La menace est claire, elle viendra de l’extérieur. Et l’aide également, peut-être. Aussi s’en retourne-t-il à l’abri, vers les enfants et leur autre gardien, vers cette curieuse rotonde où sont maintenant enchaînées des bêtes sauvages et menaçantes, réduites à l’impuissance, semblables à celles qui dehors poursuivent leur carnage.
(Mais celles-là, nous avons pu les maîtriser… Et peut-être devrons-nous les sauver…)
A son retour dans la grotte, l’enfant est encore en train de pleurer sur le cadavre de son père, et Martine à ses côté verse des larmes en silence. Jôs a réussi à s’équiper de la cotte de maille et brandit maintenant les deux épées ; ce seul changement d’équipement combiné à sa haute taille lui confère un aspect bien plus redoutable que par le passé. Caabon ignore de quoi il est capable au combat avec deux lames, mais parfois les brandir avec assez de force et de conviction, en veillant uniquement à ne pas se blesser soi ou toucher les siens, peut suffire. Puisque tout semble en ordre, et qu’aucun danger ne se présente, le jeune homme s’agenouille près de Phil, et pose sur son épaule une main dans un geste qu’il espère un tant soit peu consolateur. Il ne sait pas quoi dire, et a l’intime conviction qu’il n’est pas de mot à même d’apaiser le chagrin pour l’heure. Alors il laisse tomber le sac de son épaule et en tire le médaillon, qu’il tend à l’enfant.
« Tiens, c’est à toi maintenant. Garde-le, et souviens toi combien ton père était fort et courageux pour venir jusqu’ici. Je suis certain que son esprit est encore là, qu’il veille sur toi, et qu’il veille sur nous. »
(((Don du médaillon à l'enfant ; 1093 mots)))
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C'est par la sagesse qu'on bâtit une maison, par l'intelligence qu'on l'affermit ; par le savoir, on emplit ses greniers de tous les biens précieux et désirables. Proverbes, 24, 3-4
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