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Je pensais que l'incident allait se terminer sur leur départ et leur réflexion. Je me trompais. Le Sang-Pourpre protesta, demandant violemment depuis quand les femmes choisissaient leurs hommes. Je fronçai les sourcils à cette déclaration. Était-il à ce point partisan du patriarcat ou tout le pan humain auquel il appartenait réagissait de la sorte ? Si c'était le second cas, il me faudrait être prudente. Moi-même je n'avais rien à redouter, mais avec des femmes à bord, qui sait ce que des hommes plus radicaux pourraient tenter ? De son côté, Nahöriel ouvrit des yeux ronds.
Avant qu'il n'ait pu parler, Leyna s'indigna à son tour. Cette robe était un symbole de sa victoire sur le Scorpion, information qui me fit ouvrir un peu plus les yeux momentanément. Elle précisa ensuite que son coeur appartenait au corail. Mes bras se croisèrent alors que je m'assombrissais. Je devais trouver des mots pour lui faire comprendre le problème. Avant que je ne sois parvenue à quelque chose, le semi-elfe se tourna vers Snori.
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Genre... T'es sérieux Snori ?"
Il écarquilla d'abord les yeux avec incrédulité, mais vue l'expression du roux, il finit par les plisser. Il afficha une certaine incompréhension, mais aussi de la peine.
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Pour ça qu'tu voulais pas qu'j'approche de Leyna ? Pas parce qu'on a les même sentiments pour elle, mais parce qu'elle a pas d'choix à faire ? Qu'elle est ton bout d'viande ? "
L'expression du semi-elfe se ferma brutalement. Depuis la mort de son ami et protecteur, c'était la première fois que je le voyais faire une tête pareille. Comme s'il avait réalisé quelque chose de douloureux. Il avait tout d'une personne se sentant trahie. Il émit un rire dépité. Je crus comprendre, mais n'en dis rien. J'avisai la prêtresse sans me défaire de mon calme.
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Je comprends que cela représente beaucoup pour vous, car je connais votre histoire. Pour les autres en revanche, ce n'est là qu'une tenue vous mettant en valeur. Ils interpréteront de travers vos intentions, surtout si vous les laissez dans le flou. Je ne vous interdit pas de la porter, mais si vous le faites, conter votre histoire peut s'avérer nécessaire pour éviter de désagréables... Malentendus."
Mes yeux clairs se posèrent sur Nahöriel qui tenta de me faire un petit sourire, me laissant confuse. Il n'avait pas l'air bien mais ignora ma question implicite. Il fit un pas pour se décaler et regarder la jeune semie-elfe. Il s'empourpra un peu, ouvrit et ferma la bouche, soupira puis se lança.
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Juste pour être clair... Leyna, je te... Vous... Ai... Admire."
Son soudain passage au vouvoiement était des plus bizarres, et j'eus du mal à garder un visage neutre. S'il l'appréciait vraiment, pourquoi mettait-il soudain une telle distance ? Il rougit brutalement mais après une profonde inspiration, il prit un ton résolu. Il avait quelque chose à dire, et je ne comptais pas l'en empêcher.
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Z'avez l'don pour m'inspirer du courage quand j'vous vois. J'vous trouve belle... Et forte. J'sais qu'vous m'verrez jamais comme ça, mais c'est aussi c'te partie d'vous qu'je... M'enfin, c'pas grave. J'compte pas oublier c'que j'ressens pour vous tant qu'ça vous dérange pas, mais c'est la dernière fois qu'vous en cause."
Il se pencha un peu, adressa un regard par en-dessous et peiné à Snori puis fit un sourire ressemblant presque à une grimace. Visiblement, il souffrait et pas que de sa blessure rouverte. Mon écorce de poitrine se serra devant cette détresse qu'il faisait au mieux pour masquer. Entre son air meurtri en sachant qu'il m'avait déçu et tout ce qui arrivait là, il avait visiblement du mal à encaisser. Il lissa sa joue cognée du revers de la main. Son ton se fit distant et presque blasé. Cela ne ressemblait guère au Nahöriel que je connaissais.
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Là, t'es content ? J'te pensais mon rival, qu'on avait des trucs en commun, mais s'tu l'aimes pas ou t'cherches pas à t'faire aimer d'elle, ça nous fait d'jà un gros point en moins. T'vas êt' peinard maint'nant, y'a qu'mes rivaux qu'j'fais chier comme ça. À compter d'c'moment, j'te fous la paix. "
Son sourire disparut complètement et il s'assombrit, son embarras visiblement chassé par plus grave, avant de me regarder. Ses yeux teinte boue se rivèrent aux miens, y cherchant comme un appui. Quand il l'eut trouvé, il reprit.
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Cap'taine, t'inquiète pas, ça s'reproduira plus. J'vais m'arranger avec les autres pour qu'on soit pas aux manœuvres en même temps. J'te caus'rai pu d'problèmes."
Je plissai les yeux, touchée par le courage dont il faisait preuve pour masquer à quel point tout ceci le blessait, et me contentai d'un signe de tête indiquant que je l'avais écouté. Mais est-ce que se mettre à éviter Snori était la solution, j'en doutais. Toutefois, si cela lui permettait de se reprendre, je n'allais pas l'en empêcher. Lorsque tout allait être réglé pour le cap, j'escomptais essayer de trouver du temps pour lui tenir compagnie. Parce que là, il dégageait une impression de solitude qui faisait peine à voir. Il me fit un petit signe et détourna ostensiblement la tête pour ne pas regarder les deux autres alors qu'il leur passait devant et s'éloignait.
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J'dois y aller. C'te trou va pas s'reboucher seul."
Brutalement, il plaqua sa main contre sa plaie et sauta les marches menant au pont, le nez baissé. Malgré la douleur qui devait le parcourir, surtout après un geste aussi imprudent, il allongea les foulées, la tête penchée. Il ne répondit même pas quand un des matelots l'appela. Je poussai un soupir peiné mais tentai de me reprendre. Le laisser seul un moment risquait d'être nécessaire. Et puis, j'avais encore la Prêtresse et le Sang-pourpre sur les bras.
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