Péripéties de Rascasse - Chapitre XIIIPéripéties de Rascasse
Chapitre XIV
L'humoran, pour finaliser sa personnalisation de cet espace, ouvrit une barrique à proximité du hamac. Il récupéra une petite coupe avant de s'installer bien confortablement dans la couche, se détendant autant qu'il était possible. Ça y était, il était comme chez lui. Il n'avait qu'un geste du bras à faire pour noyer le calice en bois dans le fût. Les effluves de la liqueur de poire commençaient déjà en embaumer son espace, mais il ne détestait pas renifler l'odeur de l'alcool, bien au contraire. Mercurio se disait qu'il en avait déjà fait assez pour aujourd'hui. Sa petite représentation lui assurait une bonne tranquillité de l'esprit, se disant qu'après ça, il ne serait certainement pas balancé du navire au premier port venu. Il y avait encore beaucoup de soucis en suspens, mais à chaque jour suffisait sa peine... Maintenant, il voulait penser à autre chose. L'un dans l'autre, il n'était pas si mal, ici. Il s'était déjà fait son petit coin, s'était appuyé sa petite réputation et avait été suffisamment clair avec tout le monde pour qu'on ne le fasse pas chier. Il ne manquait plus qu'une petite catin au tableau et il était aux petits oignons. A défaut, il commençait à penser à Eir, la petite blondinette hennoyère qui l’accueillait tous les soirs dans son lit et se remémora en ronronnant quelques moments qui commençaient à lui donner envie de faire jaillir une autre sorte de fluide de son corps que ceux de soin et de lumière...
Il s'interrompit en urgence lorsqu'il entendit une voix qui se rapprochait rapidement depuis les couchages jusqu'à lui en train de gueuler :
"Baston sur le pont ! Y a une baston sur le pont !"Dans sa précipitation, ses poils se hérissèrent, il renversa sa coupelle au sol, remonta son pantalon en manquant de tomber du hamac et lorsque le crieur parvint à son niveau, le voyant presque en panique et s'étonnant de voir la petite nidification qu'il avait opéré ici, ne put s'empêcher de s'interrompre dans ses hurlements enjoués pour lui demander :
"Hé, tout va bien ici ?"C'était le barbu de tout à l'heure, qui était visiblement passé à autre chose.
Mercurio, l'air de rien, se leva en le relançant :
"Ouais, ouais. Bon alors, c'est qui qui s'bastonne ?""La prêtresse et la tronche de garzok !""Sans déconner ?""Est-ce que j'ai l'air de déconner, merde ?""Hoho ! Ah ouais putain, j'veux pas rater ça !", dit-il, tout excité à son tour en se levant prestement. Une vrai bonne baston à l'ancienne, il n'en avait pas revu depuis Dahràm. Lorsqu'il était là-bas, ça commençait à le saouler mais maintenant, ça avait fini par lui manquer.
Il suivit le barbu jusque sur le pont. Un petit attroupement s'était constitué autour de la bagarre qui venait de commencer. L'adversaire de Leyna n'était autre qu'un solide colosse, un semi-garzok à la peau cuivrée comme il lui était arrivé d'en croiser plusieurs dans son existence. Il portait une armure dans le style de celles des whiels et sa cicatrice en forme de croix qu'il traînait sur sa joue montrait qu'il n'était pas de la dernière pluie en terme de castagne. Il ne savait pas ce qu'avait fait cette pauvre peau-bleue pour s'attirer ses foudres, mais celui-ci était déjà en train d'essayer de la trancher en deux avec son épée encore dans son fourreau lorsqu'il arriva. Mais la petite était rapide, évita son coup et le frappa au ventre. Le semi-garzok en rigolait presque alors qu'elle se retrouvait à compter les phalanges de ses doigts après coup.
L'humoran chuchota au barbu :
"Vingt yus sur le garzok !""Tu rigoles ? Il est trop lent ! Et c'est une prêtresse de Moura et on est dans son royaume !""Et ben alors, tiens-les si t'en es aussi sûr !""Tu vas voir. Tenu."La suite du combat ne fut pas vraiment en faveur de Mercurio. Le semi-garzok se contentait d'abattre son arme vers elle comme le dernier des bourrins et la sang-pourpre profitait de sa vitesse pour lui en foutre plein la tronche. Il eût un demi-espoir en voyant que la prêtresse commençait à se battre bizarrement. Elle semblait s'être mise en tête de le désarmer à mains nues, se retrouvant dans une position figée et vulnérable. Ça ne manqua pas. Et bim, un coup dans l'épaule et allez, un autre dans la gueule ! Ha, ça c'était du bon spectacle ! Elle contre-attaquait avec rapidité, lui enchaînant quelques coups du tranchants de la main avant de le foutre par terre d'un coup de pied. Mais il était solide, le champion, et se releva derechef. Ils soufflèrent un instant, les deux commençant à fatiguer. Ils s'échangèrent quelques mots avec tension. Leyna le qualifia alors de maître d'arme et l'humoran fit alors la connexion avec leur discussion de tantôt. On dirait que l'idée de Mercurio avait fait du chemin dans l'esprit de la sang-pourpre et, bêtement, se dire que c'était indirectement grâce à lui que cette baston se faisait l'enjouait terriblement. Il n'en fut que plus content encore en voyant que le semi-garzok commençait à prendre le combat au sérieux. Il semblait soudainement plus calme, plus réfléchi et plus déterminé à en finir. Elle relança le combat mais semblait d'un coup beaucoup moins sûre d'elle. Dès qu'il en eût l'occasion, le semi-garzok fit encore siffler son épée dans l'air. Il n'y aurait pas eu de fourreau, elle aurait perdu une main ! Alors qu'elle s'agenouillait de douleur et qu'il lui sommait de se rendre, Mercurio mis un petit coup de coude dans le flanc du barbu en lui disant :
"Allez, c'est fini, aboule les..."Mais il n'eût le temps de finir sa phrase que le dernier coup d'épée qui aurait dû achever le combat se retrouva soudainement figé entre les mains de la prêtresse. Le semi-garzok, dans un état de totale incompréhension, essayait de lui retirer sans succès.
"... yus."Le barbu lui répondit avec un regard moqueur et en rigolant. Alors là, il devait avouer, c'était bluffant. Il n'avait jamais vu un truc pareil de sa vie. Dans la panique du moment, le semi-garzok se résolut à lâcher son arme et alla pour l'attaquer aux poings. Il n'eût pas le temps d'arriver jusqu'à elle qu'elle le projeta en l'air avec des fluides d'eau. Cette saloperie en profita même pour en remettre une couche alors qu'il n'avait pas encore retrouvé terre, manquant au passage de faire s'effondrer le mât et de tuer la vigie. Ah non ! Ça, c'était de la triche, merde ! Ça n'étonnait que peu Mercurio d'apprendre que cette peau-bleue, prêtresse de Moura qui plus est, maîtrisait ce genre de magie mais putain, là, c'était un coup bas ! C'était tout les sangs-pourpres ça, aucun sens de la mesure !
Il n'était d'ailleurs pas le seul à s'indigner de cette action. Si la plupart encensait cette foutue peau-bleue, d'autres avaient parié, comme lui, sur le semi-garzok et n'acceptait pas cette conclusion du combat.
"Non mais oh ! C'est pas juste, putain ! Elle avait pas le droit, à sa magie de merde, là !""Ah ! Le droit ? Tu t'es cru où, l'guérisseur ? Où c'est qu't'as vu des règles dans la baston ? Allez, file la tune et va faire ton boulot plutôt que d'râler !"Bordel. Vingt yus de perdus à cause de ce foutu semi-garzok qui a pas été foutu de défoncer cette maigrelette. C'était un combat gagné d'avance, et il l'avait foiré.
Vexé d'avoir misé sur le mauvais cheval, Mercurio s'éloigna du barbu et avança jusqu'au perdant avant de lui tendre la main :
"Allez, relève-toi, j'vais t'retaper dans mon cabinet."Mais il ignora sa main avec mépris, la poussant de devant lui et se relevant avec douleur, mais seul. Il tenait à peine debout, visiblement prêt à s'effondrer à nouveau à tout instant mais fier comme un coq.
"Ouais, super, bravo mec, quel homme, tu t'es rel'vé tout seul. J'crorais presque qu'j'ai un bonhomme en face si j'savais pas qu'tu venais de t'faire défoncer par donzelle de cinquante kilos.""Je n'ai pas besoin de ton aide, l'alcoolique."Mercurio inspira avec un air contrarié. Cet imbécile venait de s'en prendre plein la tronche et venait de faire une chute qui avait à coup sûr bousiller la moitié de son corps et encore il s'amusait à faire le fier. Et là, ce n'était juste pas le moment.
"Ah, t'as pas besoin de moi ?", dit-il avant de lui envoyer un grand coup de poing dans les côtes, le faisant retomber au sol.
"Grand con, tu viens d'm'faire perdre une bourse pleine... J'vais pas, en plus, passer pour un incompétent en laissant un glandu comme toi crever par fierté...", continua-t-il en lui envoyant un nouveau coup au même endroit.
"Ah ! T'as entendu c'craqu'ment, là ? C'est une d'tes putains d'côtes qu'a valdingué quand tu t'es étalé comme une bouse d'kaeash. Pas l'genre qui s'soigne tout seul..."Voyant que certains membres de l'équipage le regardaient avec stupeur frapper le blessé, il décida de l'emmener dans son cabinet pour ne pas faire plus de vague. L'animal étant aussi grand que lui, il le tira par les chevilles. Il ne prit absolument aucune précaution en le traînant dans l'escalier descendant dans le pont inférieur, chaque marche descendue le torturant un petit peu plus. Arrivés dans les cales, il le souleva brusquement avant de le jeter dans le hamac.
"Tu me paieras ça, enfoiré.", gémit-il, en souffrance.
"Oh, ta gueule.", répondit-il sèchement.
Il ramassa la coupe tombée tout à l'heure, la noya dans l'alcool de poire et en but un plein verre. Il n'avait aucune envie de s'occuper de lui, mais il n'avait pas le choix. Il remplit une nouvelle fois le gobelet et, cette fois-ci, la porta au visage du semi-garzok.
"C'est pourquoi, ça ?""T'occupes. Bois."Celui-ci, méfiant, refusa d'accepter la boisson en gardant la bouche close.
L'humoran soupira, râlant d'être obligé de faire preuve de force pour aider ce crétin. Il croyait peut-être se comporter comme un digne guerrier, mais on aurait plutôt dit un sale gosse. Il lui donna un coup de poing dans la face et entreprit de l'étrangler. Le pauvre n'ayant presque plus de force, il eût du mal à s'en débattre. Quand enfin celui-ci eût le réflexe d'ouvrir la bouche, Mercurio se dépêcha de lui vider la coupe dans le gosier. Le semi-garzok faillit s'étouffer avec, toussant de plus belle. Et ce n'était que le début. L'humoran avait estimé qu'il ne lui ferait aucun soin tant que celui-ci ne serait pas bourré comme une huître. Quand il serait assez cuit, il pourrait enfin faire ses soins en toute tranquillité.
Enfin ! Après lui avoir fait avaler l'équivalent d'un demi-litre de liqueur en moins de cinq minutes, il était largement plus calme. Il en profita pour souffler un peu et se servir lui-même. Il but tranquillement, demi-assis contre un tonneau, regardant sa victime galérer dans le hamac, se disant à quel point celui-ci était un sacré connard, quand même. Lorsqu'il eût fini son verre, il se releva, se frotta les mains et se mit au travail.
Sur un traumatisme des os, il devait toujours d'abord rapprocher les os avant de pouvoir leur permettre de se ressouder. Il s'attela donc à les palper, trouva trois côtes incriminées et commença à les replacer une par une. Heureusement, le semi-garzok était au bord du coma éthylique. S'il avait eu encore un tant soit peu conscience, il aurait certainement hurlé à en créer un raz-de-marée. Enfin, il appliqua sa patte contre sa peau et usa de ses fluides régénérateurs pour l'en guérir. Encore une fois, rien de bien compliqué pour Mercurio. Les plaies et les traumatismes n'étaient jamais bien complexes à soigner une fois qu'on avait compris le mécanisme de régénération, ce n'était pas très intéressant. Il préférait largement les patients avec des maladies graves ou inconnues... Mais il ne pouvait pas trop leur en vouloir. Une fois que cela fut fait, il aurait bien été tenté de s'occuper maintenant des ecchymoses importantes qu'il exhibait sur le ventre et sur le dos mais il n'en avait tout simplement pas la volonté. Et puis après tout, hé, s'il voulait se la jouer guerrier, il ne voyait même pas pourquoi il se fatiguerait à ça. Il se contenta alors de le tourner sur le flanc. Ça serait quand même bête qu'il s'étouffe dans son propre vomi. Même un crétin comme lui ne méritait pas une mort aussi débile.
Péripéties de Rascasse - Chapitre XV