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Arrivé sur le port, le ciel commençait à se teinter du rouge orangé qui précède le bleu nuit. Cette couleur qui m'avait bien souvent indiqué qu'il était l'heure d'aller bosser et qu'il était temps pour les acteurs des théâtres que sont les villes, de changer. Alors que les honnêtes marchands, les vieillards impotents, les enfants innocents et autre personnes sans intérêt quittaient la scène, leurs remplaçants se mettaient en place. Malandrins et assassins, voleurs et kidnappeurs sortaient de l'ombre pour la représentation qui durerait jusqu'au petit matin. Ce changement était justement en train de se produire sur le port. Les marchandises douteuses faisaient leur apparition, de la contrebande aux esclaves si j'en croyais certain bruits, certaines exclamations et je commençais à me sentir un peu plus à l'aise.
Alors que j'avançais en quête d'un navire qui accepterait de m'emmener, un homme encapuchonné me bouscula. Décidément, il n'aura pas fallu longtemps pour que les emmerdes pointassent le bout de leur nez. Un vulgaire tire laine qui essaya de me subtiliser les quelques yus que je possédait Paradoxalement, cela me mettait en joie. J'allais pouvoir m'exercer. Manier mon épée de la main droite n'était pas mon fort, mais je n'avais pas d'autre choix que d'apprendre. Avant de commencer les chose sérieuse, je lui envoyai mon poing en plein dans l'abdomen, juste histoire de le couper dans son élan, avant de m'écarter et de dégainer. Mes mouvements manquaient de fluidité et je peinais à garder mon équilibre, mais ma maîtrise de l'escrime était l'un de mes gagne-pain. Tout réapprendre, j'allais devoir tout réapprendre.
Alors que le maraudeur se relevait, je l'entendait marmonner, en reprenant son souffle un léger « Un simple manchot hein » et, dégageant sa cape sombre, il révéla un fourreau noir duquel il sorti une épée courte. A ce moment, je ne savais dire si mon opposant était effrayé, en colère, déterminé...Rien. Car cet enfoiré portait un masque noir. Franchement, à quoi ça servait de s'habiller comme ça si c'était pour agir avant que la nuit soit complète. Je faisais donc face à un parfait abruti, j'espérais seulement qu'il maniait mieux les armes qu'il ne se fringuait ou délestait les gens de leur bien.
Pendant quelques temps, nous nous observâmes alors que de plus en plus de gens venaient apprécier le spectacle, formant un cercle autour de nous. Un public ne me déplaisait pas spécialement, mais toute mon attention était focalisé sur mon adversaire. Un mec masqué et chétif, tout de noir vêtu. Il laissa tombé sa cape, révélant une armure de cuir...noire ! Original. Il se mit en garde et, las d'attendre, j'entamais les hostilité par une petite provocation.
« Allez p'tite merde ! Même avec un seul bras, j'suis sûr de pouvoir en bouffer dix comme toi ! Ramène-toi ! »
Je ne pouvais m'empêcher de sourire. Me battre, risquer ma vie avant de massacrer mes adversaires et de les laisser servir de repas aux rats, j'adorai ça. Et mon excitation atteignit son paroxysme quand l'autre fonça sur moi. Il était rapide, très rapide, agile et je ne dû la sauvegarde de mon intégrité – enfin si on omettait ce qu'il me manquait déjà – qu'à un réflexe, qu'à mon instinct. Ce voleur de pacotille avait un certain talent pour la marave et j'entrevis ma défaite, l'espace d'un instant. Ses assauts étaient répétés, incessant et je ne pouvais que parer les coups, maladroitement, de justesse la plupart du temps. Foutu Boucher de Tulorim. Avec la pleine possession de mes moyens, avec mon bras gauche, j'aurais déjà fait morde la poussière à cet enfoiré, j'aurais déjà fait prendre l'air à ses entrailles. Au cours de nos passes d'arme, le public semblait encourager mon adversaire, lui scandant «Tue le manchot», en rythme. Ca me foutait hors de moi. Fini la joie, l'euphorie, place à la rage. Ce minus, j'allais le broyer, le massacrer, le mettre littéralement en pièces, quitte à y laisser des plumes.
L'attaque suivante, je laisse l'épée du voleur passer ma garde, lui permettant de m'ouvrir légèrement la poitrine, déchirant ma tunique. Surpris, il perdit l'équilibre un court instant et j'en profitai pour lui donner un violent coup d'épaule avant de moi aussi, lui infliger une profonde blessure sur le bras qui tenait son épée. La foule s'excitait de plus belle, mais je ne l'entendais plus, je n'y faisait absolument plus attention. J'étais déchaîné, comme une bête. Je voulais du sang, encore plus de sang et c'était à mon tour d'attaquer sans discontinuer, avec toute la force que je possédais. Le bruit des épées qui s'entrechoquaient peinait à surpasser celui des spectateurs et personne n'arrivait à prendre l'avantage. J'avais beau frapper et frapper encore, cette raclure arrivait toujours à s'en sortir, jusqu'au moment où je vis une ouverture. Alors qu'il tenait son arme à deux mains pour retenir la mienne, je relâchai la pression avant de lui assener un puissant coup de pied dans la cage thoracique, l'envoyer bouler dans l'assemblé. Ces derniers ne tardèrent pas à le renvoyer dans l’arène improvisée, face à celui qui allait devenir son bourreau...MOI !
Toussant comme s'il allait vomir ses propres poumons, il ne perd pas sa concentration pour autant, car il fonçait déjà sur moi. Il était temps d'en finir., mais je devais trouver le bon moment. Et ça n'allait pas être facile. J'avais déjà quelques problème pour parer ses coups un peu plus tôt, mais là, je n'y arrivais plus, les blessures s'accumulaient sur mon torse, mon bras et même mon visage. Je n'avais plus le loisir d'attendre qu'il se fatiguât. Sur son dernier assaut, je laissai son épée de planter dans mon épaule gauche. La douleur était forte, mais serrant les dents, j'en profitai pour lui perforer l'abdomen, ma lame rentra d'un côté, ressortit de l'autre et mon adversaire relâcha le manche de sa propre arme, la laissant tomber au sol. Le combat était terminé.
Mais moi, je n'en avais pas fini avec lui. Lorsque je retirai le bout de métal de ses entrailles, il tomba à genoux, et sans aucun pitié, je lui envoyai l'un des miens dans le pif pour l'envoyer au sol. Je le regardai geindre, allongé au sol avant d'appuyer avec mon pied sur le trou qui ornait désormais son bide. Il hurlait de douleur et d'un geste sec, j'entrepris de lui trancher la tête sans oublier d'ajouter un « Crève, chien ! » plein de rage. Le sang gicla jusque sur mon visage.
Je ramassai alors sa tête, la tenant par ses cheveux bruns plein de sang et de poussière et je la brandis bien haut. Certains semblaient effrayés, quelques uns exultèrent, les autres partirent sans demander leur reste, retournant à leur affaire ou fuyant de peur d'être les prochains. Ce chien n'avait eu que ce qu'il méritait. Au moins maintenant, je savais à quel point je devais progresser pour me servir de mon épée de la main droite. Les prochains combats n'allaient pas être simples.
Un homme s'approcha alors de moi, le seul à oser visiblement. Un petit gars rondouillard avec une bonne tête, inspirant la confiance. Il s'approcha de moi, sans peur, laissa apparaître ses dents légèrement jaunies avec un sourire franc provoquant le soulèvement de ses pommettes ronde, faisant ainsi disparaître un peu ses petits yeux verts et pétillant. Il s'adressa alors à moi :
« Et bien mon gars, tu rigoles pas ! J'ai besoin de gars comme toi sur mon navire si ça t'intéresse. »
Visiblement, il cherchait des mercenaires et ma prestation lui avait plu. Il arrivait clairement au bon moment, mais il me fallait quelques menus renseignements avant d'accepter. Essoufflé, j'entrepris de lui répondre calmement.
« Si tu vas à Dahram et que tu as de quoi me retaper, je suis ton homme. »
Son sourire s’agrandit et il poursuivit en me montrant un navire avec son pouce, juste un peu plus loin derrière-lui. Un navire un peu plus bas que les autres, mais dont la stature n'avait rien à envier aux autres rafiot qui mouillaient à côté.
« C'est ton jour de chance, monte pour qu'on s'occupe de toi. On lève l'ancre d'ici une heure. »
Il entreprit de m'emboîter le pas avant de s'arrêter presque aussitôt pour ajouter : « Ugléan, et toi? »
Encore un qui voulait connaître mon nom...Mais tout ce que j'avais à servir, c'était Aigle Brutal, ce surnom stupide dont je voulais me débarrasser. Avançant vers son bateau, je lui répondis non sans laisser échapper un juron sous le coup de la douleur.
« Putain...J'ai pas de nom, appelle-moi comme tu veux. »
« Et bien tu seras désormais...Le Sanglant. Parce que franchement, t'as foutu un sacré bordel là-bas. Allez, bouge ton cul, avant que la milice vienne foutre son nez là-dedans. »
Sans un mot de plus, je monte sur son navire, en claudiquant légèrement.
« Bienvenue sur la Veuve des Mers ! »
Un nom pareil, c'est parfait pour entamer mon voyage, pour mon nouveau départ.
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