La foire aux bestiaux5 - Les marécages et les engins volants tout juste identifiés
Je salue l’aube naissante sur la route s’étendant toujours plus vers le septentrion. L’aubergiste m’a indiqué qu’à la nuit venue je verrai les portes d’Exech apparaître, si je marchais d’un bon train, ce que je fais. Je n’avais pas imaginé la foire aux bestiaux si proche des terres étrangères, bien qu’à la réflexion ce ne soit pas si étonnant que ça, eux aussi sont intéressés par la qualité de nos montures.
Mon beau désert ne tarda pas à s’incliner face à de vastes plaines marécageuses. Elles forment une étendue humide, monotone, peuplée d’une multitude d’insectes dont certains manifestement assoiffés de sang, comme en attestent les piqûres qui ne tardent pas à fleurir sur mes mains et mes joues. Cela me force à accélérer le pas, j’espère vivement que cette ville est plus agréable que ses abords.
Finalement, lorsque le soleil décline à l’horizon se profilent les lourdes et lugubres murailles de la ville d’Exech. Plusieurs voyageurs, esseulés où en groupe vaquent à leurs affaires. Soudainement, je vois dans le ciel un gigantesque engin volant fendant les airs, toutes ses voilures gonflées par le vent. Les rumeurs sont donc vraies, il existe bien des navires permettant de parcourir les cieux d’un lieu à l’autre. Je reste un instant interdite devant ce spectacle de cette machine gracieuse passant lentement au-dessus de ma tête, prise d’un mélange d’excitation et de crainte révérencieuse. Une fois disparu derrière la brume des marécages, je regarde autour de moi, cherchant l’endroit d’où il a pu s’envoler et mes yeux tombent sur une petite bourgade, ou un village. Je décide d’incliner mes pas dans cette direction, la ville attendra, elle n’a pas l’air si accueillante de toute façon.
Une heure plus tard, alors que les étoiles commencent à poindre dans le ciel, je parviens à ce que je comprends être la zone d’embarcation des cynores d’Exech. Elle est majoritairement constituée des complexes nécessaires, je suppose, à faire voler de tels engins. Tout autour de moi s’agitent des personnes, rentrant de cette démarche pressée qui annonce la fin d’une journée de travail et l’attente impatiente des loisirs une fois rentrée. Certaines choses semblent immuables, quel que soit le peuple. Je croise beaucoup de grands êtres à la peau grisée et aux oreilles pointues que je suppose être des Sindeldi, les elfes gris faisant voler les cynores. Leur présence est logique après tout en ce lieu. Il s’y trouve une auberge et quelques commerces, rien d’immense, seulement les activités qui ont profité de l’implantation d’un nœud d’échanges.
Je décide d’entrer dans l’auberge, mais une affiche à l’entrée m’interpelle. Elle annonce le recrutement d’aventuriers pour venir en aide à une cité du lointain continent de Nirtim. Je hausse les épaules et entre.
L’aubergiste m’accueille d’un petit sourire et je m’installe sur le comptoir, lui commandant de la nourriture et du vin. Il me les apporte avec diligence. La salle commune est presque vide, mais me paraît agréable, avec ses quelques tables et son âtre dans lequel couve un feu timide.
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Vous venez pour embarquer sur un cynore où vous débarquez tout juste ? me demande-t-il pour engager la conversation.
Je secoue la tête, me forçant à sourire.
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Je suis là presque par hasard en fait. Je devais me rendre à Exech, mais je craignais de mettre trop de temps pour y arriver.-
Alors vous avez bien fait, les portes sont closes la nuit, vous ne pourrez y entrer qu’au petit matin.Je le remercie du conseil, guère étonnée cependant de ses mots. Visiblement, qu’une ville soit faite de pierre ou de toile, elle a besoin de se protéger la nuit. Amère, je songe que cela ne suffit parfois pas. Plus pour chasser ces sombres pensées de mon esprit que pour réellement engager la conversation, je demande à l’aubergiste :
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Quelle est cette affiche que vous avez placardée sur votre porte d’entrée ?-
Oh, ça, c’est une demande d’Oranan. Il paraît que la ville coure un grave danger, qu’elle va se faire assaillir par les troupes d’Omyre. Alors elle demande de l’aide, et comme les cynores et aynores sont gratuits pour tout aventurier s’y rendant, des annonces sont également faites dans les zones d’embarcation. On dirait que les Gris y voient un certain profit.Un point particulier éveille une fibre dans mon cœur, un écho trop proche que je crains d’explorer, mais qui me pousse malgré tout à poursuivre cette conversation.
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Vous voulez dire qu’il y aura une guerre à Oranan ? Risque-t-elle de tomber ? Mais son peuple se fera massacrer !L’aubergiste me lance un regard interrogateur, étonné par cette vive réaction.
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Et bien, c’est ce qu’en disent les rumeurs, oui. A la guerre, des gens meurent, c’est pas à Exech qu’on vous dira le contraire. C’est moche, mais c’est comme ça. Pourquoi, vous voulez vous y rendre ?Sa question me laisse interdite. Moi ? Aller à Oranan ? Tenter d’aider un peuple qui n’est pas le mien ? Ce ne serait que folie. Et pourtant. Pourtant cette pensée commence à tournoyer dans mon cerveau, cherchant de petites alcôves où se nicher. Je pourrais y aller, apprendre des choses qui pourraient me permettre de rentrer chez moi riche de connaissances et des habilités et trouver ainsi la source du massacre auprès de mon peuple. Mais je repousse cette idée. Il n’en est pas question.
Je donne mon refus à l’aubergiste et lui demande de m’indiquer ma chambre. Je m’y rends et m’installe sur le lit de fortune, mais qui heureusement ne fourmille pas d’hôtes impromptus. Cependant, l’idée de me rendre à Oranan, insidieuse, persiste. Je commence à avoir envie de m’y rendre, car après tout je n’ai nulle part où aller. Si je peux aider à la sauvegarde, aider des personnes à ne pas connaître le deuil de la perte d’êtres chers. Serais-je digne de mon père si je ne m’y rendais pas. Mais en même temps ce n’est pas ma guerre, elle est lointaine, sur un continent dont j’ignore presque tout, et je ne suis qu’une simple femme. Pourtant, d’aucuns disent que les femmes ont une place plus prépondérantes dans d’autres cités, qu’elles peuvent devenir guerrière là où je ne le suis que forcée…
A l’aube, je n’ai pas fermé l’œil, mais ma décision est prise. Je me rends au guichet où l’on se doit d’acheter les billets de cynore et m’approche de l’elfe gris au comptoir. Je ne peux m’empêcher de le dévisager de pied en cape, étonnée par cet air si exotique.
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Je souhaiterais un billet pour me rendre à Oranan. J’y vais pour l’annonce.L’elfe me rend mon regard, comme s’il m’analysait.
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Bien. Tenez. Nous verrons avec eux pour le remboursement. Bon vol.Je prends le billet des deux mains et le remercie, vais pour faire quelques pas mais me retourne, gênée.
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Excusez-moi, monsieur, mais comment y va-t-on ?Il esquisse un petit sourire, comme s’il était habitué à ce genre de question.
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Vous pouvez monter dans le cynore là-bas, il se rend à Tulorim. Une fois à Tulorim, présentez-leur votre billet et prenez un aynore jusqu’à Kendra Kâr. Une fois là-bas, prenez un nouveau cynore et dites bonjour à Oranan.J’écarquille les yeux devant tous le trajet que ça implique.
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Ce doit être long !Le sourire de l’elfe gris s’accentue, pour devenir franc.
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Oh, c’est certain ! Au moins huit heures de vol !