Péripéties de Rascasse - Chapitre VIIPéripéties de Rascasse
Chapitre VIII
L'équipage ne semblait pas très rassuré suite à ce refus de soin envers la capitaine et s'en figea. Et à en entendre ce whiel barbu qui dépassait tous les autres d'une tête et maugréait dans sa barbe frisée comme le dernier des thorkins son jugement à son sujet, se demandant qui était ce dernier des baltringues, son audace en pris encore une gifle. Le coup de grâce fut certainement quand il eût fallu que ce soit la capitaine qui désignât un nouveau cobaye. Et quel cobaye ! L'elfe de la cale, au grand dam de Mercurio, qu'elle nomma Nahö, et qui se plaignait d'une blessure au torse dont les points étaient à refaire.
Voilà qui le soulageait. Les plaies faisaient parti des maux les plus faciles à soigner, une simple reconstitution de chair basique, une des premières leçons que son précepteur, Alkrim, lui avait enseigné. Bref, un jeu d'enfant qui ne devait pas poser le moindre problème. Et puis cette plaie tombait bien, car les effets du soin seraient directement visibles et indéniables. Le genre de sort qui impressionnait les blaireaux. Parfait pour sa démonstration, il n'aurait pu espérer mieux. Encore que, il fallait voir un peu la tronche de cette fameuse plaie.
L'elfe ôta sa tunique et tout le monde put constater qu'il n'en était pas à sa première blessure. Des cicatrices importantes se dessinaient sur sa peau et cette vision troubla un peu l'avis de l'humoran sur l'elfe. Comment un être qui s'en était pris autant dans la gueule durant son existence pouvait encore se permettre de chialer comme une sensible petite donzelle ? On pourrait attendre d'un tel individu qu'il se soit blindé après ce genre d'expériences... Enfin bref, ce questionnement importait peu.
L'important, c'était cette blessure qu'il se coltinait sur le quadrant inférieur gauche de l'abdomen. Il s'accroupit pour analyser la plaie. Il ne savait pas ce qu'il avait pu se passer pour qu'il puisse ainsi se la rouvrir, mais il n'avait pas dû en falloir beaucoup vu l'amateurisme flagrant de la couture. D'ailleurs, une autre interrogation lui vint en la voyant. Ce n'était quand même pas de la petite blessure de rien du tout. Si on devait se fier à son emplacement et à sa rectitude, c'était un sacré coup d'épée qu'il s'était pris dans le bide. Du genre bien profond et qui découpait bien méchamment les organes internes. Comment ce gars tenait encore debout ? Comment pouvait-il se dresser tranquillement là, sur ces deux pieds, comme si de rien n'était ? Et qu'on n'aille pas lui faire croire que c'est un vaillant capable de supporter la douleur sans broncher ; même le plus enragé des garzoks serait en train de se trémousser au sol comme une catin avec ça. Il porta un regard interrogatif à l'elfe et était sur le point de lui demander les circonstances de cette plaie avant de voir que celui-ci avait les yeux rivés ailleurs.
Il ne s'en était pas rendu compte, mais outre le bruit de la mer, un silence de mort s'était installé sur le navire et tout le monde fixait l'oudio. Celle-ci s'était positionnée face à l'équipage et portait sa main au-dessus de celle blessée. Cette bougresse utilisait de la magie de soin sur elle-même ! Elle lui avait bien caché, cette enflure, qu'elle savait l'utiliser ! Mais, par les dieux, si tel est le cas, pourquoi, nom d’un bouloum, pourquoi était-elle resté autant de temps avec son poignée douloureux et sa pleureuse officielle la bedaine à moitié ouverte ? Parce qu'elle attendait de ruiner son effet ? Il commençait à sentir sa paranoïa l'énerver. Tout de même, Le comportement de cette capitaine était bien singulier. L'humoran se contenait en la regardant faire. Il eût cependant l'agréable surprise de pouvoir observer que, bien qu'elle ait ce pouvoir, elle le maîtrisait bien mal. Il n'y avait aucune réflexion derrière son sort. Elle bombardait juste la zone avec ses fluides en espérant que ça se soigne tout seul. Magie de lumière oblige, cette technique grossière eût quand même son petit effet. La main repris de sa coloration originelle et de sa mobilité. Il avait toujours du mal à imaginer le fonctionnement d'une telle anatomie et, s'il avait tenté le soin lui-même, il n'aurait sans doute pas pu faire beaucoup mieux. Le fait était que, toute fière d'elle, elle gigota ses doigts étranges et serra sa main soignée comme si elle venait d'accomplir un miracle extraordinaire. Et l'équipage avait l'air de gober que ce fut bien le cas. Elle resta cependant flegmatique et se retourna vers lui en lui lançant une petite pique :
"On dirait bien que la magie de lumière marche aussi sur les oudios."Il aurait bien pu lancer un grand débat sur le fait que son soin était tout pourri et qu'il était toujours plus facile de se soigner soi-même puisque cela nous permettait de ressentir les tissus qui se recomposaient en direct. Il aurait aussi pu lui reprocher de ne pas lui avoir dit ça avant parce que, quand même, il serait bien étrange de ne pas savoir les effets d'une telle magie sur notre propre corps lorsque l'on sait les maîtriser et dévoiler ainsi sa fourberie devant son public. Il aurait, de même, pu énoncer à voix haute l'absurdité de se trimbaler autant de temps avec une telle blessure sans avoir essayé de se la soigner avant. Et enfin, il aurait pu mettre à défaut la capitaine en clamant que c'était une honte qu'elle ait caché ainsi sa capacité à l'équipage jusqu'ici et exploiter le filon jusqu'à faire comprendre à cette bande de piratillons qu'elle devait encore leur cacher de la même sorte des secrets bien plus graves, ce qui n'aurait pas forcément été la plus idiote de ces audaces, mais tout cela ne se traduisit finalement que par un haussement de sourcil méprisant à son égard.
Il sentait bien que, sur le moment, il ne devait pas se faire polémiste. Elle arrivait dorénavant à agiter le bout de ses ignobles doigts comme des asticots piégés dans de la vase ? Grand bien lui fasse.
Mais lui, maintenant, devait, plus que jamais, se montrer professionnel.
S'il avait voulu faire une démonstration publique, après tout, c'était tout sauf pour elle.
Allez, adieu l'amatrice et félicitations pour ton patté. A présent, au tour du spécialiste.
Pour la peine, autant en faire du grand spectacle. Mimant la manière de faire des saltimbanques solitaires et des escrocs liseurs d'esprit, il allait faire expliquer au volontaire lui-même ses travers à l'assemblée.
Il le fit s'avancer un peu, comme si le maître de la scène n'était autre que Nahö et lui demanda de ne pas bouger. Il s'écarta un brin de lui, marchant de-ci de-là et lui demandant haut et fort :
"D'accord Nahö. C'te blessure est bien moche. Raconte un peu aux gars c'qui t'es arrivé."C'était bête, mais de cette façon, il se dédouanait de toute question directe qui aurait pu donner l'impression qu'il ne connaissait pas son boulot. Et lui faire expliquer ça à tous permettait de poser une bonne base pour s'assurer qu'ils comprennent bien ce qu'il se passait devant leurs yeux.
"Je me suis pris un coup de sabre dans le ventre.""Vas-y, tourne sur toi-même un peu."Il s’exécuta. Petit moment de stupeur parmi l'assemblée lorsqu'ils virent la plaie au niveau du dos. L'humoran les laissa à leur surprise jusqu'à ce qu'il eût fini l'entièreté de son tour.
"Un sabre t'a transpercé le bide, et t'es pas mort. Comment ça s'fait ?""J'ai bu une potion de soin tout de suite après."Ah, c'était donc ça. Une putain de potion de soin. Le genre de truc que plein de glandus avaient sur eux sans en savoir les effets. Ils étaient combien, les cadavres qui avaient pensé qu'une foutue potion serait suffisante pour les retaper comme si de rien n'était ? C'était une ignorance dangereuse. Non pas que l'humoran était contre leur utilisation. En règle générale, ça faisait bien son affaire pour les blessures, pour les maladies les plus bénignes et pour les coups de fatigue. Mais la débilité des gens était manifeste. Ils dépensaient leur tunes à acheter une potion sans poser de question à quiconque et, le jour venu où ils en auraient besoin, ils en font quoi ? Ils la boivent ! Et c'était à n'en pas douter ce qu'avait fait ce petit imbécile. Qui, par Jeri, qui a dit qu'une potion n'était utile qu'en solution orale ? Bon, oui, là, il fallait bien qu'il en ait avalé pour retaper ses organes internes entre autre... Mais il aurait dû en garder pour en appliquer directement sur ses plaies ! S'il l'avait fait, il ne serait pas là, comme un benêt, en train de se tenir la peau de la bedaine en espérant que la tripaille ne fasse pas la malle. Les gens étaient bien trop cons pour savoir utiliser convenablement une potion. Ces saloperies de fioles étaient une fois sur deux mitonnées à base d'eau, de sucre, d'épices et de tas de mauvaises choses par des charlatans de premier ordre. Et ces merdes lui volaient son boulot. C'était chiant, merde !
Il aurait bien été tenté de le gifler rien que pour se passer les nerfs, pour le coup. Mais tant qu'à y être, autant rebondir dessus.
"T'as bu une potion d'soin ? Et ça t'as pas complèt'ment soigné ?""Ben non, ça se voit pas ?"Il se tourna alors vers l'équipage :
"Ret'nez bien ça, les gars. Les potions, c'est d'la merde, ça requinque qu'à moitié. La preuve, elle est là. Si vous avez besoin d'soins, c'est à bibi qui faut causer ! Allez, que j'vous montre un peu c'que c'est qu'un guérisseur... Assis-toi, toi."Il fit assoir l'elfe à-même le sol, sur le pont. Il eût ainsi l'agréable surprise que le silence de mort de tout à l'heure était revenu. C'était lui qui menait la danse, et ça lui plaisait.
"Alors, voilà c'qui va s'passer : J'vais utiliser ma magie pour lui r'taper non seulement ses plaies mais aussi l'intérieur d'son corps. Ça risque de t'faire une drôle de sensation, t'étonnes pas. J'vais d'abord m'occuper d'celle-là. (dit-il en s'accroupissant simplement à côté de lui et indiquant de l'index son abdomen.)
Les autres, ram'nez vos culs ici, v'nez voir d'plus près c'qui s'passe !Il était bien loin, le temps où il avait à se concentrer pour faire jaillir un brin de fluide de la paume de sa main et s'en retrouver aussitôt fatigué. Dahràm, les Lances Écarlates et son périple en Ynorie avait fait de lui un véritable soigneur de guerre. Pas dans les plus doux ou les plus rassurant, mais dans les plus efficaces. Il pouvait maintenant faire jaillir ses fluides de n'importe quelle zone de la main ; c'était l'occasion de s'en servir. Plutôt que de camoufler la plaie avec sa patte, tout en restant à son flanc, il avança son index et son majeur juste à côté et dirigea son sort.
Un filet de lumière s'échappa du bout de ses deux doigts pour s'engouffrer à l'intérieur de la blessure. Les premières secondes ne furent pas les plus passionnantes à regarder car la magie opérait là où le regard ne portait pas. Il avait appris à ressentir l'état des organes et là, la potion de soin avait déjà fait le gros du boulot. Non, ce qui était à refaire, c'était les muscles et les vaisseaux sanguins sectionnés. Comme lui avait appris Alkrim, la magie lumineuse ne pouvait pas opérer à partir de rien, sinon on pourrait dédoubler un homme rien qu'en soignant une de ses peaux mortes. Tout ce qu'elle faisait, principalement, pour les blessures, c'était d’accélérer considérablement la capacité régénératrice naturelle du corps. Rien de plus, rien de moins. Rien de bien sorcier en somme.
Il n'eût fallu une longue patience pour enfin apercevoir les chairs qui commençaient à se reformer et la peau se reformer. Et, miracle de guérisseur, pas la moindre trace de cicatrice en ce lieu.
Il exécuta ensuite silencieusement la même opération du côté du dos.
En moins d'une minute, le tour était joué.
Quelques crétins s'étaient mis à toucher l'emplacement où se trouvaient les plaies avec curiosité et l'elfe se laissait faire avec un léger amusement. Ce comportement de débile l'énerva. Il se releva et claqua une fois fort des mains pour faire revenir l'attention sur lui.
"Allez, maint'nant bougez un peu d'là ! Et lève-toi, toi. (dit-il en l'attrapant par le bras pour l'y forcer)
Tourne-toi encore une fois qu'tout le monde voit la différence. (dit-il en le tournant finalement lui-même, ne le trouvant pas assez vif.)
Voilà. Pas de cicatrice, rien, que dalle. Comme s'il s'était rien passé."Péripéties de Rascasse - Chapitre IX