Le port, en cette fin de journée, grouillait de monde. Des équipages débarquaient des caisses et marchandises de leurs bords, tandis que d’autres embarquaient leur fret en cale. Quelques pêcheurs nocturnes reprisaient leurs filets en vue de la pêche du soir. Certains d’entre eux passeraient toute la nuit en mer, pour assurer du poisson frais en suffisance sur le marché, le lendemain matin à la première heure. Tout ce tintamarre, cette effervescence sans fin, n’était pas sans me rappeler les rues encombrées d’Exech. Pourtant, étonnamment, je sentais ici un sentiment de sécurité qui ne m’avait jamais frôlé dans la ville chaotique de mes origines. Là-bas, les cartels de brigands dirigeaient la ville et s’y faisaient la guerre, imposant leurs propres lois, et enfreignant celles-ci au nom d’une justice vérolée et vénale. Ici, la ville était maintenue d’une main de fer pas un conseil de marchands, qui finançaient une milice présente. Quelques hommes d’armes arborant les couleurs de la ville, le noir et le blanc, pataugeaient d’ailleurs dans les quelques flaques d’eau de mer du port, parmi les marins et marchands, voyageurs et aventuriers de tous bords.
Je m’avançai sur la jetée pour observer les navires à quai. Le son du vent dans les cordages, du bois des coques qui craque sous le ressac des vagues côtières, et qui choquent calmement contre les quais de bois et de pierres. Le grincement de lourdes cordes tendues par le poids des bâtiments en mer, et relâchées soudainement lorsqu’une nouvelle vague faisait tanguer un peu les bateaux. Les cris des mouettes se disputant quelques tripes de poissons sur les étals des marchands qui fermaient boutique. Tout ça rendait une étrange musique, une ambiance propice au changement, à l’aventure. J’en étais persuadée. C’était la première fois que j’allais monter sur un navire, et voguer par-delà les mers et les vagues. J’en trépignai d’excitation. Nulle peut ne contractait mon estomac. J’avais envie de savoir ce que ça faisait, de voir de nouvelles choses, de découvrir des pays inconnus, des villes légendaires, des peuplades oubliées. De trouver des trésors engloutis gardés par des créatures mystérieuses. Tout ça, je le voulais. Et quelle meilleure école que l’aventure pour développer mes talents de mage ? Nulle université ou obédience emmurée ne saurait m’apporter autant d’expérience.
La Grande Prostituée était aisée à repérer, au milieu de ces navires à la coque de bois brun. La sienne était peinte dans des couleurs rougeâtres, et malgré sa taille réduite, semblait assez performante, pour ce que j’en connaissais. Pas grand-chose, donc, au final. C’était un bateau assez élégant, et je m’en approchai lentement, avant de m’asseoir non loin, sur le bord d’un quai. Un petit tintement résonna dans mon sac, et je me rappelai la dernière petite fiole de fluide ardent que je possédais. Je profitai de mon attente pour déboucher celle-ci, tout en regardant ce liquide orangé aux variations permanentes. La dernière fois que j’en avais bu, j’avais cru brûler de tout mon être pendant de nombreux jours. Allait-ce être la même chose, cette fois ? Ou l’incident du port d’Exech n’était qu’une regrettable coïncidence ? J’allais vite le découvrir.
Je laissai le fluide couler dans ma bouche, le long de ma gorge, et en appréciai la chaleur irradiante qui se diluait dans mon corps. Nulle hausse de température, cette fois. Pour l’instant du moins. Je me portais comme un charme, et profitai de ce réchauffement pour rester paisiblement assise, là, à profiter de cet instant de calme avant l’embarquement. Les minutes défilèrent à toute allure, alors que j’inspectai d’un œil curieux les allez et retours des badauds du port. À mesure que le temps passaient, ils n’étaient plus pour moi des individus, mais des morceaux du décors sans individualité qui se mouvaient. Ils faisaient partie d’un tout. Si bien que je ne reconnus pas tout de suite le petit groupe qui m’avait recruté plus tôt à la taverne. La petite rouquine me rappela rapidement à l’ordre, cependant, d’une voix rieuse.
« Allez matelote ! Tout le monde à bord. »
Je clignai des yeux avant de la découvrir campée derrière moi, mains sur les hanches, dans une position bravache et aventureuse. Ses collègues l’entouraient, l’une souriant, l’autre absente, mais toutes en silence. J’envoyai un sourire vers la petite, et me relevai avec empressement.
« Parée à embarquer ! »
Et je les suivis sur la passerelle qui menait au pont du navire. Une nouvelle étape de mon voyage allait bientôt débuter.
_________________ Alessia, mage flamboyante
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