« Mathias... Vous avez terminé ? »

Leyna sourit et posa la main sur le front de l'enfant.

« Mathias, né des flots, par ce nom et par Moura, te voilà baptisé. »

Alors, une douce lueur bleu enveloppa l'enfant, et la prêtresse en fut surprise. Snori, qui suivait la scène avec un intérêt tout relative, laissa échapper un hoquet de surprise.

« De la magie ! »

« Oui, acquiesça la semi-elfe, mais ce n'est pas la mienne. Cet enfant porte naturellement des fluides de l'eau. »

Elle savait qu'une telle chose pouvait arriver. Elle n'y était probablement pour rien, mais l'enfant avait révélé un pouvoir latent. Elle sourit à la mère inquiète :

« Il deviendra peut-être un grand mage... »

À côté, le semi-garzok laissa échapper une exclamation de dédain. Elle tourna vers lui un regard indéchiffrable.

« Les merveilles de Moura semblent peu vous impressionner... »

*<---*




Pour toute réponse à ma question implicite, mon protecteur s'assombrit. À travers son foulard et ses mots grandement masqués, mais qui me paraissaient d'une clarté certaine, il me fit comprendre que les termes d'alliés et d'ennemis n'appartenaient qu'au vocabulaire terrien. Je mis quelques instants à voir où il voulait en venir, mais il avait raison. Ce n'était pas parce que quelqu'un vous avait un jour appuyé qu'il était nécessairement de votre côté. L'inverse était vrai, et Nahöriel en était la preuve vivante. Il me fallait donc apprendre à m'appuyer moins sur les autres, à n'attendre finalement d'eux que leurs compétences. Et me tenir prête à voir une dague m'arriver dans le dos, y compris dans la main de ceux que j'estimais.

La leçon allait être rude à assimiler parfaitement, mais puisque j'allais avoir charge d'hommes et de femmes, c'était là un sacrifice nécessaire. C'était peut-être même cela, l'essence du capitanat.

( Moura, Moura. Veillez sur mes pas, je vais en avoir grandement besoin. )

Le grand homme me désigna la porte, m'indiquant la proximité du coucher du soleil, et donc de mon équipage. J'acquiesçai, et enfonçai le tricorne sur ma tête avec détermination. Autrefois, j'aurais redouté le regard de ces inconnus, mais aujourd'hui ce ne serait plus le cas. Restait à savoir si j'allais être capable d'appliquer une certaine discipline, au cas où...

"Tu as raison. Les cœurs peuvent être aussi imprévisibles que les vagues ou les rafales de vent. Allons faire connaissance."

Et sur ce, je sortis de la cabine, ma main intacte rajustant le col du manteau tandis que je m'habituais au port des bottes. Sur le ponton de bois où était arrimé le navire bleu, certains frères du Masamune commençaient aussi à revenir. Je crus déceler quelques voix en pleine discussion et des murmures aussi. Après m'être assurée que ma main privée encore de sensations demeurait grandement masquée, j'inspirai.

( Voyons à qui j'ai affaire. )


*--->*

*<---*




Mes pas me conduisirent sur mon navire, la Rascasse Volante, suivie de près par Eliwin. Sous un ciel virant de teinte, je pouvais voir le pont se remplir de silhouettes inconnues, de présences plus ou moins imposantes, de volontés autres que celles que je connaissais ou au contraire familières. Parmi celles-ci, certains frères du Masamune firent un passage sur mon vaisseau, venant empoigner mon avant-bras valide en un geste fraternel et de séparation. Dans leurs regards, amusement et parfois respect se lisaient à mon changement de tenue. Quelques membres du navire bleu soutinrent Nahöriel alors que ce dernier revenait de sa virée, sentant l'alcool fort, mais apparemment pas plus inquiété que cela par sa blessure au ventre.

Affichant d'abord un air décontenancé en montant sur la Rascasse avec suspicion, ses grands yeux marrons s'arrondirent un peu plus en me voyant. Il tendit l'index dans ma direction, incrédule, fit quelques pas vers moi, et souleva avec précaution un pan du grand manteau que je portais sur les épaules.

"Eh ben ? Pourquoi t'es sapée comme ça ? On dirait presque..."

Je déroulai un doigt de ma main valide, l'élevant devant ses lèvres sans le toucher, en un geste lui intimant le silence.

"Tu vas vite comprendre."

Dubitatif, le semi-elfe s'éloigna un peu pour observer la montée des retardataires. Il semblait réaliser que retourner à bord du Masamune n'était pas dans mes intentions, mais malgré l'alcool devant couler dans son sang, il n'émit pas un commentaire.

Venant à mes côtés, Eliwin me fit savoir qu'étant le capitaine de la Rascasse, je me devais d'aller parler à mon équipage. J'acquiesçai et mis à profit les quelques pas qui me séparaient d'eux pour faire le point. Je ne les connaissais pas, et eux non plus. Pour certains, voir un représentant de mon espèce était sans doute la première fois, mais je n'avais nullement l'intention de les traiter comme des faibles ou des enfants ignorants. J'avais encore beaucoup de choses à apprendre moi-même, mais le laisser paraître n'allait pas être bon pour l'avenir.

Masquant mon bras blessé en croisant mes membres supérieurs dans mon dos, j'attendis quelques instants, les laissant investir ce côté du vaisseau. Quelques différences étaient notables chez eux. Certains étaient équipés comme des aventuriers ayant déjà fréquenté les routes et vécus des combats, d'autres semblaient seulement marqués par les événements récents, et les derniers avaient l'air presque perdus. Nombre d'entre eux murmuraient ou échangeaient, créant un certain brouhaha.

Après une courte inspiration, j'élevai la voix, surprise de la sentir aussi posée mais puissante, plus que lors de mon discours pour convaincre mes frères du Masamune. Gallion n'était finalement parvenu qu'à renforcer ma détermination et mon engagement dans tout ceci.

"Bien ! Un peu de silence sur ce pont !"

Pour m'adresser à eux, quand bien même j'ignorais tout de leur éducation, je pris le parti d'employer un vocabulaire à leur portée.

"Puisque vous êtes là, c'est que vous comprenez les enjeux. Pour ceux d'entre vous qui ont encore des racines qui leur tiennent à cœur sur la terre ferme, c'est votre toute dernière chance de descendre. Pour les autres..."

J'étendis le bras droit, désignant le pont de mon navire.

"Bienvenue sur la Rascasse Volante. Votre foyer jusqu'à nouvel ordre."

Repliant mes serpentins, je me désignai du poing.

"Mettons les choses au clair immédiatement. Je suis une oudio. Mon nom est Mythanorië. Mais sur ces planches, c'est Capitaine Mythanorië. Et je vous conseille de vous y tenir. Ce n'est pas parce que ma taille est inférieure à la vôtre..."

Mon petit mètre quarante avisa les différents visages, en particulier ceux des êtres dépassant de l'attroupement. Une figure à canines inférieures proéminentes, longue chevelure, peau de bronze et taille me dominant d'au moins deux têtes n'échappa pas à mon regard clair. Mais à part un bref coup d’œil, je ne le mis pas à l'index dès le début.

"Que je ne suis pas capable de vous botter le séant. À bord, j'ai trois mots d'ordre que j'entends faire respecter. Discipline, écoute et tolérance. Comprenez qu'il suffit parfois d'une seule tête de sturb pour compromettre la sécurité de tout le monde. Je ne veux pas d'effusion de sang entre membres à bord. Je veillerai personnellement à ce qu'une telle chose ne se produise pas, et ne serai pas la seule à m'en assurer."

Sur ce, je fis un léger mouvement vers Eliwin et lui adressai un bref signe du chef. En mer, la tension pouvait pousser mes hommes à vouloir passer leurs nerfs sur ceux qui les cherchaient. Je comptais les occuper assez pour que cela n'arrivât pas, mais l'imprévu était toujours possible. Autant les prévenir dès à présent.

"Avant de prendre le départ, j'ai besoin de savoir qui vous êtes. Pas besoin de me raconter votre vie. Votre passé ne m'intéresse que s'il risque de nous amener ennemis et ennuis au détour d'un récif."

Je songeai que si certains d'entre eux étaient comme mes frères du navire bleu, les contraindre à répondre de façon précise risquait de les braquer. Je pris la décision de leur laisser une marge de manœuvre.

"Un nom ou un surnom par lequel vous appeler, vos points forts et ce qui vous passe maintenant entre les oreilles, voilà ce que je veux. Et profitez-en. En mer, les miennes seront peut-être moins ouvertes que maintenant."

J'avais joué mon rôle, posé mes conditions et attendais de voir comment allaient réagir mes futurs hommes. Non loin, Nahöriel poussa un souffle admiratif et se frotta le bout du nez. Je lui adressai un bref regard et une esquisse de sourire. Oui, je savais déjà ce qu'il allait dire, et c'était on ne peut plus vrai à présent. De façon surprenante, ma sève pulsait sur un rythme calme, comme si j'étais en harmonie avec ce grade pourtant récent, mais prête à rencontrer de la réticence de la part de ces inconnus.

Disposer de sève plutôt que de sang pouvant s'échauffer pour un rien était tout de même bien pratique.


*--->*

Mais le semi-garzok l'ignora. Ils furent de toute façon interrompue par un Gallion échevelé qui déclara le moment venu d'embarquer à bord de la Rascasse. Leyna hocha la tête, se demandant vaguement ce qui lui arrivait. Mais elle tendit le bras et Snori vint l'aider à se lever, afin qu'elle suive le mouvement. Elle observa l'équipage qui se pressait de quitter les lieux. Une femme la bouscula et elle manqua de tomber. Une grande aventurière armée d'une lourde arbalète et équipée de toute une quantité d'outils divers. Elle s'excusa rapidement, mais Snori intervint :

« Hé, vous pourriez faire attention ! Vous voulez que... »

La prêtresse l'arrêta avant que son compagnon au sang chaud ne dise quelque chose de fâcheux. Elle se sentait revenir quelques forces, mais elle avait encore besoin de lui. Qu'il rende hommage à Moura un autre jour ! Elle adressa un sourire d'excuse à la femme. Du navire voisin, leur venait la voix de Mythanorië. Elle n'entendait pas tout, mais le discours semblait plein de passion. Cette femme-arbre avait-elle conscience de la force qui sommeillait en elle ? Sans doute pas. Elle n'avait pas été esclave du scorpion. Elle n'avait rien vécu qui la force encore pleinement à se dévoiler à elle-même.

Leyna serait là pour l'y aider. La guider vers l'essence de Moura qui coulait en elle.

Mais il en était une autre qui s'était trouvée, et Leyna, lorsqu'elle vit Kassara en descendant du navire, s'en voulu de ne pas avoir remarqué qu'elle était partie à la sotie du théâtre. La whiel l'attendait, le visage plus reposée, comme libérée d'un fardeau, accompagnée d'un homme assez petit aux cheveux grisonnants.

« Alors c'est vous ? » demanda l'homme, timidement.

Il semblait mal à l'aise. Bedonnant, la cinquantaine, il était vêtu de riches atours par-dessus lesquels il avait enfilé un manteau plus usé, sans doute un vêtement pour se protéger des saletés du quai. Leyna leva des yeux interrogateurs. Kassara sourit et hocha la tête.

« Merci ! dit l'homme. Merci de l'avoir ramenée ! Je me faisais tant de soucis. »

La belle whiel présenta l'individu avec une voix douce. Elle semblait réellement calme, en paix avec elle-même. C'était compréhensible, car elle avait visiblement retrouvé sa famille. Mais pourquoi avait-elle tant hésité ? L'homme avait l'air faible, mais sympathique. Il se nommait Samuan et était un riche marchand de poisson. Celui-ci s'empressa de préciser que son activité s'était diversifié.

« Mais je n'ai rien contre les gens de la mer, ne vous y méprenez pas ! Je suis moi-même un ancien pêcheur. Je me suis élevé dans la société à la sueur de mon front et bien que j'aime le luxe nouvellement acquis, je suis toujours heureux de retourner sur les quais, et de rencontrer les êtres tels que vous. Une femme sang-pourpre... ce n'est pas courant ! Mais je vous salue tout de même avec bonheur, par le nom de Moura ! »

Charmée, Leyna hocha la tête :

« Puisse-t-elle vous le rendre. Je suis heureuse de vous avoir ramené votre fille. »

Il sembla soudain plus mal à l'aise que jamais. Kassara eut une brève grimace :

« Leyna... c'est mon mari. »

La semi-elfe eut l'impression qu'elle allait s'effondrer de stupeur. Snori laissa échapper une exclamation de surprise. Son mari... voilà donc le terrible secret d'une femme de toute évidence aussi noble que belle. Pourquoi avait-elle dû épouser cet homme qui avait plus de deux fois son âge ? Probablement une histoire d'argent... et elle avait fui... pour découvrir qu'il existait bien pire que d'être vendu à un homme que l'on aime pas, on pouvait être vendu à un homme qui vous haïssait. Et ainsi, elle était revenue vers son passé. Tout semblait tellement limpide maintenant !

Leyna baissa la tête en signe d'excuse. Ne sachant plus quoi dire, elle se rabattit sur la première phrase qui lui vint à l'esprit :

« Voulez-vous rencontrer notre capitaine ? »

« Bien sûr ! Ce serait un honneur ! »

De mieux en mieux. Elle ne s'était pas attendu à cette réponse. Mais après tout pourquoi pas ? Ils montèrent donc ensemble sur le nouveau navire de Mythanorië, la Rascasse.

*<---*





Mes mots étaient forts, peut-être trop si j'appuyais mon jugement sur les expressions des visages et dans les postures de l'équipage. Suspicion, malaise, inquiétude. Autant certains ne paraissaient pas spécialement perturbés, autant d'autres me regardaient avec un semblant de crainte. Des murmures s'élevèrent au lieu des présentations que j'attendais. J'avais visiblement commis une erreur dans mon approche. Il allait falloir que je rattrape le coup avant que ce groupe désuni ne me tournât définitivement le dos.

Par chance peut-être, une voix féminine et assez mûre s'éleva de l'attroupement. Elle venait d'une femme en tenue violette, proche d'un lot encombrant d'objets divers. J'appris de cette dénommée Lydia qu'elle était une itinérante, ayant une attirance pour ce qui était artillerie lourde. Elle en fit même une plaisanterie, prétextant qu'il n'y avait pas de sous-entendu. Certains membres se mirent à rire discrètement, d'autres se détournèrent. Lydia pétillait de vie, et assura être à mon commandement. Son petit effet fit souffler Eliwin, et je pouvais voir Nahöriel trembler pour contenir son rire. Je poussai un souffle à mon tour et me laissai aller à un franc sourire.

"Contente de voir quelqu'un d'aussi énergique à bord. Merci Lydia. Je pense que vous ne serez pas trop de deux pour ragaillardir l'équipage."

Je jetai un regard à mon ami semi-elfe, qui acquiesça et se rapprocha vivement du groupe. Avec un sourire enjoué et sincère, il se désigna le torse du pouce.

"Salut à tous ! Moi c'est Nahöriel, mais appelez-moi Naho', c'est plus court et j'préfère. Vous inquiétez pas, Mytha'... Pardon, Capt'aine Mytha' peut parler fort et faire les gros yeux, mais elle mord que si on gaffe."

Le semi-elfe me regarda et leva la main vers sa tête, sans se départir de son sourire confiant et amical.

"Si ça s'trouve, c'est l'effet chapeau. Ca t'grandis p't'êt' trop."

Je secouai légèrement la tête, agrippai le tricorne que je gardai dans ma main valide et reportai mon attention sur le groupe. J'avais posé mes règles, mais j'avais oublié quelque chose d'important. Devant le manège de Nahöriel et l'enthousiasme de Lydia, je me laissai aller à un petit sourire.

"Laisse-leur le temps de me redouter un peu avant de ruiner mes effets la prochaine fois, Nahö'... Reprenons. Et sans le tricorne."

Je posai ma main à chapeau contre celle présente dans mon dos, retenant une petite grimace à l'élan douloureux qui se propagea suite au léger choc.

"Nous allons faire équipe sur les flots. Devoir rester unis en cas de pépin. En montant à bord, vous devenez ma famille, mes proches. Vos vies sont aussi importantes que la mienne, voire davantage. La Rascasse a besoin de vous. J'ai besoin de vous, de votre courage, de votre appui et surtout de votre confiance."

Un peu plus sûre de moi, sincère et déterminée, je décidai de jouer franc-jeu.

"Vous avez le droit de douter. Je ferais la même chose à votre place. Sachez juste ceci. Même si je ne vous connais qu'à peine, vous êtes mon équipage. Et je n'hésiterai pas à risquer mon écorce pour sauver votre peau autant de fois que nécessaire."

Le semi-elfe brun se frotta le bout du nez, faisant un sourire au groupe de marins.

"Et ce s'rait pas la première fois qu'elle le f'rait !"

Ma tête fit un léger mouvement négatif d'elle-même.

"Ici, je suis votre capitaine, mais aussi votre Soeur, et jamais ne serai contre vous."

Je fis une légère moue, songeant à ce que Thunderhead m'avait fait. Sa poigne sur mon avant-bras allait mettre du temps à partir aussi bien physiquement que de mon esprit.

"Sauf s'il vous prend l'envie de m'attaquer, pour voir si un oudio saigne et cicatrise. Là, je pourrais en effet vous en vouloir un peu."

Sur ce, une expression que je tentai de faire moins menaçante au visage, j'attendis les réactions de l'équipage. Je voulais me faire respecter, mais pas que mon autorité soit liée à de la crainte. La peur pouvait se changer en colère et pousser à agir bêtement.


*--->*

Un nouvel équipage - Chapitre IV

Un nouvel équipage

Chapitre V

Ils quittèrent le cabanon pour marcher vers le port. Un peu de vent de leva, faisant ressentir un peu plus l'air chaud, humide et salé contre sa fourrure. C'était plutôt agréable.

"Tout l'monde va bien, mon grand, et même mieux qu'jamais si j'puis dire ! On a quitté Henehar sur le rafiot d'un capitaine appelé Thunderhead. Pas commode ce gars, mais faut jamais se fier aux apparences, c't'un bon gars. Ensuite on a fait quelques rencontres, certaines bonnes, d'autres plutôt merdiques, mais on y a gagné plus qu'on y a perdu. En plus t'sais quoi ? On va former un nouvel équipage ! Tu vois, Mazhui ? Le gars qu'est parti d'Henehar avant qu'on s'rencontre ?

"Non.", dit-il bêtement.

Mais il aurait pu difficilement en être autrement. Ce nom ne lui disait vraiment rien de rien. Y avait bien ce gars là, le fameux Eliwin, qu'il avait rencontré dès son arrivé à Henehar et qui lui avait raconté que Heartless était mort avant de disparaitre Zewen-sait-où. Mais Mazhui ? Peau de balle !

Elias, dont la question était plus rhétorique qu'autre chose, continua derechef :
"Eh bien il est revenu nous voir avec un coffre rempli d'or ! Personne sait d'où il l'a sorti, ptèt qu'il chie des lingots, j'en sais rien, mais j'ai pas besoin d'en savoir plus. En bref voilà, la Confrérie vit !"

Et bien, de bonnes nouvelles tout ça.
Du pognon qui vient de nulle part, ça aurait pu en inquiéter certains. Mais Mercurio, en bon darasmois, ne savait que trop bien que l'argent n'avait pas d'odeur et que l'important pour l'heure, c'était qu'il soit dans la poche de la Confrérie.

"Le putain d'énergumène que tu viens de croiser va bientôt d'voir se trouver un travail, crois-moi... Et euh... oh, quand on parle du loup !"

Le loup, il était juste devant, sur le quai. C'était un espèce de grand dadais qui flottait dans une tenue ynorienne verte et blanche qui se trémoussait au vent comme une jupe de catin. Il était de dos, en train de fixer l'horizon. L'humoran s'avança et eût une impression bizarre. Là où regardait l'homme, il y avait trois bateaux et un d'eux ressemblait comme deux gouttes d'eau à l'Innommable. Il lui ressemblait étrangement même. C'en était presque flippant comme il lui ressemblait. Mais ce n'était vraiment pas possible. L'Innommable, ils l'avaient laissé près d'une plage de cette île de malheur, là... Avec tout le bordel qu'il s'était passé ensuite, il avait dû être détruit. Et même si c'était pas le cas, comment il se serait retrouvé à Tulorim ? Impossible.

Il fallut attendre que Elias se place à quelques centimètres de l'ynorien pour que celui-ci émerge enfin de ses pensées. Pour une poule aux œufs d'or, il était un peu trop facile de le surprendre. Étonnant même qu'un richard dans le genre, qui plus est rêveur, soit encore de ce monde. Surtout que ce Mazhui semblait bien jeune, derrière sa petite barbiche et sa moustache qu'on aurait dit rasé au scalpel. C'était bien un truc d'ynorien ça, de tout couper au millimètre près. Même leurs foutus plantes ils les taillaient avec une obsession flippante. Mercurio comprenait simplement pas qu'on puisse s'amuser à perdre autant de temps sur des conneries pareilles. D'ailleurs, au-delà des ynoriens, c'était surtout les humains qu'il ne comprenait pas. Ces crétins se rasaient la peau du visage, parfois tous les jours. Il n'en avait jamais compris l'intérêt en fait. Il se rasait la fourrure, lui ? Non, ça ne risquait pas. Il ne savait même pas à quoi sa tronche pouvait ressemblait sans et il n'en vivait pas plus mal. Les humains aimaient bien perdre du temps sur des conneries. Pas lui. Non pas qu'il était forcément particulièrement occupé, mais entre faire des trucs qui ne servent à rien ou passer ce même temps à glander, il avait fait son choix.

Outre ce détail capillaire qui l'avait étrangement obnubilé plus que de raison, ce Mazhui se tourna vers eux en souriant :
"Oh, Elias ! Vous n'étiez pas avec les autres ? Hm... qui est-ce ?"

Mercurio pris les devants et lui répondit :
"Moi c'est Mercurio, j'suis guérisseur. T'inquiètes, j'suis de la maison mon gars, j'étais avec Heart..."

Il s'interrompit, se rendant compte qu'il n'avait pas raconté le quart de ce qu'il aurait dû à Elias.

"Ah ouais au fait j't'ai pas dit putain ! J'ai dit à l'autre débile, là, mais pas à toi. Tu sais, j'étais parti avec Heartless, là, à cause de c'foutu collier.", dit-il en tapotant l'objet. "Putain, et l'histoire après c'était un bordel j'te raconte pas. On s'est retrouvé avec des barges sur une île paumée avec des monstres pas possibles. Putain. On s'est battu avec des squelettes dans un temple en ruine qui nous tombait sur la tronche merde ! C'était un de ces bordels, j'ai rien compris. Et j'te dis pas le pire encore ! On s'est retrouvé devant Oaxaca ! Je déconne pas putain ! Devant Oaxaca ! Elle était si proche que j'aurais presque pu lui pisser dessus sans déconner ! Et genre elle voulait nous embaucher parce que comme quoi on était tous des gros tarés. Heart' et moi, on a refusé et on s'est fait courser par son dragon. J'me suis fait courser par un dragon bordel de merde ! Et ça a duré des plombes, c'était insupportable ! Le cauchemar, merde, j'te dis pas ! J'ai encore l'impression d'avoir halluciné tout ça ! Regarde, rien que j't'en parle encore j'ai encore la fourrure qui se hérisse ! Par contre, j'ai paumé Heartless dans la fuite, j'sais pas s'il s'en est sorti...", finit-il en se calmant soudainement.



Un nouvel équipage - Chapitre VI

Mythanorië, tricorne et veste de capitaine au vent, avait fini son discours. Elle demandait aux passagers de donner leurs noms et les ennemis qu'ils pouvaient amener. Mauvaise idée. Comme il fallait s'y attendre, beaucoup furent intimidés. Mais au moins, elle avait montré sa force, et Snori se permit même un discret applaudissement.

Le marchand approuva d'un signe de tête.

« Impressionnant... mais quelle étrange coiffure verte ! »

Kassara hocha la tête en souriant. Leyna guetta les réactions. Finalement, une femme s'avança, c'était celle qui l'avait involontairement bousculée. Elle se nommait Lydia et était une spécialiste des engins de siège, à l'en croire. La nouvelle capitaine la félicita et Nahöriel se présenta à son tour pour motiver des gens.

Snori, avec l'expression de quelqu'un qui vient de subir une offense majeure, s'élança pour se présenter tout de suite après lui. Il coupa quasiment Mythanorië qui, sentant sans doute son erreur, tentait de se montrer plus maternelle avec l'équipage.

« Moi, c'est Snorikios, du sang-pourpre ! Et j'ai pas d'ennemis à déclarer, je leur ai tous cassé la figure depuis longtemps ! »

Il se tourna vers Lydia :

« Je viens du Chasseur des Brisants, on est copains ! La prochaine fois qu'on se croisera, je suis sûr que vous aimerez leur parler, ils sont aussi experts en artillerie. Par contre, attention à ne pas vous faire embarquer pour leurs autres armes lourdes, parce qu'ils sont connus pour vite tirer l'épée du fourreau ! »

Il gloussa de sa propre blague, tandis que Leyna levait les yeux au ciel. Même elle avait perçu l'allusion grivoise, mais elle n'était pas mécontente. Avec la mauvaise réputation des sang-pourpres, peut-être que ces terriens auraient entendu parler du Chasseur ? Dans ce cas, ils seraient sans doute un peu rassurés de se savoir de tels alliés !

Un nouvel équipage - Chapitre V

Un nouvel équipage

Chapitre VI

Après ses révélations, le vieux pirate et l'ynorien se regardèrent. Pour le coup, il avait sacrément plombé l'ambiance. Puis Mazhui releva la tête avec un sourire qui se voulait optimiste et dit :
"Alors... Il est peut-être encore en vie."

"P'tet bien, ouais.", rajouta-t-il inutilement.

A vrai dire, l'humoran n'y croyait pas des masses. Bon, il avait bien la tête dure, le Heartless, mais il s'agissait là d'échapper à un dragon, aux commandants d'Oaxaca, à des hordes de peaux-vertes et à Zewen sait quelles saloperies pouvaient traîner entre les marécages d'Omyrhy et la frontière de l'Ynorie. Et ce n'était même pas dit que ce fusse sa destination. Il arrivait à peine à comprendre comment il avait pu survivre à toute cette histoire et, au final, il avait fini seul et inconscient, paumé en plein milieu d'une forêt inconnue. On aurait dit un lendemain de cuite après une soirée trèèèèèèèèèès étrange.

Mazhui changea alors de sujet en marchant un brin.
"Mercurio, c'est ça ? Vous êtes donc des nôtres... Que puis-je faire pour vous ?"

Le langage de Mazhui était simple et compréhensible, mais l'humoran était un peu sur les nerfs depuis son arrivée au port. Il n'aurait pas su dire pourquoi d'ailleurs, mais le moindre détail contrariant le faisait enrager. Après le coup du pirate de pacotille en décomposition, c'était ce grand bourge d'ynorien qui l'agaçait. Bon, il comptait pas le frapper parce que bon, si c'était lui qui mettait le pognon dans la caisse, se le mettre à dos n'aurait pas été très malin, mais quand même. Il ne lui revenait pas. Il n'avait rien fait ou dit de mal, mais c'était viscéral. Il ne l'aimait pas. Il parlait avec un calme énervant. Et il ressentait qu'il lui posait cette question comme pour se débarrasser de lui au plus vite. Non mais qui c'était, celui-là, pour lui parler sur ce ton condescendant ? Il voulait dire quoi, son "Vous êtes donc des nôtres..." ? Il n'avait qu'à le dire, si sa tronche ne lui allait pas. C'était quoi son problème, il avait quelque chose contre les worans ? Ou alors c'était la vue d'un pauvre qui incommodait monsieur le pété de thune ? Et puis, c'était quoi son "Que puis-je faire pour vous ?" aussi ? Il avait une tronche de mendiant peut-être ? D'après lui, qu'est-ce qu'il pouvait bien vouloir ? Réintégrer l'équipage, pardi ! Quoi d'autre ? Il n'avait pas fait tout ce chemin pour chasser les rats du port !

Le pire était certainement que Mercurio ne se rendait pas vraiment compte qu'il se prenait la tête et s'énervait tout seul sans véritable raison valable.

Il se contint et répondit franchement :
"Elias m'a dit qu'vous formiez un nouvel équipage. J'veux en être."



Un nouvel équipage - Chapitre VII

Un colosse s'approcha néanmoins de Snori, un homme du Masamune, pour signaler que parler des sang-pourpres n'était pas forcément la meilleur chose à faire. Celui-ci le regarda, surpris :

« Bah, ils verront bien que je suis à bord, non ? Hors de question que je laisse partir Leyna sans personne pour la protéger ! Je viens, moi aussi ! »

La prêtresse sourit. Il était fort gentil, il fallait le reconnaître. Pendant ce temps, Kassara et son mari observaient, et ce dernier déclara :

« Ma fois, c'est bien peu, mais je peux peut-être donner à cet équipage un objectif qui les unirait... Il faudrait que je parle à la capitaine... »

Leyna hocha la tête, mais fit signe d'attendre que l'équipage ai fini de se présenter. Elle était néanmoins curieuse de savoir ce qu'il voulait dire.

*<---*




Les diverses interventions semblèrent apaiser le groupe disparate. Et ce terme était plus approprié encore que je ne l'aurais cru. Les diverses silhouettes commencèrent à se présenter, d'origines diverse, la plupart ne semblait se connaître que par leur voyage contraint en mer. C'était d'un côté une bonne chose car une épreuve affrontée ensemble créait des liens. Mais c'était aussi leur faiblesse. Sans but commun, l'équipage risquait d'avoir moins d'entrain à œuvrer de concert. Et parmi mes nouveaux compagnons, j'en remarquai certains restant silencieux. Eux allaient être les éléments à garder à l’œil. Soit ils étaient d'une timidité certaine, soit, comme l'immense figure à crocs semblait le laisser deviner, avaient un caractère bien trempé. Ou peut-être juste un handicap concernant la parole.

Je me coiffai de mon tricorne puis entendis s'approcher mon protecteur. Sa voix était encore plus basse que d'habitude, rendant tous ceux qui ne l'avaient jamais côtoyé encore moins enclins à le comprendre. Et c'était tant mieux. Il me conseilla de faire attention car certaines personnes tenaient à leur anonymat en mer. Il me fallait garder mes distances avec eux. Il émit ensuite un doute quant à la discipline, maintenant que la confiance semblait avoir été gagnée. Je fis un signe de tête positif.

Mes yeux se portèrent vers mon ami semi-elfe, qui empoignait avec fermeté et un grand sourire les quelques mains qu'on lui proposait. La silhouette immense d'Iguru entra dans mon champ de vision, mais je reportai vite mon attention sur la mauvaise troupe. Mes yeux clairs scrutèrent le visage bronze et à crocs du grand silencieux, mais je me contentai de faire un signe de tête à son intention. Je savais qu'il existait, mais décidai de ne pas le mettre à l'index pour son manque flagrant d'enthousiasme. Il me faudrait aller vers lui lorsqu'il y aurait moins de monde, mais sans le laisser se sentir coincé.

Snori, Snorikios de son vrai nom, avait une voix assez forte pour que je l'entende. Il jurait de ne pas laisser partir la prêtresse sans escorte. Il faisait à sa façon la promesse de la protéger. L'air espiègle de Nahöriel ne m'inspira rien de bon, mais il me manqua une foulée pour empêcher le jeune brun un peu trop alcoolisé de parler.

"Parole du grand ch'valier Kiki !"

Et en plus, il fallait qu'il lui donne un surnom... À un sang-pourpre... Qui venait de déclarer s'être débarrassé de tous ses adversaires depuis longtemps. Je déroulai ma main valide entre eux pour éviter un possible dérapage.

"Si tu veux éviter d'avoir d'autres points de suture, je te conseille de ne pas insister, Nahö'."

Je remarquai finalement d'autres personnes sur ma Rascasse, aux côtés de la prêtresse. Je leur fis un signe de tête, prouvant ainsi les avoir remarqué. Nous allions bientôt lever l'ancre, et une question faisait lentement son chemin sous mon écorce.

Que cap prendre ensuite ?


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