Les cliquetis des pas d’une créature courant sur les branches des arbres loin au-dessus de la tête de Lilie étaient couverts par son chant guilleret. Elle avait beau être attentive au balancement de la végétation et au message que ce dernier essayait de lui transmettre, elle semblait être fermée à tout le reste, et c’était bien inconscient de sa part. En effet, dans cette forêt ressemblant presque à une jungle, la naïveté pouvait être fatale…
La chose gagnait petit à petit du terrain, anticipant même le chemin que prenait Lilie lorsqu’elle l’eut devancée. Brusquement, elle s’élança alors dans les airs, se cramponnant de ses huit pattes au fil épais qu’elle déroulait sous elle, finissant sa course proche du visage de la rôdeuse qui sursauta sous le coup de la surprise.
« Oh, bonjour ma belle ! »Elle savait qu’elle avait à faire à une araignée, qui plus était géante, avec sa taille avoisinant les cinquante centimètres. Pourtant, rien dans son esprit ne semblait vouloir lui indiquer que de ce genre d’insecte de gros calibre, il fallait se méfier. Pour elle, il ne s’agissait que d’un beau petit animal velu aux couleurs irisées qui se balançait le long de son fil collant et qui avait voulu l’accueillir chaleureusement.
« Tu es trop mignonne, tu viens me dire un petit bonjour ? »Elle agitait ses pattes avant pour essayer d’effleurer le doux visage de l’elfe en signe de bienvenue, songeait-elle idiotement. On n’avait pas idée d’être aussi peu méfiant, mais pourtant, lorsqu’on ne savait plus grand-chose de ce qui était bon ou mauvais, il était bien évidemment difficile de prendre peur.
« Alors, qu’est ce que tu as à m’apprendre, toi ? Tu me montres ce que tu sais faire, à toi je ne peux pas parler, pas de magie pour nous permettre de communiquer ? Et qu’est-ce que c’est que ce beau fil, comment fais-tu ça ? »Tout en parlant, Lilie levait ses mains pour entrer en contact non pas avec la bête, mais avec le fil à laquelle elle était suspendue, se prenant les doigts dedans sans plus vraiment pouvoir s’en défaire. La substance semblait pouvoir s’étirer à l’infini, et l’araignée réagit alors au quart de tour, s’empressant de se servir du bras de la demoiselle peu vêtue comme d’une passerelle la menant directement à elle.
« Hey ! Mais tu veux bien me décoller au lieu de me grimper dessus ? En plus tu me chatouilles avec tes poils, oh, arrête de remuer tu m’en mets partout, mais, mais ! »Lilie se retrouvait doucement mais sûrement inondée de ce drôle de liquide durcissant au contact de l’air, et plus elle se débattait, plus l’araignée semblait redoubler d’effort pour l’entourer. La rôdeuse avait mis du temps pour se rendre compte qu’apparemment, la créature n’était pas venue en amie, mais il était manifestement trop tard pour pouvoir faire quoi que ce soit, passant de l’amusement à la panique en l’espace d’un instant. Elle avait bien essayé de se saisir de son poignard mais celui-ci était inatteignable du fait de la colle qui empêchait ses mains de descendre jusqu’à ses hanches.
Alors, son second réflexe fut d’essayer de s’enfuir en courant en s’ébrouant en tous sens, fonçant même contre les arbres pour essayer d’assommer la créature soudainement devenue malfaisante pour l’esprit de la naïve Lilie. Son cœur battait la chamade et elle était mue par une peur surnaturelle. Ses jambes finirent par être atteintes et bientôt elle ne put même plus courir, trébuchant sur une jeune racine qui sortait à peine de terre en s’empêtrant elle-même un peu plus encore dans la glu immonde et puante qui recouvrait maintenant presque totalement la surface de son corps. Seul son visage était encore dégagé, comme si la bête avait été sadique au point de lui permettre d’assister à la contemplation de sa propre mort, car c’était vraiment l’impression qu’avait la jeune femme.
« Pitié, ne me fait pas de mal… », murmura Lilie d’une voix étouffée comme elle avait le souffle coupé. Elle n’avait même pas la force de hurler, et pour quoi faire ? Il n’y avait personne alentour. Personne d’autre que des créatures peut-être pire encore. D’un monde merveilleux et bienfaisant dans lequel elle avait commencé à bien gentiment évoluer, elle s’était soudainement retrouvée plongée dans un enfer sans nom duquel elle se sentait incapable de s’extraire, et tout était devenu mauvais et dégoûtant sous le fait de cette maudite découverte qu’était réalité, cruelle et parfois injuste…
Mais l’araignée finit miraculeusement par s’éloigner, laissant son corps totalement emmailloté sans plus aucune surveillance pour bien vite disparaître dans le décor devenu à présent menaçant. Qu’est ce que tout ceci pouvait donc bien signifier ? Elle se retrouvait dépossédée de toute capacité de mouvement, collée au sol de végétaux sur lequel elle pouvait à peine ramper tel un pitoyable asticot, et la bête qui avait eu envie de la manger, à en croire la vivacité avec laquelle elle avait effectué sa besogne, avait finalement pris la poudre d’escampette. Etrange, mais bien réel.
Elle finit alors par retrouver espoir, s’imaginant que peut-être, tout n’était pas perdu et qu’elle avait eu là la première expérience risquée de sa longue existence. Pour une entrée en la matière, c’en était une sacrée.
Puisque la nature semblait maintenant avoir retourné sa veste, Lilie n’avait donc plus aucun choix que de se tourner vers sa divinité Yuimen, et surtout de prier pour qu’elle réussisse à s’extirper de ce cocon informe qui avait durci et qui était de moins en moins souple.
(Peut-être que dans une poignée de minutes, il sera devenu assez dur pour que je puisse le briser et déjouer le sort qui m’est réservé à l’intérieur de cette sale enveloppe !)L’insecte géant n’était malheureusement pas parti définitivement comme l’avait espéré très fort la Taurion, et il ne tarda pas à réapparaître de derrière la végétation, aussi soudainement qu’il était apparu, mais cette fois-ci, pour le plus grand dam de Lilie, accompagné d’une bonne demi-douzaine de congénères plus imposant les uns que les autres.
Elle était totalement horrifiée, elle qui avait réussi à se traîner jusqu’à un arbre pour frotter ses jambes à son écorce rugueuse. La fibre avait même commencé à céder, doucement mais sûrement, seulement, ça n’avait pas suffi, et maintenant, tout lui semblait perdu, à mesure que les bêtes se réunissaient autour d’elle pour venir la soulever comme un seul homme, sans apparent effort.
« Lâchez-moi, ordures ! Je veux partir, je veux être libre ! Libre, vous entendez ! »Elle essayait de sauter sur place pour écraser son cortège, mais allongée comme elle l’était sur un lit d’araignées, ses mouvements maladroits n’eurent pas de résultats.
À nouveau, les pleurs l’avaient gagnée, mais le trajet à dos d’araignées semblait interminable, et les larmes finirent par se tarir au bout d’interminables heures. Elles n’avançaient pas vite, ralenties par le poids de la charge qu’elles portaient, et la nuit commençait même à tomber alors que Lilie sentait la faim lui déchirer le ventre. Tous les efforts qu’elle avait fournis jusqu’à présent pour lutter, et les ravageuses émotions qui l’avaient transpercée lui avaient fait dépenser une énergie folle, et elle avait besoin de reprendre des forces.
Se faisant petit à petit à l’idée qu’elle n’allait peut-être pas être dévorée, et bercée par le rythme paisible de la marche de ses transporteuses, Lilie parvint tout de même à tomber en état de méditation, son corps ne lui ayant pas vraiment laissé le choix : la pression avait été trop forte, il était arrivé au bout du rouleau.
A son réveil, Yuimen seul savait ce qui allait l’attendre…
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