Tulorim. Voilà deux ans qu'Alistair n'y avait pas mis les pieds. En fait, il n'avait fait à l'époque qu'une apparition éclair dans la ville, mais, bizarrement, celle-ci lui avait manqué à la seconde où il l'avait quittée. Aucune autre ville ne respirait la corruption et la dégradation à un degré si parfait. Au cours de son voyage sur Nirtim, il avait pénétré dans presque toutes les villes du continent, à la recherche de LA ville adéquate.

Bien sûr, il savait que Kendra Kâr ne conviendrait pas, elle était une cité bien trop organisé, et les rares groupes de truands qu'il y avait croisé étaient presque entièrement dissous. La milice faisait un travail remarquable dans la capitale. Il avait néanmoins eu plus d'espoirs quant aux villes plus secondaires, comme Bouhen et Oranan, mais là encore les gardes étaient pour la plupart des incorruptibles, les nobles prenaient soin des petites gens, en bref, bien que le chaos régnait dans certains quartiers mal famés, il n'y avait rien de bien pratique pour un individu de son espèce. Dahràm, elle, était bien plus adéquate, mais trop petite pour l'ambition du voleur, quant à Caix Imoros, la ségrégation y était trop présente, et un humain n'avait pas grand chose à y faire. Les villes de l'Est ne l'avaient même pas intéressé. Les elfes blancs étaient bien trop suspicieux et ordonnés et les hobbits étaient bien trop... ridicules. Et laids.

Il avait donc choisit Tulorim. Avant de la visiter, le voleur pensait s'établir à Exech. Il avait d'ailleurs visité la ville dans le simple but de se rendre compte de son état par lui-même ; la ville était corrompue et la milice œuvrait rarement pour le bien des habitants. Il avait même assisté à une pendaison publique sur un billot improvisé. La ville était chaotique. Trop, même. Beaucoup trop. De plus, la puanteur des lieux étaient, à certains endroits, tout juste supportable. Mais quand il avait vu la capitale d'Imiftil tous ses doutes s'étaient dissipés. Tulorim était un véritable paradis pour voleur. Un assemblage parfait de tout ce qui favorisait l'implantation de bandits dans un lieu. A croire que c'était un secteur d'activité comme un autre dans la cité portuaire. La haute ville était remplie de richesses, mais les bas quartiers étaient bien assez délaissés de la surveillance de la ville pour pouvoir s'y établir durablement. La concurrence serait rude, mais pas insurmontable... Tout concordait.

Sortant de ses pensées, Alistair fit quelques pas pour se dégourdir les jambes. Il n'avait pas le mal de mer, mais l'océan avait été tempétueux durant le trajet, et il avait préféré rester dans sa cabine la plupart du temps. L'air iodé de la côte lui rappelait sa petite enfance, alors que sa mère était encore de ce monde et qu'il savait ce que signifiait le mot ''Amour''. Un nœud se forma dans son ventre avant qu'il ne chasse ses souvenirs pour revenir au présent. Il repensait rarement à ses vrais parents ; cela faisait parti de son système de défense contre la douleur, tout comme son blocage émotionnel.

L'odeur de sel fut vite balayée par celle, plus forte, des poissons fraîchement pêchés que ramenaient un vieux marin. C'était du hareng, et, aussi nauséabond était-il, le fumet rappelait à l'estomac du jeune voleur son appétit ; aussi décida-t-il de prendre la direction des quartiers marchands à la recherche d'un lieu où se sustenter. Il devrait néanmoins se dépêcher s'il ne voulait pas se retrouver à chercher un logis dans la pénombre. Alistair espérait retrouver la maison abandonnée qui l'avait accueilli durant son premier séjour dans la ville, mais l'obscurité ne l'aiderait pas. En repensant à son habitation de fortune, le jeune voleur se rappela de la jeune demi-elfe qui l'avait guidé. Une jeune fille très agréable à regarder, certes, mais d'une naïveté époustouflante. Son nom lui échappait. Peut-être était-elle encore en ville ? Si oui, il aurait besoin d'elle, sinon, il devrait trouver une autre idiote facile à manipuler, et ça ne serait pas simple d'en trouver une aussi magnifiquement douée pour croire tout ce qu'on lui raconte. Mais il avait beau chercher et chercher encore, il ne réussissait pas à se souvenir de son nom. Il avait pourtant une excellente mémoire, mais celui là lui échappait, et ce genre de détail l'agaçait profondément. Tout en marchant vers le centre de la ville, il continua à chercher mentalement le nom de la bâtarde, sans succès.

Elena me rejoint quelques minutes après dans notre cabine. Elle m'annonce d'abord que notre voyage a prit deux heures de retards à cause de cette attaque. Elle s'assoit ensuite sur le lit et commence à penser ses quelques blessures superficielles avec mon aide. Quelques minutes plus tard, toutes celles-ci sont recouvertes de bandage. Je tourne finalement mon visage vers elle et l'admire. Cependant, son regard fuit le mien et elle s'en détourne. De mes doigts je saisis son menton et la force à me fixer. Un instant plus tard, je pose mes lèvres sur les siennes.

« Rayd... J'ai besoin de sommeil. »

Je n'insiste pas et ôte mes vêtements. Quelques secondes plus tard, nous sommes tous les deux dans le lit froid, prêt à se plonger dans le monde des rêves. Je ne me fais pas prier pour me blottir contre elle cependant, m'endormant en caressant sa douce peau blanche.

La nuit passe et au petit matin, le bateau est au port. Nos bagages dans les mains, ma complice et moi descendons le pont menant au quai. Celui-ci est très agité. Il règne ici une atmosphère pesante. La foule est en effervescence, des voyageurs embarquent, débarquent, quelques étals sont installés pour attirer les visiteurs et plusieurs groupes de personnes discutes un peu partout. Je peux d'ailleurs reconnaître quelques personnes qui ne sont là que pour vider les poches trop pleines des touristes et des marins. Leurs mains habiles pénètrent les bourses sans se faire remarquer.
Il ne fait pas bon traîner ici. Je prends dans ma main celle d'Elena et l’entraîne au cœur de la ville. C'est notre point de chute, notre destination finale pour mener à bien notre mission. Là-bas, nous auront de nouveaux ordres.

Les rues de Tulorim

Adenor n’eut pas à suivre Nipolc bien longtemps pour parvenir au port de Tulorim. Au loin devant elle se dressaient les mats de nombreux bâtiments. Du simple rafiot à l’énorme navire, le port de la ville semblait rassembler des navires venant de tout Yuimen.

Nipolc épiait le port, à la recherche d’un navire très précis. Tout en progressant, il s’adressait à la jeune elfe.

- « Depuis plusieurs jours, une frégate imposante est à quai. Je ne sais pas à qui il appartient, et n’ai pas la certitude qu’il se dirige vers Kendra Kâr. Mais son élégance et sa finesse n’ont pas d’égal. Vous ne trouverez pas plus rapide que lui. »

Bientôt, Nipolc s’arrêta. Le bateau était là, tellement majestueux qu’Adenor n’eut aucun doute sur le fait que c’était de celui-là que lui parlait Nipolc.

- « Le vaisseau de Mademoiselle est avancé »

Sur le travers du bateau s’affichait son nom, imposant, dans une calligraphie raffinée, en lettres dorées. L’Allégresse. Avec une telle appellation, si Adenor parvenait à monter à bord, le voyage promettrait de ne pas être désagréable.

Intimidée par les gardes répartis de part et d’autre de l’appontement, vêtus de rouge, hallebardes dressées vers le ciel, elle n’osait trop regarder en direction du bateau. Pourtant, Nicolp semblait insister pour qu’elle se dirige vers eux.
Timorée, elle s’adressa à l’un des hommes.

- « Bonjour. Je cherche à rejoindre Kendra Kâr rapidement. Par le plus grand des hasards, auriez-vous… »

Adenor n’eut pas le temps de terminer sa phrase que l’homme pointa son arme dans sa direction, la menaçant exagérément.

- « Personne ne passe ici ! À moins de me donner la preuve d’une autorisation exceptionnelle ! »

Adenor balbutia quelques mots

- « Je heu… Non, je n’en ai pas… »

Au moment où elle se retournait vers Nicolp, impuissante et désarmée, une tête à la blondeur du blé se démarqua des autres présentes sur le navire. L’homme venait d’arriver sur le pont et vociférait des ordres autour de lui. Sa tenue, bien plus noble que celles des autres, démontrait qu’il devait être quelqu’un d’important, le capitaine, sans doute.

L'Allégresse

*<--*





Une fois mes achats de fluides effectués, ce fut dans les pas d'un Nahöriel pressé de sortir de la foule que je me dirigeai dans la partie ouest de la ville. Je me doutais que le voleur avait une idée derrière la tête, mais il ne m'en souffla pas un mot. Il se contentait de régulièrement s'assurer qu'il ne me distançait pas, tout en avançant à grandes enjambées en direction du port. À sa suite, je longeai des bâtiments, progressant jusqu'à la zone la plus au nord. Cette dernière se terminait par un mur marquant la séparation entre le monde des créatures terrestres et la force aquatique.

Nos pas nous conduisirent dessus, et pratiquement au pied de la haute construction gardant l'entrée de la zone portuaire. Je n'y prêtai qu'une brève attention, occupée à observer le semi-elfe. Vivement, celui-ci s'assit au bord du mur, laissant ses jambes au-dessus des flots. Ici, presque pas de présences humanoïdes, et un point de vue dégagé sur les installations. Prudemment, je décidai de ranger mon grimoire avant de prendre place aux côtés du jeune brun. Son regard marron était rivé aux voiles blanches des grands navires amarrés pratiquement face à nous.

Après quelques minutes sans émettre le moindre son, Nahöriel finit par briser le silence, sans pour autant me regarder.

"Que d'souv'nirs. L'odeur marine, le mouv'ment des vagues, le grinc'ment du bois et la toile qui claque au gré du vent."

Mue par une certaine curiosité, et pour m'occuper un peu pendant que mes doigts d'écorce cherchaient la gourde contenant les fluides nouvellement acquis, je me décidai à poursuivre la conversation.

"Tu sembles nostalgique."

Gardant son attention rivée aux navires, le demi-elfe poussa un léger souffle.

"Mon enfance a été bercée par des chansons d'marins, d'pêcheurs et par les histoires sur Moura. Un peu qu'j'suis nostalgique."

Extirpant mon contenant de ma sacoche, j'écoutai mon camarade poursuivre. Je ne savais pas si c'était la disparition de Shaa'Nod ou la mort dans l'oeuf de sa vengeance qui en était la cause, mais son énergie presque naïve avait disparu. Je portai le goulot à mes lèvres, me concentrant pour ingérer le fluide aquatique. Je comptais bien renforcer mes capacités, et je jugeais l'endroit approprié pour le faire.

"La Troupe s'déplaçait surtout à pied, c'est pour ça qu'si j'pouvais..."

Nahöriel se tut, semblant s'échapper dans ses pensées pendant que l'effet de la substance absorbée se faisait ressentir. Malgré l'absence de saveur ou de consistance du fluide, je pouvais en percevoir la présence couler en moi, semblant s'insinuer dans chaque parcelle de mon corps. Pendant un instant, mes sens me dupèrent, me faisant croire que cette magie aqueuse empruntait les mêmes canaux que ma sève. La sensation était étrange, comme si de la pluie tombait doucement, mais sous mon écorce. À chaque seconde sa goutte, au point que j'eus la conviction de sentir aussi bien physiquement que mentalement cette augmentation de flux. Mes pensées m'amenèrent à visualiser un petit étang sur lequel tomberait une pluie dense. La masse aqueuse augmentait en taille, sans pour autant risquer d'être hors de contrôle. C'était à croire que sa présence préalable permettait de mieux orienter les fluides additionnels.

Lorsque les sensations s'atténuèrent, je tentai de manipuler mes fluides d'eau. Une certaine surprise m'étreignit quand je m'aperçus de la soudaine difficulté de la chose. Avant, il me suffisait de concentrer ma magie et de la canaliser vers ma main végétale, mais ce n'était plus le cas. Ou plutôt si, mais tout se passait trop vite en moi pour qu'il me fusse possible d'en garder la maîtrise. L'obstacle me rappela la fois où j'avais tenté d'apprendre à projeter de l'eau. Tout comme ce jour-là, j'avais maintenant l'impression que cette énergie s'écoulait bien plus rapidement en moi. J'étais certaine que si je tentais de lancer le moindre sort dans mon état actuel, je risquais juste d'avoir un retour de fluide.

Silencieusement, je décidai de les manipuler pour m'y accoutumer. C'est cet instant que choisit le voleur pour me regarder.

"Eh Mytha, qu'est-ce que tu comptes faire maint'nant ? Voir la bibliothèque ?"

Je secouai négativement la tête, lui rendant son regard.

"Pour le moment, je n'en vois pas l'utilité. Te souviens-tu de cet être qui me ressemblait à l'auberge ?"

"Oais, j'me souviens. Encore désolé pour l'interruption, mais j'voyais que toi qui... Enfin, t'es la seule personne que j'connaisse qui soit capable de fabriquer d'l'eau."

"Je comprends. Pour en revenir à cet être, c'était un oudio, comme moi. Il m'a été d'une grande aide pour comprendre les miens."

Les yeux du jeune voleur se rivèrent aux miens, et pour une fois je ne reportai pas ailleurs mon attention. Étrange. D'ordinaire, j'avais cette tendance instinctive à éviter les regards, mais là, c'était différent. Je mis cela sur le compte de l'échange plus que profitable avec un aîné de ma race, préoccupée par l'air un instant perdu de mon interlocuteur.

"Donc... Tu vas... Tu vas r'tourner chez toi ?"

Il ne me fallut que quelques instants de réflexion avant de faire de nouveau un signe de tête négatif.

"Je ne peux pas. Même si le lieu où je suis sortie de terre me tient encore à cœur aujourd'hui, je n'y ai plus ma place."

Le visage de la louve guérisseuse me revint en mémoire, et ce souvenir fit se serrer mes canaux de sève. Elle me manquait beaucoup, mais je ne comptais pas retourner sur mes pas. Maintenant que j'avais quitté le Cercle, et quand bien même l'absence de mes frères mages se faisait sentir, je ne voulais pas demeurer enracinée dans des idées du monde issues uniquement d'ouvrages. Je souhaitais parcourir cette réalité par moi-même, et voir ce que ce monde avait à offrir de mes propres yeux.

Une expression un peu soulagée se peignit sur les traits de Nahöriel. Il finit par rassembler assez de courage pour exprimer ses pensées, mais il le fit si vite qu'il mangea certaines syllabes.

"Un peu comme moi. Dans c'cas... Si... Enfin, si on restait ensemble ? J'veux dire, j'sais qu'j'ai remboursé ma dette envers toi, et qu't'as p't'être encore un peu d'mal à t'faire à ma présence mais... "

C'était donc là qu'il voulait en venir. Ce jeune être devait pourtant connaître d'autres personnes à Tulorim, mais c'était avec moi qu'il voulait rester. Je n'en compris pas bien la raison, constatant juste qu'il était sérieux et nerveux. Après avoir écarté une mèche végétale de mon visage, je songeai qu'il avait peut-être raison. J'étais étrangère à cette ville, et la présence du voleur possédait cette étrange capacité à me rassurer malgré le mauvais souvenir de notre première rencontre.

Doucement, l'écorce de mes lèvres s'étira en un mince sourire.

"J'approuve cette idée. Nous avons sans doute des choses à apprendre l'un de l'autre."

Immédiatement, le visage semi-elfique s'illumina d'un sourire joyeux. Nahöriel plissa les yeux, serra le poing, et émit un étrange son satisfait qui me fit hausser un sourcil. Je ne relevai pas ce détail pour autant, me sentant étrangement apaisée par le retour de cette expression presque infantile.


*-->*


[Absorption du fluide 1/8 d'eau.]

*<--*




L'échange de regard entre nous dura de longues secondes, mais fut interrompu par le soudain grondement d'une forte vague. Les gouttelettes salées parvinrent à la hauteur de mes pieds, humidifiant légèrement les bandages terreux. Le voleur, d'abord surpris par le mouvement d'eau, émit un rire discret, presque embarrassé, avant de reporter son attention sur les vaisseaux proches. Ses yeux brillaient comme ceux d'un enfant, et je n'eus aucune difficulté à comprendre à quel point le désir de prendre la mer le tenaillait. Quant à moi, je n'avais pas encore réfléchi à la question, mais plus j'y songeais, plus l'idée m'attirait.

Du coin de l'oeil, je vis le semi-elfe amener à ses yeux la dague de Shaa'Nod. Il esquissa un sourire puis se mit à secouer négativement la tête. Avant qu'il m'ait été possible de poser la moindre question, il prit les devants.

"Quand Shaa'Nod ne parvenait pas à raisonner un type, il empoisonnait sa lame pour l'calmer."

"Du poison ?"

"Ah, mais pas l'genre qui tue ! Plutôt celui qui t'rend incapable de bouger un cil. Ca m'rappelle qu'une fois, on a croisé une autre troupe un peu comme la nôtre, mais avec des magiciens. Y'en a un qui pouvait faire la même chose, mais avec un sort d'eau."

Une expression enthousiaste s'afficha sur les traits du voleur. J'eus un étrange pressentiment, qui se confirma quand il tendit le poing serré sur la dague, devant lui.

"Eh, tu peux le faire aussi ?"

"Le faire... Altérer la mobilité à l'aide d'un sort ? Ce n'est pas dans mes capacités actuelles."

Face à l'air presque déçu du voleur, j'inclinai la tête, lui offrant un mince sourire. C'était la vérité, je n'avais jamais pratiqué ma magie dans ce but. Cependant, j'avais déjà eu l'occasion d'observer ce sort en action, entre les mains de l'Ancien et pour calmer une querelle. Cela avait été un peu cruel de sa part, mais l'efficacité avait été là. Je me souvins de son faciès sérieux tandis qu'il canalisait ses fluides. Rien ne m'empêchait d'essayer de le maîtriser à mon tour.

J'y songeais bientôt. Posséder une capacité pareille ne pouvait que s'avérer utile en cas de lutte, ce qui ne manquerait sûrement pas d'arriver. J'avais beau frémir d'envie à l'idée d'explorer ce monde, je n'étais pas naïve au point d'en oublier les nombreux dangers qu'il abritait.

"Mais il n'est jamais trop tard pour apprendre."

Nahöriel esquissa un sourire amusé, puis il rangea la dague avant de reporter son attention sur les activités du port. C'était tant mieux, car j'avais besoin de réfléchir à la manière de manipuler et canaliser mes fluides aqueux de cette façon. Par le passé, j'avais déjà appris à projeter de l'eau classique, et de l'acide. Cette fois-ci, il me fallait altérer ma magie pour produire une substance nocive pour le corps, mais différente d'un produit corrosif. Si je voulais entraver les mouvements d'un hypothétique adversaire, je me devais d'assaillir ses muscles, en particulier ceux des membres. La question restait de savoir comment.

Mes yeux clairs se posèrent sur l'étendue salée qui nous faisait face. J'avais beau avoir vu mon tuteur en faire usage, je n'avais aucune véritable idée du bout par lequel prendre ce problème. Après quelques minutes de réflexion, j'en vins à la conclusion que je devais produire un réactif magique, destiné à agir sur la musculature de ma cible. C'était là le principe d'un poison, inoffensif tant qu'il n'était pas entré en contact avec ce qu'il devait altérer. La conséquence que je cherchais à obtenir était la densification de l'eau contenue dans le corps adverse, de sorte à ce que la masse devienne de plus en plus difficile à contraindre au mouvement. Ne sachant pas comment obtenir ce résultat, je tendis la paume devant moi, maniant mes fluides d'eau.

Je m'entrainai à densifier ma magie, à la concentrer, mais je me retrouvai bientôt dans une impasse. La manier de cette façon ne servait qu'en cas de projection aquatique, lorsque de la puissance s'avérait nécessaire pour mettre la masse d'eau en mouvement. Je cessai donc la manipulation pour tenter une autre approche. Il me fallait d'abord apprendre à densifier l'eau, mais hormis celle du port, nulle flaque sur laquelle m'exercer. Malgré une certaine appréhension, je choisis de m'appuyer sur le voleur.

"Nahöriel ?"

"Hum ?"

Il ne me regardait pas, contemplant toujours les hautes voiles des bâtiments amarrés, mais j'avais apparemment son attention.

"Je vais avoir besoin de tes mains."

"Ah ?"

Faisant preuve d'une certaine confiance en moi, le semi-elfe tendit les mains serrées, que je manipulais de sorte à ce qu'elles forment un creux solide. Lentement, j'y matérialisais de l'eau claire, sous l'oeil curieux de leur propriétaire. J'accolai ensuite mes serpentins d'écorce contre le dos de ses mains, ne plaçant que mes pouces à l'intérieur du creux. Une fois mes préparatifs faits, je me remis à la tâche. Ne sachant pas véritablement comment procéder, je cherchai d'abord à agiter l'eau au moyen de mon énergie magique. Une fois un lien établi, rendu visible par le mouvement circulaire du liquide, je me penchai sur la massification du liquide.

J'ignorais si ce que je faisais portait un nom, mais je visualisai et essayai de le rendre plus lourd, plus massif, presque solide en vérité. Doser l'influence de mon énergie s'avéra être une tâche complexe. Soit je ne l'employais pas assez, laissant l'eau dans son état premier, soit c'était l'inverse, provoquant une soudaine forme de pétrification de l'élément. Le voleur émit un petit rire lorsque je portai à mes yeux l'étrange perle déformée créée par la magie, objet qui redevint simple amas de gouttes une fois la manipulation suspendue. Il me fallut du temps, dont je perdis la notion pendant l'exercice.

Patient, Nahöriel me regardait faire, détournant parfois les yeux pour observer un navire entrer ou sortir du port. Je lui en étais reconnaissante, me doutant que mes actes ne devaient pas vraiment faire sens pour le jeune semi-humain. À force de patience, je parvins à densifier l'intégralité de la portion d'eau, au point que cette dernière avait pris une étrange consistance. Elle était molle, luisante, et des parcelles de la matière restèrent collées à mes doigts d'écorce quand je les ôtai. Je venais de trouver la concentration recherchée pour épaissir l'eau, même si je jugeais le résultat peu uniforme. La voix curieuse du voleur s'éleva, tout comme ses mains encore jointes.

"Bizarre comme matière... Tu penses que c'est comestible ?"

Je haussai un sourcil, intriguée par l'idée étrange de mon interlocuteur, avant de lever les mains. Ma tête effectua un mouvement négatif, attestant de mon ignorance. J'observai le voleur tandis qu'il reniflait puis portait la substance à ses lèvres, y donnant un coup de dents. Il mastiqua un peu puis déglutit. À son tour, il manifesta un brin de curiosité.

"Euh... Oui. C'n'est pas mémorable côté goût, mais ça rafraîchit. Par contre, j'me vois mal survivre juste avec ça."

J'émis un souffle amusé, acquiesçant à la remarque. J'étais toutefois loin d'en avoir terminé avec l'apprentissage d'une telle capacité. Il allait me falloir parvenir à manipuler et épaissir l'eau à distance, puis faire en sorte de masquer les effets de ce sort sous une forme presque anodine. Il me paraissait logique que l'efficacité d'un poison dépendait en grande partie de la façon dont il était administré.

Je marquai donc un bref moment de pause pour cogiter, m'entrainant pendant ce temps à retrouver naturellement le bon dosage.

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Pendant plusieurs minutes, je m'exerçai à manier mes fluides, m'étonnant de ressentir une telle impatience. Lors de mes tentatives pour projeter de l'eau, j'étais moins pressée d'y parvenir, intéressée par tout le processus. Là, je n'avais qu'une envie, parvenir à créer ce poison magique évoqué par le voleur. Un peu confuse, je cherchai à comprendre ce qui avait pu m'arriver entre mon départ du Cercle, et cet instant. Je me sentais l'envie de bouger, d'agir, de faire quelque chose de mes capacités, sans pour autant savoir quoi.

Décidée, je repris le cours de mon entraînement. Avisant les ondulations à la surface marine, je fis avec moi-même le pari d'en changer la nature physique. D'au moins une portion, en tous cas. Esquissant un sourire faisant grincer mon écorce, je déroulai mes doigts de cette même matière dans la direction de l'eau, tentant de manier cet élément insaisissable à distance. Je fus rapidement confrontée à une sensation étrange. J'avais beau ressentir la présence de ce que j'avais sous les yeux, je ne parvenais pas à entrer en contact avec son énergie.

Suite à une idée saugrenue, je décidai de lier ma magie directement à la masse aqueuse pour tenter de la manipuler. D'essayer, du moins. Je me rendis bien vite compte qu'une chose pareille était aussi faisable que de soulever une montagne après y avoir planté une pioche. Je me ravisai donc, cherchant de mes yeux clairs un autre point liquide qui soit plus volumineux ou mobile que celui des mains du semi-elfe. Rapidement, je remarquai la présence de rochers ponctués d'algues, accolés au haut mur sur lequel nous nous trouvions. Par moments, une onde amenait un surplus de liquide, qui s'écoulait ensuite par les interstices.

(Pourquoi pas ?)

Lentement, mes doigts végétaux décrivirent un arc de cercle dans cette nouvelle direction. Concentrée, je m'évertuai à lier ma volonté à ma cible. La chose me parut plus simple, mais la quantité supérieure de liquide m'obligea à focaliser toute mon attention dessus. Par moment, le mouvement des vagues attirait mon regard, me distrayant de ma tâche. J'avais en tête une étape simple : parvenir à altérer de la matière à distance. Si j'y parvenais, il me serait ensuite plus facile de canaliser le sort de poison. Je n'aurais plus qu'à me servir de mes connaissances en projection aquatique pour envoyer le réactif magique sur ma cible.

Silencieusement, je m'attelai à cette tâche. À mes côtés, le voleur se mit à chantonner un air à la fois rythmé et mélancolique, me rappelant le tempo des vagues. C'était sans doute une chanson de marin dont il m'avait parlé plus tôt, mais je m'efforçai de ne pas me laisser distraire. Petit à petit, j'amenai l'eau prisonnière à changer de consistance, me retrouvant régulièrement déstabilisée par l'apport de liquide d'une vague. Je ne pouvais pas m'empêcher de sourire en songeant que c'était une occasion parfaite pour faire d'une pierre deux coups. J'apprenais à dompter ma nouvelle force intérieure, et la mettais à contribution.

Pendant encore de longs moments, suffisamment pour que quelques passants se succèdent, je fis au mieux pour provoquer la modification de l'eau salée, et surtout la maintenir dans cet état. Lorsqu'il me semblait que je maitrisais à peu près cette étape, je marquai une brève pause. Distraitement, je replaçai ma chevelure végétale derrière mon oreille, tendant cette dernière vers Nahöriel. J'avais une certaine admiration pour ce semi-humain, se montrant toujours aussi patient malgré le temps que je mettais à manier ma magie. Quand nos regards se rencontrèrent, il me fit un petit signe de tête amical, puis il s'empara de sa flûte à trois trous. Dans la brise marine, il se mit à jouer l'air aigu qu'il m'avait déjà fait écouter pendant le voyage. J'en profitai quelques instants avant de reprendre ma tâche.

Amenant ma magie dans ma paume droite, je concentrai mon énergie, puis la projetai vers le creux. Il me fallut plusieurs essais pour parvenir à un résultat tout juste satisfaisant, mais bien meilleur qu'à mes débuts. Toutefois, il m'était impossible de vérifier son efficacité plus avant. Cela aurait requis la présence d'une victime, et je me voyais mal demander à un passant de me servir de sujet de test. J'avais beau être sûre de moi, du moins en grande partie, je ne serais pas en mesure de le vérifier avant un moment. Tournant mon visage vers le semi-elfe, je poussai un léger souffle.

"Je crois que j'en ai fini."

Les yeux marrons et emplis de curiosité se braquèrent dans ma direction.

"De vrai ? Tu veux l'essayer ?"

Haussant un sourcil, je l'incitai à poursuivre sur sa lancée sans prononcer un mot.

"T'as besoin d'savoir si ça marche, non ? J'suis volontaire !"

"Nahöriel... Cela reste un poison, et de la magie. Et si cela t'affecte plus que de raison ? Ce n'est pas comme si nous avions un guérisseur à portée de... Main."

Je réalisai à mes propres paroles qu'en réalité c'était potentiellement le cas. Après tout, j'avais acquis des fluides de lumière. Or, cette énergie était une ressource toute indiquée pour les usages curatifs. Portant la main à ma sacoche, j'en extirpai le flacon à la lueur dorée, le regardant avec une certaine attention.

"Quoique ?"

"Mytha ? Tu fais une tête bizarre."

"Sans doute. J'appréhende les conséquences de mon geste."

"Ah ?"

"Mon corps n'est habitué qu'à la présence de fluides d'eau. Je pense toutefois que rien ne va à l'encontre de leur absorption."

"Et... En langue commune ?"

"Je ne risque sans doute rien de trop dangereux en les avalant."

"Ah ! ... Ah ?"

J'esquissai un sourire à l'air soudain suspicieux du jeune voleur. Toute son attention était tournée vers moi, et surtout sur le contenant. Délicatement, je fis sauter le bouchon et, après une brève hésitation, amenai le matériau magique à mes lèvres. Presque comme le fluide d'eau, il ne me laissa pas véritablement de sensation physique. La seule différence était que, là où le premier me donnait le sentiment de gonfler mon potentiel, celui-ci faisait naître une certaine chaleur et un confort familiers. Je patientai, à l'écoute de mon corps, intriguée et tout de même légèrement inquiète. Je ne parvenais pas à me rappeler à quoi cela me faisait penser.

Peu à peu, la lueur se fraya un chemin, venant se loger au milieu de ma cage thoracique. Par instinct, j'apposai mes longs doigts sur ma cape à ce niveau, baissant un peu le nez. Ma sève pulsait doucement, mais contrairement à mon énergie magique principale, celle-ci ne se diffusait pas. Elle se concentrait en un point, réagissant différemment. Je me sentis étrangement rassurée de la chose. Puisque mes points énergétiques étaient différents, je n'avais qu'une très faible chance de me tromper dans leur manipulation.

J'esquissai un sourire quand mon corps me fit comprendre que l'épreuve était passée, mon liquide de vie reprenant une course lente sous mon écorce. Je rendis ensuite son regard au voleur, resté immobile mais attentif.

"Eh, ça va ?"

"Un peu dubitative, mais je ne me sens pas mal."

"Tant mieux ! Tu crois qu'tu vas pouvoir t'en servir ?"

"Je dois d'abord m'habituer à manier cette magie. Cela risque de prendre un peu de temps."

"Oh. Ben... Bon courage alors ! "

Et sur ce, Nahöriel se remit à jouer de son instrument avec lenteur. J'acquiesçai. Le plus difficile n'allait pas être de concevoir un anti poison, puisque l'ayant élaboré, je connaissais le réactif et la manière d'en inhiber les effets. Il allait simplement me falloir encore un peu de temps.

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[Absorption du fluide 1/8 de lumière]

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Prudente, je me mis à l'oeuvre pour apprendre d'abord à manier cette énergie inconnue. Cela avait beau être de la magie, elle réagissait différemment de celle que je possédais au naturel. Je ne la sentais pas couler en moi, mais se diffuser à partir de ce point nouveau dans ma poitrine. Tentant d'abord de la contrôler comme mes fluides d'eau, je compris presque tout de suite que je n'y parviendrais pas. La magie de lumière réagissait différemment. Aussi, tentant de me rappeler de ce que j'avais appris au Cercle, je tentai une autre approche. Progressivement, je maniai cette puissance nouvelle, l'amenant à former des points dans mes bras. À partir de ceux-ci, la magie non matérialisée passait de mon sternum à ma paume, se diffusant peu à peu. Bientôt, et avec une certaine curiosité mêlée d'émotion, je vis l'éclat d'un minuscule soleil au creux de ma main végétale.

Amusée, je m'essayai à sa manipulation, remarquant d'un coup que Nahöriel avait cessé de jouer pour me regarder faire. Déconcentrée, je perçus un son de bulle éclatée contre mon écorce végétale, finissant par me rendre compte qu'il était issu de ce petit dôme de lumière.

(Une bulle, hum ? Pourquoi pas ?)

Poussée par ma curiosité, j'amenai mes deux mains devant moi, à plat. Sur celle de gauche, j'amenai mon fluide d'eau, chargé du réactif destiné à l'empoisonnement. Sur l'autre, je fis de même avec celui de lumière. Je me crispai en constatant la difficulté avec laquelle manier ces deux énergies distinctes au même moment s'avérait ardu. Pourtant, je persévérai dans ma tentative. Mon idée était simple : doser les deux canalisations pour faire en sorte qu'elles s'annulent mutuellement. Une larme de sève se fraya un chemin entre les fines ravines de mon écorce frontale tandis que je m'efforçai de contrôler ce que je faisais. Ce que je redoutais le plus en cet instant était que l'énergie se fasse sauvage, risquant de blesser le voleur.

Flot bleuté contre lueur dorée, les deux flux décrivaient une danse lente à la surface de mon écorce. Ils se tordaient, prenaient le pas l'un sur l'autre avec alternance pendant que je cherchais à équilibrer leur puissance. Inspirant lentement, je pouvais sentir l'engourdissement de mes avant-bras et de mes longs doigts végétaux, parcourus par la magie. Je décidai de marquer une brève pause, le temps de me remettre de ce fourmillement désagréable.

"Tiens."

Jetant un regard sur ma droite, je vis Nahöriel me tendre un sachet ouvert dans sa paume. À l'intérieur, je pus distinguer des quartiers de fruits dénués d'eau. Le voleur poussa la main un peu plus dans ma direction, m'incitant à me servir.

"Grignoter un peu n'fait jamais d'mal."

J'émis un souffle amusé, acquiesçai, puis attrapai du bout des doigts l'un des quartiers. En bouche, le morceau déshydraté laissait une sensation pâteuse et sucrée. Cela me changeait des bouillons d'eau boueuse ou de légumes, mais je me retins de me resservir. Inutile de prendre le risque que mon corps rejette la chose. Ce fut avec un certain amusement que je vis le semi-elfe brun piocher dans le petit paquet à plusieurs reprises. Après avoir profondément inspiré l'air marin, je repris le cours de ma manipulation.

Plusieurs navires eurent le temps d'entrer et de sortir du port avant que je ne parvienne à équilibrer mes fluides. Lorsque j'eus pris suffisamment confiance en moi, j'en avertis le voleur. À peine celui-ci entendit-il la nouvelle qu'il rangea le sachet et dégagea son bras gauche de sa cape, relevant la manche de sa tunique. Je ne savais pas comment prendre sa proposition. Était-il fou pour vouloir se mettre en danger de cette façon ? Avait-il à ce point confiance en moi qu'il était prêt à s'y risquer ? Par principe, même si je savais déjà ce qu'il allait me répondre, je l'interrogeai.

"Tu en es bien certain ?"

"Mais oui ! Allez ! Plus tu attends, et moins tu voudras le faire."

Il n'avait pas tort sur ce point là. Aussi, après avoir longuement expiré, je tendis ma main gauche, projetant un mince filet aqueux en direction de sa peau. Le liquide disparut, immédiatement suivi par une grimace de Nahöriel. Celui-ci se tint le bras, soufflant fortement. Bien décidée à contrer le poison le plus vite possible, je canalisai la lumière, rapprochant ma paume végétale de la zone touchée. Attentive, je visualisai cette lueur atteindre les particules de poison et les entourer. L'opération prit plus de temps que je ne l'aurais souhaité. Le processus visant à contrer les effets du réactif était ralenti, sans doute parce que gêné par la matérialité de la victime.

Malgré la sensation affreuse dont il devait être victime, le jeune demi-humain se montrait courageux, me soutenant verbalement par moment. Il cherchait visiblement à me rassurer sur son ressenti, quand bien même il devait commencer à ne pas apprécier ce qu'il se passait. Les secondes qui s'écoulèrent entre le moment où je parvins à capturer les parcelles du réactif et celui où le voleur put retrouver l'usage de la partie gauche de son corps furent atrocement longues. Sentant poindre l'inquiétude, je scrutai le visage tanné de mon camarade, à son écoute.

"J'crois qu'ça marche, j'commence à r'trouver mes sensations."

Pour appuyer ses dires, il agita ses doigts, fit faire une rotation à son poignet et poursuivit sur un geste de victoire. Un peu fatiguée, je poussai un souffle soulagé, et décidai de me lever. Nahöriel m'imita, son mouvement s'accompagnant d'un gargouillement sonore. Un bref rire lui échappa avant qu'il ne prenne les devants en direction des bâtiments du port. Il avançait rapidement, mais en faisant de nouveau attention à ne pas me distancer, en particulier quand nous parvînmes dans une zone un peu plus fréquentée. Il stoppa subitement son avancée lorsqu'un gigantesque navire fit irruption dans la rade. Faisant le double de longueur par rapport au plus grand vaisseau du port, il arborait deux gigantesques mâts retenant jusqu'à cinq voiles rectangulaires. Sur le pont, de très nombreuses silhouettes s'affairaient. Sa taille était telle que j'eus du mal à savoir où il allait pouvoir s'amarrer.

Nahöriel émit un sifflement admiratif.

"Ca, c'est pas une coque de noix ! C'truc est fait pour affronter la haute mer. Pas la petite houle, mais la vraie surface déchainée. J'te parie qu'il arrive directement de Kendra Kâr."

La taille du vaisseau m'impressionna, mais ce fut surtout le regain d'énergie du voleur qui me marqua le plus. Je pouvais presque percevoir les battements de son coeur malgré la distance. La perspective d'oeuvrer à bord d'un tel bâtiment devait le faire rêver. J'esquissai un sourire et esquivai un passant pressé, me faisant regarder distraitement un édifice dans un état peu reluisant, non loin de nous.

Nahöriel finit par me rejoindre, affichant un air boudeur.

"Eh ! T'éloigne pas trop, j'ai pas envie d'te perdre. Hum ?"

Les yeux marrons du semi-elfe dérivèrent en direction de la bâtisse, lui faisant hausser un sourcil.

"Tiens ? Le vieux a fermé boutique ?"

Le voleur inclina un peu la tête, et sans attendre, se dirigea vers l'entrée. Un réflexe lui permit d'éviter de prendre la porte dans la figure au moment où celle-ci s'ouvrait sur un passant pressé. Nahöriel haussa le ton, mais la silhouette poursuivit sa route sans marquer la moindre pause, laissant le semi-elfe abasourdi. Il finit par secouer la tête, et en profita pour jeter un coup d'oeil à l'intérieur. Avant même de prononcer la moindre parole, il s'y engouffra, me faisant lever les yeux au ciel.

Je m'engageai à sa suite, craignant quand même pour sa sécurité. Après tout, il n'était guère du genre chanceux ou réfléchi.

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[Tentatives d'apprentissage :
- Sort évolutif d'eau "Poison paralysant"
- Sort évolutif de lumière "Anti-poison"]

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Rapidement, je passai la porte pour rejoindre le voleur. Je l'avais à peine fait que le sire Lounge m'emboitait le pas, allant souffler quelque chose à l'oreille du semi-elfe. Je vis alors avec une certaine curiosité ce dernier s'empourprer. Au moment où il ouvrit la bouche, sans doute pour répliquer, il reçut une belle tape dans le dos qui le stoppa dans son élan. J'ignorais ce qui avait été échangé entre eux, mais un sourire certain demeurait sur le visage de l'humain. Je le vis s'avancer un peu, évité par quelques passants pressés, puis se mettre à fouiller dans ses affaires.

Pendant qu'il extirpait ce qui ressemblait à des rouleaux, le voleur s'effleura la cicatrice, puis il se pencha vers moi. À voix basse, il énonça quelques mots.

"Il a vraiment des idées bizarres ce type. Le laisse pas trop t'approcher, hein ?"

Je lui adressai un bref regard, haussant les épaules pour signaler que je ne voyais pas de quoi il était question. Mon attention fut bien plus attirée par ce que faisait notre nouvelle connaissance, à savoir lire des documents. Malgré la distance, je pus nettement percevoir qu'il ne s'agissait pas de simples bouts de papier. Un léger crépitement était perceptible, chose qui me fit plisser les yeux. Par précaution, j'incitai le voleur à ne pas trop s'approcher. Assez rapide dans sa lecture, l'humain finit par jeter les supports, les laissant se gorger d'eau et disparaitre.

Il se retourna d'un coup dans notre direction, et agit exactement de la façon que je redoutais : il fit usage de sa magie sans la moindre retenue. Mes yeux clairs s'arrondirent quand je perçus l'énergie électrique se former. Un sourire de gamin apparut sur ses traits, tandis que j'échangeai un regard inquiet avec mon camarade. Vivement, je secouai la tête et m'avançai vers le jeune homme. Après avoir remarqué que son manège n'était pas vraiment passé inaperçu, sans doute à cause de son cri à notre intention, je tentai de l'inciter à se calmer.

"Êtes-vous devenu fou ? Vous venez à peine de prendre contact avec la magie, et vous cherchez déjà à en faire usage ?"

Retenant mon grimoire, je désignai d'un geste circulaire les quelques badauds curieux.

"Les fluides n'ont rien d'inoffensifs. S'ils échappent à votre contrôle, vous risquez non seulement de blesser les gens autour de vous, mais aussi vous-même. Et je suppose qu'il n'est pas dans vos projets que votre coeur s'arrête subitement suite à une décharge, si ?"

"Mytha'."

Je jetai un regard à Nahöriel, ce dernier me faisant un signe rapide de tête. Visiblement, nous étions en train d'attirer l'attention.

"Faut qu'on bouge. Vite."

J'approuvai d'un signe de tête, puis reportai mon attention sur Nark. Je ne savais pas si mes paroles l'avaient ne serait-ce que fait réfléchir, mais il était hors de question que le voleur ou moi restions à proximité d'une personne inconsciente des risques. Je voulais l'aider à mieux comprendre cette magie, mais il m'était impensable de le faire aussi près de victimes potentielles. J'avais d'ailleurs un autre type de fluide inconnu à absorber, chose qui pouvait m'aider à faire une démonstration, mais je redoutais que l'humain n'en fasse qu'à sa tête.

Le semi-elfe prit les devants, en direction de quais vides, ne se retournant vers moi qu'après quelques pas. Plissant les yeux, je repris brièvement la parole.

"J'ai à coeur de vous guider, mais il vous faut réfléchir à ce que vous vous souhaitez."

Sur ce, j'emboitai le pas au voleur, visiblement décidé à trouver un coin un peu plus calme, qui aurait tout de même une vue sur le port. Le navire à prendre ne partant que dans la soirée, il nous restait sans doute un peu de temps devant nous. Nahöriel stoppa son avancée au niveau d'un ponton vide de toute présence, près duquel une caisse se trouvait, et sur laquelle il prit place. Une jambe repliée, l'autre pendant le long du conteneur, il regardait attentivement les alentours.

De mon côté, je me demandais quelles seraient les décisions de notre nouveau camarade. Plus j'y songeais, et plus il me paraissait semblable à ses fluides : vif, mais surtout imprévisible.


*-->*

Une fois sa démonstration de pouvoir terminée, Nark vit que ses deux nouveaux compagnons le fixaient, mi-incrédules mi-terrifiés. L ‘Oudio se planta devant lui, tentant de lui montrer sa bêtise et le danger qu’il courait. Mais Nark savait que ce qu’il la gênait le plus était l’attention qu’il venait d’attirer. L’enchanteur l’écoutait toujours faire son sermon quand il se mit à exploser de rire. Un vrai rire qui venait du fond du cœur, joyeux. Il se foutait de toutes les paroles de l’arbre humanoïde. Elle ne comprenait pas. En ne comprenait rien. La vie n’était qu’une grande aventure. Il fallait la vivre comme on l’entendait et non pas se tordre l’esprit avec des choses aussi futiles qu’une petite démonstration de magie.

La mage lui demanda ce que le guerrier voulait réellement. Nark songea qu’elle devait être exaspérée par la moquerie sincère du jeune homme, dont les joues étaient baignées de larmes. Une fois son fou rire finit, Nark se rendit compte que les deux individus étaient partis mais il pouvait encore les voir, à quelques dizaines de mètres, sur un ponton de pierre vide. Il marcha en leur direction tout en se préparant à ce qu’il allait leur dire. Une fois arrivé à leur hauteur, il se lança, le visage éclairé par un grand sourire railleur.

« Mes amis, pourquoi être en colère pour si peu de choses ? Hier encore, je me réveillais en ne me souvenant plus rien de ma vie passée. Je ne connaissais ni mon nom, ni d’où je venais ou encore le nom de ma femme. Aujourd’hui, j’ai de nouveau un but. Trouver Heartless, et ce grâce à ce Mazhui. Je découvre aussi que j’ai des pouvoirs magiques, moi qui suis émerveillé par cet art depuis ma plus tendre enfance. Je m’amuse aujourd’hui, moi qui étais si malheureux hier. Que demander de plus ? »

Sans attendre leur réponse, il continua d’une voix d’où perçait sa joie :

« De plus, la vie n’est elle pas qu’une grande aventure ? Elle est courte et peut se terminer d’une minute à l’autre, que ce soit lors d’un combat de taverne et d’une chute à cheval. Alors pourquoi ne pas la vivre pleinement ? Sans se contenir ? Nous n’avons qu’une seule vie et je veux que la mienne soit remplie, que j’aie des choses à raconter à mes petits-enfants plus tard. Je veux que mon nom soit connu de Nirtim à Imiftil en passant par Noara. Que Yuimen lui même connaisse mon nom. Alors qu’importe que quelques badauds me voient faire l’usage de magie ? Cela contribue à l’épopée qu’est ma vie entière. Je ne sais rien de moi, mais je sais que c’est que je désire. »

Il avala sa salive et attendit la réaction des deux personnes. S’ils n’étaient pas d’accord et que cela les gênait, leurs routes se sépareraient. Mais cela ne posait aucun problème à l’enchanteur, qui n'aimait pas beaucoup l'elfe, bien trop rabat-joie.De plus, seuls deux êtres vivants étaient essentiels à sa quête pour le moment : Heartless et Mazhui.

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Bientôt, le visage fendu d'un large sourire, le sire Lounge nous rejoignit. Avant même que le voleur ou moi n'eussions pu esquisser le moindre geste ou mot, l'arrivant prit la parole. Attentive malgré la gêne que son inconscience à user de magie avait fait naitre sous mon écorce, je l'écoutai parler. Il demanda d'abord pourquoi je m'étais mise en colère, fait incorrect d'ailleurs, pour peu de choses. Je ne fis que plisser les yeux à son commentaire. J'avais l'impression qu'il n'avait absolument pas compris où j'avais voulu en venir. Du coin de l'oeil, je vis Nahöriel tendre aussi ses oreilles en pointe au discours.

Nark nous avoua sans détours que la veille encore il ignorait qui il était, mais qu'à présent il avait un objectif. Il voulait retrouver le dénommé Heartless, et j'en déduisis que c'était dans le but de totalement recouvrer sa mémoire. Dans sa voix, je perçus une certaine naïveté quand il expliqua avoir été depuis longtemps fasciné par la magie. Visiblement, se savoir détenteur de fluides le ravissait au plus haut point. À ma grande surprise, le voleur esquissa un sourire peiné, mais impossible d'en connaitre la raison.

L'humain enchaina avec une voix vibrante de joie, amorçant une longue tirade sur le fait que la vie était une aventure. Exalté, Nark exprima sans faiblir sa soif de vie, qu'il souhaitait la voir remplie pour en faire part à sa descendance. Ambitieux, il alla même jusqu'à dire à voix haute vouloir être reconnu par Yuimen en personne. Il termina en rappelant qu'il se moquait d'avoir été vu par des passants, et que cela n'était qu'une anecdote de plus dans son épopée personnelle.

Lentement, j'inclinai la tête, pesant ses paroles. Un mince sourire prit place sur mes traits alors que je réalisais quelque chose d'important.

"J'avais oublié que c'était là une caractéristique liée aux vôtres. Les humains ont tendance à vouloir vivre un maximum de choses, car leur vie est assez courte."

Je commençais à mieux cerner mon interlocuteur, désireux de vivre son existence à son paroxysme. Dans un sens, j'enviais sa fougue et cette soif de prouver que l'on a bien été de ce monde. J'ignorais comment les humains pensaient, malgré le temps passé avec des mages du Cercle, mais je ne pouvais pas faire abstraction des paroles de ce sire. L'expression de son point de vue éclaira le mien. Il n'empêchait que, puisque je savais maintenant ce qui le motivait, j'avais l'étrange envie de voir jusqu'où cette volonté de vivre allait le mener.

Toutefois, je comptais bien corriger un léger point qui me travaillait.

"Je tiens à vous préciser que je n'étais pas en colère, mais simplement inquiète pour vous. On a beau aimer la magie, celle-ci ne vous le rend pas toujours. Je ne veux pas vous commander, mais simplement que vous soyez un peu plus vigilant dans son utilisation. Pour votre bien."

"Oublie ça, Mytha'."

Je regardai le voleur, qui était resté étrangement silencieux pendant tout ce temps. Il me jeta un coup d'oeil, puis esquissa un sourire.

"Un vrai aventurier t'écout'ra pas. J'le sais. Il préfér'ra apprendre la leçon à la dure. Héhé, ça m'plait !"

Le semi-elfe s'assit en tailleur sur sa caisse, les avant-bras en appui sur ses genoux. Ses yeux marrons brillaient d'un certain intérêt. À le voir, j'étais persuadée que ce qui l'avait contrarié s'était envolé. Lentement, il effleura sa cicatrice, son sourire s'élargissant petit à petit. De mon côté, je ne pouvais qu'approuver intérieurement ses dires, et pousser un léger souffle qui fit s'envoler une de mes mèches. J'étais tout de même contente de voir mon camarade motivé pour quelque chose. J'avais crains qu'il cesse d'être le voleur que j'avais connu à Yarthiss, mais il me détrompa rapidement.

D'un geste rapide, il extirpa de sa sacoche le sachet de fruits secs qu'il m'avait montré plus tôt. L'ouvrant habilement, il prit une lamelle, et tendit le paquet à la ronde.

"On a un point commun. J'ai besoin d'bouger, et d'faire quelque chose de moi. Y'a pas si longtemps qu'ça, une certaine personne m'a fait comprendre qu'j'valais quelqu'chose."

Il m'adressa un regard franc puis reporta son attention sur l'humain.

"Maint'nant qu'j'le sais, j'veux qu'les autres en prennent conscience. Si tu décides de suivre cette voie, Lounge, tu f'rais bien d'te faire à l'idée que t'auras un Nahö' à portée d'main, qu'tu le veuilles ou pas !"

Le sourire du voleur s'élargit, et ses pommettes se colorèrent un peu. Il poursuivit avec un ton amusé.

"Héhé ! J'ai toujours eu un faible pour les discours qui viennent d'là-d'dans."

Il releva sa main libre, pointant sa cage thoracique du pouce. Là je retrouvais l'être dynamique que j'avais accidentellement rencontré. Ses yeux teinte terre se rivèrent aux miens, me faisant secouer doucement mon feuillage. Avec deux personnes aussi assoiffées d'événements dans les environs, j'aurais été bien irresponsable de les laisser par elles-même. Le semi-elfe avait beau parvenir à se contrôler un peu mieux, son enthousiasme et son côté impulsif revenaient à la charge. C'était sans doute là l'effet de son sang humain.

Après quelques pas, je vins prendre une lamelle à mon tour. Rivant mes yeux clairs dans la direction de notre interlocuteur, j'esquissai un sourire amical.

"Qu'il en soit ainsi. Je ne peux décemment pas vous perdre tous deux de vue. Et je dois admettre que j'ai hâte de voir jusqu'où vous conduiront vos pas, Nark."

Ma décision était prise, et je portai alors la nourriture séchée à mes lèvres d'écorce. À moins que quelque chose ne vînt perturber ces plans après avoir rencontré de nouveau et suivi Mazhui, je comptais bien accompagner ces deux êtres qui se ressemblaient plus qu'ils n'avaient l'air de le penser. Peut-être que, à la longue, les côtoyer éveillerait en moi ce même attrait pour les aventures ? Je m'imaginais pourtant mal devenir aussi fougueuse que l'humain avant quelques années, si ce n'était des décennies.


*-->*

Au fur et à mesure de son discours, Nark vit que ses compagnons commençaient à comprendre son idéologie. C’était particulièrement le cas pour Nahöriel, dont le visage s’était illuminé. Un fois sa tirade finie, l’Oudio prit la parole. Elle avait compris la logique de l’humain, selon elle parce que sa vie était courte. Il était vrai qu’un Homme mourrait bien avant d’avoir atteint un siècle, tandis que les Elfes ou les Oudios pouvait vivre des milliers d’années. Ainsi donc, le temps ne leur manquait pas pour accomplir leur rêves.

La mage voulut néanmoins préciser un point, que Nark accueillit d’un soupir exaspéré. Pourquoi voulait-elle donc s’expliquer ? L’enchanteur s’en fichait comme de ses premières bottes. Mais le semi-elfe interrompit son ami. Le respect se lisait dans ses yeux quand il s’adressa au jeune guerrier. Lui avait compris ce que son discours signifiait. Lui savait. Sûrement son côté humain qui ressortait et ce n’était pas pour déplaire à Nark. Le voleur, si froid et méfiant quelques instants plus tôt était désormais amical avec son interlocuteur. Il lui tendit même quelques fruits secs, que le combattant saisit avant que Nahöriel lui promette qu’il serait là dans sa quête.

Enfin, l’Oudio lui dit qu’elle était fort curieuse de voir ce qu’il adviendrait de lui lors de son aventure. Souriant de plus belle, Nark s’exclama :

« Et bien nous irons tous les trois à la recherche de gloire ! Je pense avoir trouvé en vos personnes des fidèles compagnons. J’en suis fort heureux. Sur ce, je vois que le soleil sera couché dans quelques heures. Ne devrions-nous pas nous séparer pour faire le plein de provisions et autres choses essentielles à notre voyage vers Nirtim ? Retrouvons nous ici dans trois heures après quoi nous rejoindrons le bateau de ce Mazhui. »


Il quitta ensuite ses deux nouveaux amis. Il était content, sifflotant dans le port de Tulorim, chauffé par le soleil et rafraîchi par le vent venu de la mer.

(((Hrp : je nous sépare pour permettre une rapide ellipse. Joue là comme tu veux )))

*<--*





Guidée par le voleur, je revins à sa suite sur le quai où l'humain et nous avions convenu de nous retrouver. Le passage au marché, pour la deuxième fois aujourd'hui, avait réussi à me faire perdre près de la moitié de mon pécule. Fort heureusement, les objets obtenus en échange en valaient la peine. La grande gourde magique était lestée d'un bon nombre de potions, utiles si jamais le navire n'avait pas la faveur de Moura. J'avais également fais l'acquisition d'un nouveau fluide d'eau, et Nahöriel avait déniché une tenue à ma taille.

Pendant que je faisais l'inventaire de mes possessions, le semi-elfe mettait un soin tout particulier à nettoyer la tunique négociée. J'esquissai un sourire en le voyant faire. J'inspirai l'air marin, songeant que bientôt nous serions à bord de l'un de ces navires sur le départ. Distraitement, mes longs doigts d'écorce effleurèrent les quelques potions de petite taille, et la gourde contenant encore un fluide de terre. Avec attention, je versai ces liquides dans le grand contenant, faisant un peu plus de place dans ma sacoche. Il nous restait encore du temps avant le coucher du soleil, chose qui m'incita à porter le fluide nouveau à mes lèvres.

Tant que nous étions à terre, il était possible de trouver de l'aide si quelque chose tournait mal. En mer, cela ne serait pas le cas. J'inspirai doucement, et avalai un fluide encore différent. Attentive, je m'aperçus très vite de sa nature compacte. Un poids traçait son chemin sous mon écorce, mais il ne passait ni par mes canaux de sève comme la magie d'eau, ni ne restait dans ma poitrine à l'instar de celle de lumière. La sensation massive que je percevais était étrange, dérangeante mais familière. Contrairement à l'énergie magique qui avait déjà pris place dans mon corps, celle-ci cheminait en moi avec lenteur.

Elle ne trouvait pas son point d'ancrage, au point que j'eus un instant de doute sur ma capacité à l'absorber. Mon énergie d'eau semblait la repousser de mes canaux vitaux, tout comme la lumière de la partie supérieure de mon corps.

"Ca va, Mytha' ?"

J'orientai mon visage en direction du voleur intrigué, faisant un signe affirmatif du chef. Emplie d'appréhension, je n'avais pourtant pas réellement peur. Mes connaissances me permettaient de savoir que ces magies n'étaient pas opposées, et qu'une interaction négative entre elles avait peu de chance de se produire. De longues minutes s'écoulèrent, la pression de ce nouvel élément venant, avec un naturel étrange, investir mes membres inférieurs. Pendant quelques instants, je crus qu'il allait retourner à la terre, mes sensations m'indiquant sa présence jusqu'au bout de mes orteils découverts.

Lorsque j'estimai la magie neuve absorbée, je fis quelques pas, venant m'appuyer à la caisse sur laquelle mon camarade était de nouveau perché. Ce dernier, une expression perplexe sur le visage, me tendit alors la tunique bleutée.

"Bizarre c'vêtement, j'ai beau le frotter, il n'a pas l'air d'sécher."

J'examinai le tissu brodé de petits fils dorés, puis esquissai un sourire.

"Ne t'en inquiète pas, cette tunique semble liée à la magie de l'eau. Tu as fait un excellent choix."

Le semi-elfe se frotta le nez, affichant un air fier. Ses efforts avaient rendu le vêtement endossable, chose que je ne me privai pas de faire. Mes longs doigts d'écorce se déroulèrent, ôtant momentanément ma cape, et palpant mon épiderme de bois. Cela faisait un moment que je n'avais pas vu ma propre surface. Il était d'ailleurs ironique qu'à l'emplacement où les sang-rouge ont un nombril, un petit nœud de bois ait pris place. Je surpris d'ailleurs le semi-elfe, légèrement penché sur sa caisse, en train de m'observer.

Il effleura sa cicatrice en comprenant que je l'avais remarqué.

"Si tu n'savais pas bouger ou parler ou faire de la magie, tu s'rais juste comme un arbre ordinaire."

Je haussai légèrement un sourcil à sa remarque.

"J'veux dire, tu r'ssembles pas à une... "

Maladroitement, il mima quelque chose. Il me fallut bien une poignée de secondes pour comprendre qu'il faisait référence à des courbes féminines. J'ouvris un peu plus les yeux en le voyant s'alarmer un peu.

"Mais c'est pas pour t'vexer ! "

Non seulement je n'étais pas vexée, mais je ne comprenais pas vraiment ce à quoi il faisait référence. Je cogitai quelques instants tout en remettant ma cape en place. Finalement, je haussai les épaules, décidée à lui répondre au mieux.

"C'est l'un des mystères des miens, que je n'ai pas encore élucidé. Quant à cette histoire de forme... Je me suis pensée femelle depuis peu, mais je n'en ai pas la certitude. D'ailleurs, je n'ai qu'un siècle, ma morphologie peut encore évoluer, si c'est ce qui te préoccupe."

Nahöriel détourna le regard avec gêne, se frottant l'arrière du crâne. Il finit par sourire en apposant ses avant-bras sur ses genoux.

"Héhé, j'ai hâte de voir ça !"

Après avoir ajusté la tunique, je pris place aux côtés de mon camarade. Je me sentais étrangement alourdie et maladroite sur ce sol pavé, mais sans doute était-ce là l'effet du fluide de terre. Un petit silence s'installa, que le semi-elfe finit par briser, en me parlant de navire et m'incitant à retenir quelques termes de vocabulaire. L'exercice était amusant, et faisait passer le temps.

Il ne restait plus qu'à continuer jusqu'au retour du sire Nark Lounge.


*-->*

Absorption du fluide 1/8 de terre

La lueur du soleil commence à faiblir et le ciel prend des teintes orangées.
Arrivé au port, tu repères la Méduse Noire, ainsi que Mythanorië et Nahöriel en pleine discussion.



Alors que tu apprends le vocabulaire maritime avec ton ami, vous voyez Nark s'approcher de vous.




Lors de vos retrouvailles, le navire s'active : les voiles commencent à êtres montées en prévision du départ et un Shaakt à l'air mécontent vous regarde depuis le navire, les bras croisés. Mazhui n'est pas visible.


[[ C'est bon cette fois. ]]

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Passionné, Nahöriel me désignait divers objets en leur attribuant des noms que je ne connaissais pas. Ses yeux pétillaient, et il était manifeste que son envie de monter à bord d'un navire se faisait de plus en plus pressante. Silencieuse, je jetai un bref coup d'oeil à la teinte orangée du ciel, quelque peu inquiète de l'absence du Sire Lounge. Toutefois, je m'efforçai de n'en rien laisser paraitre. Mes yeux clairs se dirigèrent vers un navire proche, agrippant son nom au vol. La Méduse Noire était là, à portée, mais malgré mon envie de m'en approcher, notre duo avait décidé de patienter.

Bientôt, mon camarade semi-elfe se redressa, orientant son visage vers une silhouette humaine familière. Souplement, il descendit de la caisse, offrant un geste amical et un sourire enjoué au sire Lounge. Je soufflai sur une mèche végétale, soulagée de le voir se présenter. À mon tour, je me laissai choir et demeurai sur place, attendant notre compagnon de route. J'esquissai un bref sourire à son intention, puis me tournai vers le bateau à bord duquel une silhouette se tenait. J'eus une certaine appréhension en le voyant, persuadée pourtant que nous n'étions pas en retard.

Nahöriel resta étrangement silencieux, son regard rivé aux voiles en train d'être préparées. Patiente, j'attendais de voir l'un des hommes s'avancer. J'avais beau commencer à m'ouvrir à cette idée d'aventure, je n'en étais pas encore au point de pouvoir asseoir de l'autorité, et moins encore de donner des ordres. D'ailleurs, ce malaise étrange, tandis que je faisais quelques pas sur le quai, persistait. Avec un peu de chance, ces effets désagréables finiraient par s'estomper une fois à bord. Il valait mieux, sinon cela signifierait que mon corps de bois rejetait ce fluide de terre.

Tentant d'en faire abstraction, j'inspirai profondément cet air marin dont nous allions profiter sous peu. Le voleur remonta sa capuche par-dessus sa tête, lançant un regard trahissant son impatience à notre interlocuteur. Nark pouvait être assuré que nous lui emboiterions le pas, qu'il vocalise sa demande ou pas.


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Le ciel tournait peu à peu à l’orangé et le ciel allait disparaître à l’horizon quand Nark arriva au port. Mythanorië et Nahöriel étaient déjà là, comme prévu. Il les salua rapidement avec un sourire, qu’ils lui rendirent. Son regard se pose ensuite sur le bateau sur lequel ils devaient embarquer. On entendit tout à coup du bruit sur la nef, des ordres fusaient tandis que la silhouette d’un Shaakt surgit au bastingage. Il regarda les trois étrangers, tout trois de races différentes. Il devait former un groupe très hétéroclite.

Mais Nark ne se laissa pas perturber par le regard froid du Shaakt. Son cœur allait exploser, il voulait juste partir immédiatement, trouver Heartless. Il grimpa donc sur la planche entre le navire et le quai et se trouva devant l’elfe noir, l’Oudio et le semi-elfe à ses côtés. La race shaakt était l’une sinon la race la plus pernicieuse et vicieuse de toutes. Sa peau sombre contrastait avec ses cheveux blancs et il regardait Nark de son regard noir, où l’on pouvait presque sentir la haine. Le jeune guerrier voulait le provoquer, lui demander pourquoi il les fixait tous les trois ainsi. Néanmoins, l’attitude de l’elfe noir et son long sabre à son côté l’en dissuada. De plus, il faisait parti de l’équipage tandis que les trois étrangers n’étaient qu’invités par Mazhui, qui semblait d’ailleurs introuvable.

L’enchanteur s’approcha donc du guerrier à la peau noir et lui dit ces mots sans ton particulier.

« Salut à toi, Shaakt. Je suis Nark et voici mes deux compagnons, Mythanorië et Nahöriel. Nous avons été invités sur ce navire par un dénommé Mazhui. Saurais-tu où il se trouve actuellement ? Il nous a quitté sans nous en dire plus. »

Le dernier des Lounge sentit sa voix légèrement tremblait pour dire sa dernière phrase. Il fallait dire que le Shaakt était assez intimidant et qu’il était entouré d’une vingtaine d’ennemis potentiels, qui se désintéressaient totalement d’eux pour le moment, occupés à préparer le bateau. Si les trois compères se retrouvaient à six contre un pour un mot plus haut que l’autre, cela risquait d’être peu amusant. Le trio était donc debout sur une planche de cinquante centimètres de large, à moitié entre le bateau secoué par les vagues et le quai du port de Tulorim.

(HRP Heartless : J'espère que la rapide description du Shaakt te convient, j'ai improvisé comme tu n'avais pas laissé d'informations particulières sur son aspect. Mp si je dois changer quelque chose )