L'eau était froide, Hrist laissait son corps nu flotter et descendre au fond de la rivière à mesure que l'air qu'elle respirait emplissait sa poitrine. Son armure était crevée et sa peau blanche arborait maintenant une coupure rouge sous le sein. Elle grimaçait en enfonçant l'aiguille à matelas et le fil tressé qui servirait à coudre sa plaie.
Cèles assise sur un jonc observait sa maîtresse, la tête enfoncée entre les mains, toutes deux gardaient le silence.
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« Qui est cet homme ? »Silmeria ne lui accorda qu'un regard distrait. Le garçon, jeune chasseur de la région avait fait sonner le haro pour déclarer avoir vu un mort. D'ordinaire, on ne présente pas chaque témoin funèbre à la Baronne, mais le garde avait estimé que l'information pourrait intéresser Silmeria.
« Un jeune chasseur, Baronne. Il a donné l'alerte en voyant un corps pendu dans la forêt. Un corps qui correspond à l'individu recherché. »Immédiatement, l'intensité prit le dessus, Silmeria se tourna vers le jeune garçon, un gamin plus qu'un homme en réalité, avec un fichu sur la tête, une houppelande rapiécée et des chausses de cuir craquelés.
« Il dit vrai, Baronne. J'étais dans la forêt, les animaux étaient difficiles à débusquer alors je ramassais des glands et d'autres fruits tombés par terre, mais en levant les yeux, j'ai vu un corps pendu dans les branches, trop haut pour s'être tué tout seul, le bougre. »Silmeria se caressa quelques instants le menton. Si l'assassin de Tulorim s'était fait tuer, par qui ? Et que fichait-il dans la forêt ? Et quelle drôle de façon de tuer quelqu'un si ce n'est pas pour qu'il se fasse voir. Qui voudrait ça ? Un avertissement ou un service rendu ? Est-ce que c'était bien la garçon en question, ou un autre ?
« Bien sûr, que le garde dit vrai... Que désires-tu, en échange de ce service rendu, mon garçon ? Si le pendu s'avère être celui que je recherche, tu seras récompensé, sinon, tu seras mis à mort pour m'avoir dérangée. »Le garçon leva un regard ahuri vers la femme. Il commençait à triturer ses doigts et balbutiait qu'il ne demanderait que de quoi nourrir sa famille. Silmeria trancha, on releva le garçon et l'envoya attendre dans la Cour principale.
Silmeria entourée de sa garde montèrent à cheval, accompagnés du jeune homme qui ouvrait la voie. Arrivés dans la forêt, le garçon s'agitait, il espérait en priant que le pendu soit bien celui qui était recherché, même s'il ne jugeait pas noble de se voir octroyé des biens en raison de l'identité d'un mort, il trouvait ça profondément immoral mais pas autant que de se voir tué s'il ne s'agissait pas pour la Baronne d'une " bonne nouvelle ".
L'espace d'un instant, Silmeria pensait qu'ils étaient perdus, que le garçon ne retrouverait pas son chemin ou bien qu'il ai voulu se rendre intéressant et crier au haro. Cependant, il pointa du doigt un pan de chemin.
« Ici ! C'est là que je m'étais arrêté, on voit encore des traces de sangliers sur l'écorce des arbres, je me souviens de cet endroit, le corps est juste à côté de ces fourrés. Là ! Regardez ! »Effectivement, il y avait un corps suspendu, il tournait le dos à l'assemblée, Silmeria pu distinguer ses cheveux, il semblait avoir la même taille. Les mains étaient noires à cause du sang qui s'y accumulait, les bras pendaient inutilement le long de ce corps sans vie. Privé de toute intimité, on lui avait retiré ses vêtements, son corps était couvert de saletés et de feuilles. Un soldat mit pied à terre et entama l'escalade de quelques branches pour mieux voir.
Il déclara qu'il était mort probablement avant d'être pendu, que la boue et les feuilles trahissaient qu'il avait été trainé dans la forêt avant d'être pendu. L'écorce abîmée sur une grosse branche supérieure laissait croire que la corde avait été tirée du bas de l'arbre, et que ça n'avait pas nécessité une force surhumaine pour le hisser et le maintenir fixé, quand bien même il ne fut pas imposant.
Le vent souffla, brusquement et le corps tourna vers Silmeria, comme pour saluer les cavaliers et la Baronne. Les yeux encore ouverts fixaient le vide. Silmeria vit quelque chose d'écrit dans la chair du garçon.
« Telrum Firin ? C'est de l'Elfique. Je ne sais pas à quelle race d'Elfe ce dialecte appartient. Vous connaissez la signification ? »« Ca signifie : Mort Douce. Descendez-le, mettez le corps en terre et la tête en sac pour les chiens. » Brusquement, elle tira les rennes de Calpurnia et alla vers le jeune garçon qui triturait toujours maladroitement ses doigts. Il la regardait, le visage plein de peur.
« Je ne doute plus de toi mon garçon. Reste avec la garde, ils t'escorteront jusqu'à ta maison, demain tu recevras dix lapins et quelques légumes pour ta peine. En attendant, offre aux tiens un repas chaud. » dit-elle en lui jetant une petite bourse. Et elle disparu au grand galop, suivie de près par la garde.
Le soldat qui venait de grimper tira sa dague et coupa la cordelette de cuir qui crissait contre les branches, lorsque le corps chu, d'autres le rattrapèrent quelques mètres plus bas pour l'étendre sur le sol. L'un d'eux ferma les yeux mais la rigidité cadavérique l'empêchait de réussir convenablement à les clore. Le message était taillé au couteau, une entaille avait déformé son oreille et également une, plus profonde, sous les côtes, avait été cautérisée avec un objet chauffé, à en croire les cloques de la peau.
La trace sombre sous son cou indiquait qu'il avait été pendu vivant ou presque, contrairement à ce que pensait le soldat, le calvaire du jeune homme avait été plus long que ce qu'on pouvait croire.
« Ironique non... Se voir gratifié de " mort douce " après avoir enduré un tel calvaire. Je l'envie pas. »------
L'eau tapotait sur les cuisses de Hrist, le sang avait été nettoyé et son corps boueux n'était plus qu'un souvenir.
« On a fait un grand pas en avant... »« Arriver au bout ne sera pas chose facile, surtout depuis que nous sommes seules. C'est quoi le prochain plan ? »Hrist se laissa couler doucement, son corps glissait sur la vase et les graviers et elle se laissa porter par l'eau claire.
« Ma Maîtresse est une étoile de mer... J'aurais tout vu. »Hrist releva la tête en ricanant, les moqueries de Cèles lui avaient toujours plu, mais sa comparaison avait quelque chose qui se rapprochait du plan de Hrist.
« Je vais faire évoluer un peu les choses, Silmeria est entourée de Katalina, Lydia et de Von Klaash. Sans eux, elle a moins d'influence donc moins de pouvoirs. Je vais nous débarrasser de Von Klaash. »« Von Klaash ? Si j'avais des poumons je me serais étouffée, comment tu comptes faire ? Tu pourrais ne pas t'en sortir avec une simple coupure, Von Klaash est malade, dangereux, endurci par des années en mer, d'une tolérance à la douleur incroyable et comme si ça ne suffisait pas, il est entouré de matelots tous aussi dangereux... Tout ça au milieu de la Laide-les-Maines... Quel beau navire quand j'y repense. »« Je sais bien tout ça, mais il doit y avoir une solution. C'est vrai que s'en prendre à lui sur son... Sur MON navire serait du suicide. »« D'autant plus qu'en mer, ils doivent pas en voir beaucoup des femmes. Je plaindrais presque les morues des ports lorsqu'ils mouillent à Bouhen. »Hrist ne dit rien, elle fouilla dans les linges derrière elle, les habits d'Edmund renfermaient peut être quelques informations données par Hens. Elle vida les poches mais il n'y avait rien, de la ficelle, des chutes de cuir tanné et une petite bourse. Aucune arme.
« Y'a quoi d'dans ? »Hrist délassa la petite cordelette de cuir qui fermait la bourse, puis, en regardant son contenu, lança un petit sourire à sa Faera.
« Quelques pièces et trois petites fioles de verre. Aucune inscription dessus. Je ne pense pas être capable de deviner au nez de quoi il s'agit. Tu veux goûter peut être ? »« Non. Et puis ce garçon n'avait pas toute sa tête. Qui sait ce qu'il s'amusait à transporter ? »