*
<---*
*3*
Ce ne fut qu'une fois sur le pont, et voyant le géant se mettre en posture de combat que quelque chose me frappa. J'avais voulu pousser Samrik à m'apprendre. Lui semblait paré à réellement en découdre. Il délia le fourreau de sa lourde épée, et la maintint devant lui à l'horizontale. Pas de tranchant, pas de risque d'incidents. D'autant plus que nous avions quelques curieux autour de nous. J'imitai le géant et me défis de mon tricorne ainsi que de mon manteau.
"
Attaquez."
"
Vous prenez un risque."
Le géant se contenta de me fixer, sa lame toujours à l'horizontal. La mienne en main, je fis quelques pas rapides, couvrant la distance me séparant de lui. Mouvement de ma lame. Arc-de-cercle vers son flanc gauche. Impact, mais pas d'arme à chair. Le coup fut stoppé net par la parade du géant. Il n'avait pas bougé, campé sur ses appuis, mais son fourreau avait arrêté le mien une main avant sa peau.
Surprise, je ramenai ma lame et tentai un coup de l'autre côté. Même résultat. Un pas en arrière, et je me lançai pour une frappe d'estoc. Habilement, Samrik pivota sur son pied. Son fourreau ripa contre le mien. Ce fut avec une brutalité maîtrisée qu'il apposa sa paume contre le cuir et me repoussa en biais. Il ne cherchait pas à me blesser, mais là, s'il l'avait souhaité, nul doute qu'il m'aurait sévèrement meurtrie. Il aurait pu dégainer son épée en faisant un pas vers moi, et lacérer ma gorge en poursuivant simplement son mouvement.
Mon feuillage tressaillit. Ce demi-garzok était encore convalescent, mais il ne laissait paraitre aucune faiblesse. Par contre, je vis clairement poindre de la contrariété sur son visage à crocs.
"
Je plains votre épée."
Samrik avisa longuement mon arme puis fronça les sourcils. Il m'incita à l'attaquer de nouveau. Je ne me fis pas prier, mais là encore, il contra chacun de mes assauts. Pire, d'un simple moulinet, il fit tourner sa lame autour de la mienne et me l'extirpa de la main. Un souffle mécontent lui échappa. À voix posée, il me lança un trait d'esprit. Selon lui, je n'avais rien d'un guerrier, car un vrai aurait préféré perdre son bras que de lâcher son arme. J'en fronçai les sourcils. C'était là quelque chose de stupide.
L'un des matelots me rendit mon épée, et je me remis en posture offensive. Samrik me toisa une nouvelle fois. Il mit en doute le choix qui avait été fait en me donnant le poste de capitaine. Encore un qui s'y mettait. Je répliquai calmement que ma force différait de la sienne, mais avait une valeur égale. Après tout, je n'avais qu'à légèrement tourner la tête pour apercevoir Nahöriel, prêt à m'appuyer, tout comme Eliwin. Mais j'étais aussi résolue à tenir tête à ce géant par moi-même. Je fis un instant jouer mes fluides d'eau dans ma paume. Non, je ne comptais pas m'en servir, mais c'était là un atout parmi d'autres.
"
Le combat a beau être votre art, je suis persuadée que vous ne savez pourtant pas déceler d'écueils dans ma façon de faire."
Samrik se détendit un peu. Mieux, il m'adressa une expression semblant dire "vous vous fichez de moi ?". Il finit par lentement élever son fourreau, désignant point par point ce qui n'allait pas, de ma tête à mes pieds.
"
Chevelure mal tenue. Elle cachera la venue d'une arme dans de nombreux angles. Bras comme des brindilles. Les mains qui ne tiennent pas une épée sans qu'elle tremble ne la méritent pas."
Il énonçait le tout avec calme et froideur, mais d'une façon très analytique. Pas de doutes, il savait de quoi il parlait. Je manquais de tonus dans le haut de mon corps. Je plaçais mal mes pieds. Je gardais les genoux raides, m'empêchant de bouger facilement. Et mes yeux me trahissaient, pointant l'endroit où je comptais faire toucher ma lame. Apparemment, il pouvait parfaitement me lire avant même que j'eusse esquissé mon assaut.
"
Je vois. Vous semblez penser que je ne vous toucherai point."
"
Pas point. Jamais."
Oui, c'était à son tour de me mettre au défi. Résolument, je dégainai ma lame juste assez pour couper l'une de mes longues lianes de chevelure, presque à sa racine. Je l'avais toujours laissé pousser, et pour une bonne raison. Une faible douleur parcourut mon écorce alors que je sentais ma sève s'agglutiner au niveau de la plaie. Était-ce semblable pour tous les miens ? J'en doutais, mais je n'avais pas de temps à perdre à chercher une ficelle. Je m'en servis pour attacher ma tignasse végétale en une lourde queue-de-cheval. Ma posture changea, et j'appliquai les conseils du semi-garzok.
Lentement, je me concentrai sur les fibres de mon corps, les faisant jouer progressivement. Mon opposant se remit en position défensive, ne me quittant pas du regard. Je me lançai, tentant de frapper sa hanche. Mes yeux me trahirent avant même que j'eusse esquissé mon geste. J'arrêtai mon assaut aussitôt, en voyant le fourreau adverse déjà sur la trajectoire.
Il me fallait trouver un moyen. L'observer à mon tour pour déjouer sa défense. Ma force physique commença à se rassembler dans mes bras. Je voulais le toucher quelque part. Une jambe, un bras. Pas le blesser, juste parvenir assez près. Cela m'aurait servi à la fois à démontrer cette autre force, mais aussi à prouver que son savoir pouvait faire progresser.
Je décidai de viser sa jambe droite, et me lançai. Il répondit en parant adroitement, encore et encore. Il semblait savoir où je comptais viser. Plus j'y pensais, et plus j'y voyais la solution. Rassemblant mon énergie, je commençais à porter un coup à sa jambe, et coupai mon élan pour faire obliquer ma lame vers l'autre. Quelques pas rapides, et Samrik était hors de portée. Je réitérai l'opération une fois, et encore une autre. Je devais le feinter. Lui faire penser que je n'en avais qu'après ses jambes.
Fourreau contre fourreau. Mes fibres s'échauffaient. Si cela avait été un combat réel, le demi-garzok m'aurait vaincue depuis longtemps. Je pouvais sentir mon énergie physique circuler vivement en moi. Je bougeais déjà avec davantage d'aisance, concentrée sur mon adversaire. Je pris le parti de tenter un assaut en trois temps. Un coup d'estoc vers sa cuisse qu'il allait parer soit en chassant ma lame, soit en esquivant. Il para, donnant un coup sur ma lame, et la faisant partir sur le côté. J'enchainai, profitant de l'élan pour faire un pas en avant, et laisser mon arme filer vers son autre jambe. Recul de Samrik. Ouverture ! Pivotement sur l'avant de mon pied, poursuite du mouvement de rotation. Le demi-garzok dut donner un coup de talon et bondir en arrière pour m'éviter.
Presque. J'en esquissai un sourire. Je commençais à comprendre comment mon opposant réagissait. Je manquais de réflexes pour que mes feintes touchent au but, mais j'avais réussi à le déstabiliser. Son regard marron se riva à moi avec sérieux.
De nouveau, je fis circuler ma puissance physique dans mes fibres. Anticiper ses mouvements. Feinter pour le toucher. Je changeai de cible, visant ses bras à présent. Il para mes assauts comme avant. Ou presque. Dès que je tentais une attaque, qu'il contrait, il me repoussait avec violence. Je faillis perdre l'équilibre quand ma botte tapa quelque chose, que j'ignorai totalement. Il me fallait faire mieux que cela ! Mes hommes me regardaient ! Nous regardaient !
"
Bien. J'ai saisi le principe. Passons aux choses sérieuses."
Je savais ce que je voulais faire. D'assaut en assaut, je sentais mon corps réagir plus vite. Je visais alternativement l'un de ses membres, mais ma cible véritable était plus haute. Instinctivement, comme si c'était ma forme animale qui me le soufflait, j'avais l’irrésistible envie d'attaquer un point faible. Si je voulais frapper fort, il ne fallait pas qu'on puisse dire que c'était un accident. Je devais le saisir là, à la gorge. Samrik pouvait me lire, et je le savais. Aussi, je fis au mieux pour masquer mes intentions.
Concentrée, j'effectuai feinte sur feinte. Viser son mollet gauche pour tenter de taper son poignet tenant la lame. Faire un pas en avant pour qu'il me repoussât, en ouvrant sa garde. Ses réflexes étaient meilleurs que les miens, même au sortir d'un séjour chez Mercurio. À peine entrevoyais-je une opportunité qu'il me déchiffrait et m'en privait. Il était doué. C'en était presque décourageant, d'autant plus que Leyna avait réussi à le mettre dans un sale état, elle.
La plus grande partie de mes tentatives était déjouée, mais peu à peu, je parvenais à me rapprocher. Il avait beau tourner et reculer, il finit invariablement par se retrouver à proximité d'une paroi. Solliciter ma force physique m'éprouvait. Je devais me hâter d'en finir, sans quoi...
Je resserrai mon lien végétal tenant ma chevelure. De passe d'arme en passe d'arme, j'avais décelé une faiblesse dans sa posture. Quand il me repoussait, il y mettait toute son attention, et le faisait généralement de la même manière : de sa main libre. C'était là que je devais le surprendre.
(
Allez, juste une fois. )
J'inspirai, faisant circuler ma force martiale dans chacune de mes fibres. J'avançai, résolue. Pied gauche, estoc, parade. Pied droit, taille, esquive. Coup en biais, vers le haut, arrêté par son fourreau. Recul de ma part, inspiration. Visée du genou, bris d'élan pour menacer sa main armée. Son autre main fila vers moi, cherchant à m'asséner une claque répulsive. Esquive de ma part, même chose de la sienne. Raté.
Je réitérai l'attaque en variant les coups, mais toujours pour le pousser à me contrer de cette façon. Coup en biais depuis le bas. Lui faire croire que je voulais taper son poignet...
Son instinct ou la monotonie de mes coups le trahit. Il réagit comme je m'y étais attendue. Son fourreau para le mien. Sa main libre voulut me faire reculer. Je saisis l'occasion. Levée de mon coude. Bris de l'élan de son poignet. Je repoussai sa défense, rassemblai mon énergie physique, et portai l'assaut. Mon fourreau ripa brusquement contre le sien, le déséquilibrant. Mon épée poursuivit sa course. Pas en avant. Portée adéquate atteinte. Mon mètre quarante était à peine à mi-bras de lui. Barre diagonale de cuir appliquée contre sa gorge. Mes autres serpentins appuyèrent le coup.
Faibles à-coups, expression de surprise. Le plat de mon épée pressait contre le canal principal de sa gorge. Je le sentais pulser périodiquement, mais pas avec précipitation. Je maintins l'appui un instant. Si le fil était au clair, il m'aurait suffit d'un geste pour gravement le blesser, voire le tuer. Samrik soutint mon regard puis ferma les yeux en grimaçant. Il acquiesça, et je reculai lentement. La culpabilité m'étreignit quand je constatai la présence d'une marque sur sa peau. Lui se contenta de se masser le cou.
"
Touché."
Je passai le revers de ma main contre mon front, instinctivement.
"
Vous voyez ? Ma force dans le domaine des armes est loin d'égaler la vôtre. Et pourtant, avec votre aide..."
Samrik resta étrangement silencieux, puis son regard dévia. Je l'imitai, apercevant une poignée de matelots munis de leurs balais ou d'armes, et tentant de se contrer par jeu. Ils s'immobilisèrent en comprenant être observés.
La tension descendant, je pouvais sentir un brin de lassitude m'envahir. Je levai le nez, cherchant à estimer le temps que je venais de passer à cet échange musclé. En tous cas, je me sentais grandie de cet épisode. Apprendre à lire son adversaire pour pouvoir anticiper ses réactions. Pour mieux l'induire en erreur et en profiter. Manier une arme était plutôt amusant, dans le principe.
Restait à savoir si j'allais être capable de réitérer ceci en combat réel.
*
--->*
Tentative d'apprentissage de la CCAA de Shaman : Prise à la gorge.