Péripéties de Rascasse - Chapitre XXIVPéripéties de Rascasse
Chapitre XXV
Mercurio n'eût pas de réponse. La prêtresse semblait soudainement dans un état second et Snori la regardait avec un air d'incompréhension et d'impuissance. Décidément, rien n'était simple dans ce putain d'équipage. S'ils n'étaient même pas foutu de pouvoir piller un navire sans qu'un d'entre eux se retrouve à faire une crise psychotique, alors il n'avait vraiment pas parié sur le bon cheval. Au contraire, il se disait quand même qu'il aurait mieux fait de se laisser aller au capsésin et aux putes de Tulorim plutôt que de s'embarquer là-dedans. Après tout, cette ville n'avait pas l'air si mal. Il y faisait chaud, ça puait un peu moins la misère et la crasse qu'à Dahràm et il aurait sans doute pu se faire pas mal de pognon en tant que guérisseur. Mais non ! Il avait préféré s'infliger ça ! Aller jouer la flibuste pour se retrouver enfermé, dans une coque de noix, en pleine mer, avec les premiers tracassés du ciboulot venus ! Dès fois, il se sentait vraiment con.
L'humoran ressentit une grande lassitude et soupira, cachant ses yeux fermés sous sa patte. Bon, alors, qu'est-ce qu'il lui prenait, encore, à cette timbrée hystérique ? Non mais, au pire, il avait qu'à l’assommer et ils verraient après, hein ? Un bon gros coup dans l'arrière du crâne et on n'en parlait plus, voilà !
Snori, soudainement, attira son attention sur un autre problème. Des créatures en train d'escalader le pont. Non. Sans déconner. Non. Des langoustes violettes, comme l'autre qu'il avait dézingué un peu plus tôt, là. Hé ouais, elles étaient venues faire une petite sortie entre copines, là. Y en aurait une qui se serait mis à gratter le luth pendant que les autres graveraient leurs petits noms dans le bois. C'était con que la Gertrude, qui les attendait tranquillement, se soit faite poutrer le céphalon par un humoran qui passait par là, sinon elle aurait tapé la lyre avec elles hein ? Oh putain de nom de nom ! Quel bordel de méléna la Moura nous avait-elle encore chié ?! Qu'est-ce que c'était encore que cette putain de créature qui montrait le bout de son nez ?
Un crabe géant... et bleu... avec quatre pinces et une... mâchoire avec des... dents... grises...
Pourquoi ça l'étonnait encore de tomber face à des bestioles improbables comme ça ? Il devait se faire à l'idée, apparemment. Il n'avait jamais entendu parler de saloperies dans ce genre durant toute son existence à Dahràm mais apparemment ça devait être courant, d'avoir des fruit de mer à la taille puissance dix dans les parages. Elles arriveraient quand, les moules et les huîtres géantes ?! Franchement, si ça arrivait vraiment, il ne raconterait plus l'histoire avec le dragon à personne. Un combat contre des huîtres géantes, ça aurait eu cent fois plus de gueule.
Les créatures étaient pour l'instant plus bas, plus proches de Leyna et Snori. Cette vision lui semblait si peu sérieuse que Mercurio ne ressentait pas vraiment la gravité du combat qui s'annonçait. Il se retourna vers Nahöriel :
"Non mais franch'ment, c'pas réel tout ça, hein ? J'suis en train d'délirer, là, c'est clair. Et j'parie qu'j'suis même encore à manger mon vomi dans un caniveau d'Tulo. A cause du capsésin, ça. Meilleure torchade d'ma vie, c'est net. Pis j'vais décuver et j'vais jamais m'r'trouver dans un équipage de branques à m'bastonner contre des tourteaux géants, hein ?"Le semi-elfe ne l'écoutait pas le moins du monde. Au contraire, il avait dégainé ses couteaux et partait en courant aider les deux peaux-bleues.
L'humoran pesta, faisant un geste de bon débarras de la main avant de croiser les bras et regarder la scène, un peu à l'écart, comme s'il était au spectacle. Un peu comme pour ces combats de rue qu'il voyait un peu parfois à Dahràm, où on déguisait deux pauvres esclaves gobelins dans des tenues improbables de bouffons, de religieuses de Gaïa, de nobles kendrans ou d'officiers de la marine marchande tulorienne et qu'on les faisait se battre à mort avec des dorades, des ombrelles, des louches, des olifants, des courgettes ou toute autre arme profondément inutile qui aurait pu les rendre encore plus ridicules. C'était cruel, mais drôle. Et ça paraissait un peu irréel aussi, comme ce qui était en train de se passer maintenant, devant ses yeux.
C'était donc presque le sourire aux lèvres qu'il regardait tout ça lorsque, soudain, le crabe agita étrangement une de ses plus grandes pinces. Il fut encore plus intrigué en la voyant rayonner d'une lumière bleue éclatante et, choc, lorsqu'il comprit qu'il s'agissait de fluides d'eau et que Snori venait de se prendre un puissant sort aquatique dans la tronche. Non mais normal quoi. Un putain de crabe qui savait utiliser la magie, comment il n'y avait pas pensé plus tôt ? Pour lui, il avait fallu attendre vingt ans passé pour qu'il ne fasse que comprendre qu'il avait des fluides de lumière en lui et plus de trois années pour réussir à correctement les maîtriser et, là, un putain de con de crabe s'amusait à balancer des sorts comme le dernier des sorciers de la mer. Ça avait de quoi soulever quelques questions. Mais bon, ça lui révélait aussi la nature sérieuse de ce qui était en train de se passer et il commençait enfin à se dire qu'il devrait peut-être agir, maintenant.
Snori s'était fait dégommé, Nahöriel n'irait pas bien loin avec ses deux cure-dents et l'autre folle s'agitait tellement avec son poignard dans tous les sens qu'on en aurait eu peur qu'elle se blesse elle-même ou n'aille par mégarde blesser le semi-elfe qui n'était plus très loin d'elle désormais. Il fallait la virer du champs de bataille, c'était un danger ambulant. Il descendit vers eux, passant de justesse à côté des pinces du crabe et tenta de s'approcher efficacement d'elle, sans mettre trop de temps et sans se mettre en danger. S'il pouvait la désarmer ou, au moins, l'envoyer jarter à quelques mètres, ç'aurait été une bonne chose.
"Oh ! Leyna ! Tu fais n'imp' là ! File le poignard, on va s'en occuper d'eux, nous !""A... Attention... ils... sont... AAAAAAAH !!!! Je... Perhaillon ! Repoussez-les !", hurla-t-elle en envoyant siffler sa lame à quelques cheveux du torse plein de fourrure de Mercurio.
Putain. Elle était à l'ouest complet cette folle, c'était à se demander si elle comprenait encore ce qu'il se passait à côté d'elle. Mais l'humoran ne pouvait plus s'en soucier car les crustacés approchaient dangereusement. Alors qu'il se dépatouillait comme il pouvait du tourteau bleu qui semblait l'avoir pris en chasse depuis qu'il lui était passé devant, la prêtresse se rua sur une langouste, à frapper sa carapace d'acier avec sa petite lame dans un combat ridicule. On aurait dit un orque en transe en train de frapper un rocher avec ses poings. Mais, à vrai dire, son attention n'était pas toute entière vers elle, sur le moment, car le crabe s'était figé et tournoyait une nouvelle fois sa pince. En sa direction, cette fois. Bordel. A son avantage, le crustacé mettait quand même plusieurs secondes pour réunir ses fluides. Mercurio, lui, avait donc pu l'interrompre en lui envoyant une bonne salve de fluide de lumière pure dans la tronche. En remontant en sa direction, il profita du désarroi de l'arthropode pour tenter de lui mettre un bon coup de katar dans les dents. Coup qui fut avorté alors que celui-ci se mit à balancer ses quatre pinces dans tous les sens, rendant impossible une quelconque approche. Snori, qui avait repris le combat et semblait bien décidé à se venger, profita du fait que l'humoran occupait toute l'attention du crabe pour s'avancer vers ses pattes et laisser filer sa lame dans le vif d'une articulation, puis d'une autre, déséquilibrant le crabe sur sa droite. Mercurio, ne s'attendant pas à un tel coup de main, fit une moue d'approbation en hochant la tête et leva le pouce. Pas mal, peau-bleue, pas mal. A lui d'en finir maintenant. Le crabe, souffrant et ne sachant plus où donner de la tête, tentait de se retourner vers Snori, laissant au passage un couloir en or à gauche de sa gueule. Il n'en fallut pas plus pour que le félin viennent y planter son katar et trancher dans la longueur autant qu'il le pouvait. Un sang bleu-gris puant le poisson pourri s'en échappa mais la victoire n'eût le temps d'être célébré. D'autres langoustes et même d'autres crabes grimpaient encore.
A côté de ça, on entendait la prêtresse hurler à la mort au semi-elfe de lui passer la lyre. Bien sûr, elle avait qu'à leur jouer une petite gigue pendant ce temps, ça égayait tellement les champs de bataille !
Cette idiote n'avait même pas remarqué qu'une langouste s'était dangereusement approchée d'elle et, pas bête la bestiole, elle lui choppa la cheville entre les pinces. Bordel, il allait encore devoir bosser après le combat, c'était désespérant. Le sang-pourpre laissa alors tout tomber pour aller sauver sa dulcinée, abandonnant par la même occasion Mercurio face à un crabe et trois langoustes.
"Hé, les mecs, j'vais avoir b'soin d'aide ici, merde !"Péripéties de Rascasse - Chapitre XXVI