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Après mon échange musclé avec le demi-garzok, la vie à bord reprit son cours. Certains courageux tentèrent de plaisanter avec Samrik, mais ce dernier demeurait plutôt impassible. Venant à mes côtés, Eliwin m'adressa un regard difficile à cerner. Soit il était content de ma performance, soit il me la reprochait. En tous cas, il m'invita à sa suite dans ma cabine, mais s'arrêta juste devant pour me laisser passer en premier. Parfois, j'oubliais que ce robuste gaillard n'était pas le meneur de ce navire.
Sous son foulard, il se fit bref, mais direct. La gestion de la Rascasse n'était vraiment pas brillante. Le commentaire me fit tiquer, mais je hochai la tête. Je le savais bien. La plupart des hommes à bord étaient des rescapés, des naufragés, pas des marins endurcis et moins encore des pirates. Pour le moment, le vaisseau tenait bon car entretenu à Tulorim. S'en tenir à cela était apparemment une erreur.
"
Que suggérez-vous ?"
L'homme se décoiffa et se gratta un peu le crâne. Son conseil était simple : attribuer les postes clés de notre trois-mâts, voir s'il manquait des spécialistes et en recruter au prochain port. Il me suggéra de ne pas décider d'un Second tout de suite, car il devait s'agir d'une personne de confiance d'abord. Qui risquait de prendre le pas sur mon autorité puisque son rôle était de transmettre mes ordres, me privant du lien direct avec l'équipage.
Par contre, il insista sur la nécessité d'un bosco. Cet homme ayant pour tâche de faire exécuter les manœuvres et d'organiser les matelots était indispensable au bon fonctionnement du navire. En gros, il dirigeait les actes techniques à bord et s'assurait de leur bon déroulement, en plus d'attribuer une place précise à chaque homme sous sa direction. Nul doute qu'une personne ayant de solides bases en navigation allait être obligatoire.
Eliwin m'apprit une chose que Nahöriel ne devait pas connaître ou dont, en tous cas, il ne m'avait pas parlé. À bord, puisque nous n'étions pas "comme ces pétochards" des navires marchands, les matelots pouvaient élire un quartier-maître. Apte à prendre la barre, il servait entre autres à représenter l'équipage, pour empêcher le capitaine de prendre la grosse tête voire de faire des conneries par abus d'autorité. En gros, quelqu'un qui était à mes ordres, mais pouvait parler comme mon égal. Là aussi, la tâche n'allait pas être simple. Il fallait que la personne connaisse et soit connue de mes marins, sache parler, et ait les épaules pour porter cette responsabilité. En prime, c'était généralement cette personne qui s'occupait du recrutement et représentait l'équipage à terre.
Mon protecteur poursuivit, mettant en avant la nécessité de nommer quelques maîtres. Un pour l'entretien des voiles, un pour la charpente, et le dernier pour le calfatage. Il était vrai que là, si le grand-mât avait souffert de l'altercation entre Leyna et Samrik, personne à bord ne devait être en mesure de le réparer.
Plus j'écoutais Eliwin, plus ses paroles me pesaient. Heureusement que l'équipage n'était pas aguerri, car j'avais commis imprudence sur imprudence en dirigeant de cette manière. Au moins, en ce qui concernait la vigie, Lydia était toute désignée et elle s'était déjà débrouillée pour se faire régulièrement relayer là-haut. De même, le coq responsable des repas s'était trouvé de lui-même en la personne de la jeune mère. Par contre, pour qu'elle fusse apte à assumer aussi la charge de cambusier, la personne responsable des stocks, il me fallait vérifier si elle savait au moins lire et compter.
Mercurio était guérisseur donc chirurgien attitré, mais en-dehors de batailles, il risquait de s'ennuyer. Discuter d'une place plus concrète avec lui était nécessaire. Mes pensées dérivèrent vers la Prêtresse, mais je les repoussai. Après tout, qui sait si elle comptait remonter à bord une fois la cité de Lebher atteinte ?
Eliwin acquiesça à notre échange, nota le cap et sortit pour aller donner ses directives au timonier en place. Je resserrai le lien autour de ma tignasse végétale et sentis ma tiare glisser. Je la rangeai dans ma sacoche. Quel capitaine pouvait s'afficher paré de bijoux ? Certes, c'était un présent de Nahöriel, mais il n'était plus très adapté à ma situation.
Je sortis à mon tour et levai le nez vers la voilure gonflée à son maximum. Le vent était avec nous, et plus frais que prévu. Le continent de Nosvéris. Rien que le nom sonnait comme plein de promesses et de dangers.
Ma tête se secoua d'elle-même. Rêvasser ne faisait pas partie des attributions d'un bon capitaine.
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