Hrist resta sur la plage. Elle n'avait pas souhaité rentrer en même temps que les troupes. Souhaitant ardemment éviter les congratulations de sa cour. Elle n'avait pas fait ça pour passer pour une âme charitable, une héroïne, une femme occupée à protéger les siens dans l'espoir qu'ils puissent continuer à vivre. Non, elle ne faisait que ça pour la discorde. Ruiner la vie, scarifier la plage, anéantir les âmes et offrir aux mouettes une montagne de carcasses ensanglantés sur laquelle elle se regroupaient déjà. Crabes, oiseaux de tout genre s'approchaient timidement entre les derniers débris de la bataille pour profiter de ce banquet phénoménal.
Le vent soufflait, Lydia s'était éclipsée au château, laissant pour Hrist un cavalier de Malina en toute protection. Les routes étaient surveillées, sûres pour la plupart mais quoiqu'il en était, une Baronne solitaire pouvait faire la cible de nombreuses personnes, surtout la Baronne de Keresztur qui ne comptait pas de très nombreux amis. Les pans de sa robe noire flottaient aux aléas du souffle froid de la mer. Du bout de la botte, elle n'avait plus que pour dernière occupation que de bouger quelques pierres en regardant par intermittente, la Laide s'éloigner vers l'île où se regroupaient ces barbares qui lui causaient tant de problèmes. Son protecteur se trouvait à cent pas d'elle. Sa monture assortie à l'armure noire de Malina, ne faisaient de lui qu'une ombre sinistre qui observait invariablement la femme face à la mer.
Rien ne valait l'odeur de l'iode, surtout lorsque celle-ci était entachée du sang et de la mort.
« Comment trouver ce spectacle... Agréable ? »Silmeria soufflait ces mots non sans un effort qui lui sembla insurmontable, l'énergie de Hrist consommait tant qu'un poids qui n'existait pas, pressait la poitrine absente de Silmeria. C'était son impression, le simple fait de se tenir éveillée lui faisait tourner la tête, elle ne souhaitait que s'endormir. Quelque part en elle, elle savait qu'il était impossible de résister, que le meilleur choix serait de s'endormir, laisser la femme faire son office et profiter d'être lovée dans cette enceinte de chair et de furie... Mais une autre partie d'elle trouvait ceci injuste, être exclue de son propre corps était une insulte difficile à accepter et à subir. C'était la raison de sa résistance, aussi futile soit-elle.
« Pour moi, plus le spectacle est horrible, meilleur il est... Un peu ton inverse... »« Comme dans... Un miroir ? » Demanda-t-elle avant de s'évanouir une seconde fois.
« Non... Désormais, les miroirs seront interdits. »
Cèles se flanqua un autre coup de pied au cul mental, pour elle, si la Frémissante privait Silmeria de ses affections aussi simples qu'un miroir, c'était de mauvaise augure. Tout cela, même si Hrist n'en avait que faire, des miroirs. Pour elle il ne s'agissait là que de la différence entre les deux âmes. Elle quitta la mer et se dirigea vers Calpurnia pour rentrer. La monture n'était pas affectée par le combat, Hrist inspecta sa robe, caressant l'encolure de la bête pour la remercier ou la féliciter, de toutes façons, elle n'était plus réputée pour être prévisible...
Elle chevaucha suivie de son protecteur jusqu'aux petites routes en bordure du village située à deux lieux de la plage. Désertes, les routes avaient été abandonnées, le bruit de la bataille faisant rage avait dû dissuader même les marchands d'emprunter ce chemin poussiéreux pour au moins plusieurs jours. Les humains étaient si impressionnables, si couards parfois.
La route, jusqu'à présent, s'était déroulée sans encombres... Jusqu'à ce que...
Hrist passa un virage étroit, les broussailles et fougères n'avaient pas été taillées ou mangées par les bêtes, à tel point qu'elles privaient les passants de toute visibilité. Une lance vint éclater sa lame sur le sol, plantée là, signe d'un danger. Calpurnia prit peur et se cabra, le cavalier derrière elle tira son épée et passa devant la Baronne, prêt à remplir son devoir de gardien, de soldat, de martyr au final.
Lorsque la monture se fut calmée et que Hrist pu de nouveau en tirer le contrôle, elle pu voir ce que les herbes avaient jusque là, dissimulé. Une créature étrange, semblable à un dragon, ceux qu'on voit dans les livres... Cependant, la bête n'avait rien de ces allures terrifiantes, et ne puait pas le souffre. Perdue sous des tonnes d'acier, il s'agissait d'un cavalier et d'une monture, la monture elle, avait un long cou, flasque et mou qui passait comme un vers ou un serpent au dessus du sol, la tête protégée par un épais casque de fer, qui ne laissait dévoiler que de nombreuses rangées de dents aiguisées et brunes. Les filets de bave tombaient, de toute évidence, ce n'était pas le genre de bestiole à qui l'on donnait du foin... Son cavalier lui non plus, n'était pas commun, un homme lézard des plus étrange, rien à voir avec ses semblables moins évolués, celui-ci avait presque fier allure... Armure lourde, une lance à la main, largement plus longue que celle envoyée en guise de provocation à la femme. Elle lui conférait un avantage de portée immense, le cavalier noir de Malina s'approcha et somma la créature de quitter les lieux sous peine d'être châtié. Pour toute réponse, il n'eut qu'un hurlement sinistre et aigue de la part de l'homme lézard, peu décidé à quitter le chemin sans un combat... Mortel. Le protecteur chargea alors. Animé par son désir de travail bien fait, il chevaucha vivement vers sa cible elle aussi, en route. Le chemin prenait alors des allures de terrain de joute, là où s'entrainaient les cavaliers Kendrans et également, celles où les chevaliers amusaient le peuple, pour toute différence était que leur lance était émoussées et les armures renforcées. La bête rampante avançait en remuant de manière visqueuse sa masse mais à grande vitesse, presque plus vite qu'un cheval. Hrist n'avait pas reculé, elle observait quasiment ébahie le spectacle auquel rien ne l'avait préparée. Pris de court par la vitesse et la longueur d'arme de son adversaire, le soldat fut tué lors de la charge, la lance du lézard avait percé la gorge du cheval pour finir sa course dans les entrailles de l'humain. Coup violent, porté par un adversaire doté d'une force impressionnante, le cavalier n'avait pas eu le temps de souffrir, Hrist quant à elle, n'avait pas eu le temps de tirer sa lame que déjà, la bête qui servait de poney à son maître dévorait déjà la carcasse du cheval.
Hrist ne semblait pas très impressionnée, lorsque Silmeria revint à la surface et qu'elle vit le résultat de cette joute improvisée, elle préféra s'évanouir de nouveau après avoir demandé :
« Qu'est ce donc que... »« On dit que les hommes lézards perdent leur queue lorsqu'ils ont peur... » répondit-elle à voix haute tout en tirant la Scélérate hors de son étuis à mesure que son sourire grandissait. Son adversaire avait décapité sa cible et tenait le visage du vaincu en l'air, dans un air triomphal, il jeta le morceau d'homme aux pattes de Calpurnia. La tête roula, elle avait conservée ses expressions d'horreur et de peur, à jamais figée dans les muscles faciaux de ce corps sans vie. Le cri retenti de nouveau, la bête s'apprêta de nouveau à charger pour cette fois-ci, tuer la Baronne.
La charge molle et vive recommença, les rennes de Calpurnia claquèrent mais Hrist n'était pas dupe, elle savait qu'en chargeant de front, elle serait – ou sa monture – blessée, tuée voire capturée, tout dépendait du dessein de l'adversaire aussi vif qu'inattendu.
« J'ai hâte de voir ça ! » Carlpunia était plus animée par la peur que par son éducation, lorsque Hrist décida de faire demi-tour, il se fit de lui même tant sa monture noire préférait éviter de se trouver en face d'une telle créature. Hrist avait certes dévoilée une arme au lézard, elle avait de la ressource, bien que peu habile à l'arbalète, elle tira néanmoins l'arme de jet hors de son écrin de cuir une fois le virage étroit passé. Elle ralenti alors la vitesse de sa monture qui obéissait à contre-coeur. Le point de l'arme fixé sur le passage touffu. La bête arriva, lancée dans son élan et comme Hrist l'attendait, elle dû couper toute vitesse pour se replacer convenablement. Devant elle, les chemins étaient plus escarpés et les petites routes fréquentes, rien de plus compliqué pour une monture lourdement chargée, ce qui n'était pas le cas de celle de Hrist. La Frémissante tira son carreau, l'acier volant alla percuter le cavalier ou plus précisément l'armure qui lui couvrait les reins, éclatant dans une poussière d'étincelles.
« Mais, comment tu fais pour toucher le cavalier en visant la monture, toi ? »« Si tu crois que c'est simple de tirer à cheval ! » cracha Hrist, exaspérée de l'intervention de sa petite Faera.
« Je suppose que tu ne vas pas me demander d'invoquer un lézard ou un serpent ? »« Pour effrayer un homme lézard, je vois pas l'intérêt... »« Il pourrait avoir l'intention de l'adopter. »Son adversaire cria de ce son si désagréable avant de claquer les rennes sur son familier, les lourdes pattes faisaient trembler le sol et levaient une quantité de poussière énorme à mesure où le monstre approchait. Calpurnia ne pouvait pas aller plus vite, trop escarpées, une chute sur ces routes et il en était fini pour elles. Hrist se retournait régulièrement, constatant non sans une certaine amertume qu'il aurait été préférable d'acheter un cheval de course.
Les chemins qu'elle décida d'emprunter étaient ceux qui avaient des arbres biens jeunes... Avec des branches de préférence bien basses. Chose qui la forçait souvent à quitter les chemins pour courser directement dans les bois, augmentant alors le risque de chute d'une façon qui frisait presque la certitude. Calpurnia avait un désavantage énorme, rapidement empêtrée dans les ronces et les fougères, elle perdait la précieuse distance qui les séparait et Hrist, en se retournant voyait la bête s'approcher de plus en plus, la lance cependant, ne pouvant être pointée vers la tueuse en raison du terrain et du trop grand nombre d'arbres.
Bientôt les sous-bois furent dépassés et les cavaliers étaient à présent lancés à vive allure en direction d'un petit moulin où s'activaient une demi-douzaine de paysans qui venaient broyer les stocks de grains entreposés dans la petite grange prévue à cette intention. A une demi-lieue, un femme braillait en voyant la course poursuite, ce qui flanqua immanquablement la frayeur dans le petit groupe qui détalla sur le champ, laissant le moulin et la grange abandonnées. Le terrain n'était pas spécialement propice au combat à cheval, le cours d'eau qui servait à alimenter les rouages du moulin coupait le terrain en deux, la bestiole ne pourrait sans doute pas le sauter, cependant il était bien trop peu profond pour l'empêcher de le franchir.
Hrist tentait opiniâtrement de recharger cette '' satanée arbalète '' qui se révélait être un véritable jeu d'adresse. Le carreau refusait de loger dans la petite cale où était située le tendeur, le rouet glissait et Hrist perdait patience en se demandant quel était l'imbécile qui avait eu l'idée de créer un engin pareil. Calpurnia, lancée dans un dernier effort et animée de la peur gagnait assez de distance et Hrist pu passer le petit point d'eau avant que l'homme lézard ne soit à portée. Trop préoccupée par la santé de son cheval, Hrist descendit et piqua son arrière train à l'aide du carreau qu'elle avait enfin pu armé dans l'arbalète. Le martèlement des pattes sur le sol attirèrent son attention de façon alarmante, il y avait maintenant deux solutions, à cheval, elle n'avait pas de grande chance de pouvoir seulement le toucher, maintenant qu'elle n'avait plus de monture, elle n'avait plus vraiment ses chances non plus... Seule solution restait de le priver de sa monture, ça suffirait pour se trouver sur un pied d'égalité.
A la vitesse où le machin à quatre pattes s'approchait, elle pouvait toujours tenter de se glisser sous lui, là où l'armure était plus souple et tenter de lui ouvrir le ventre... A supposer qu'il ne décide pas de lui bouffer un bras dans la manœuvre, ou qu'il ne lui tombe pas carrément dessus. Une tonne de viande de lézard et presque autant d'armure, elle ne se sentait pas capable de s'extirper de tout ça. La grange de bois n'offrait pas un abri suffisamment solide, le moulin était de pierre mais si elles s'écroulaient, le résultat serait le même... Il lui restait une seule solution : l'eau.
« Je pense que pour l'effrayer, il faudrait une illusion plus forte, l'espèce de monstre qui lui sert de monture ne reculera pas devant grand chose. »« Pourquoi créer des catastrophes alors que la nature en est pleine. Il y a la famine, des épidémies de peste de toutes les couleurs, des pandémies de chiasses de toutes les couleurs aussi, des tremblements de terre... »« Sois sérieuse ne serait-ce qu'un instant, s'il te plaît. »« Je suis aussi sérieuse qu'une pneumonie chez un orphelin ! Mais à cet instant particulier, tu devrais porter ton attention sur la bête furieuse qui te charge. »Plus loin, derrière les fourrés, un trio macabre de cavaliers enchevêtrés de noir, habilement dissimulés dans les broussailles observaient la femme.
« Voici donc la lice, cette Baronne anorexique face à Esmar, chevalier raptor... Il n'en fera qu'une bouchée, tout comme il a écrasé son garde. Messieurs, profitez du spectacle. » Soufflait l'un d'entre eux, un sourire démoniaque posé sur ses lèvres.
« Ces crimes innommables vont enfin être punis... Un instant ? Que fait-elle ? »« Elle entre dans l'eau... Rassurez-vous, ces voies d'eau ne mènent nul part, il n'y a plus aucune issue et elle est à pied. »Effectivement, quelques mètres plus loin sur la plaine; Hrist venait de s'immerger mais contrairement à ce que pensait le mystérieux commendataire de Sir Esmar, elle ne souhait en rien s'enfuir, elle n'avait à cet instant que le seul et unique désir d'expier son adversaire. La cape de dissimulation sur les épaules, elle bénéficiait en plus du reflet du soleil sur la surface du liquide qui rendait sa détection délicate.
Le contact frais embrassait sa peau, promenant ses cheveux et s'insinuant partout dans son armure, la rendant plus lourde et glissante... Elle espérait que ce troisième désavantage ne lui porte pas préjudice. Les yeux rivés à la surface de l'eau, la Frémissante pu entendre très distinctement les vibrations dans l'eau qui trahissaient la présence de la bête énorme qui passa son cou flasque et rouge au dessus de l'eau, plongeant alors sa tête pour déceler sa proie, un peu à l'image d'un énorme grizzly cherchant du saumon.
Dès que l'œil lui fut visible, Hrist tira carreau dans l'iris de la bête, dévoilant un épais nuage rouge dans le liquide pur avant que la créature ne hurle à la surface de l'eau, se décalant vers la droite du rivage en fauchant les barrières de bois comme un château de cartes. La créature était donc blessée, presque aveugle et Sir Esmar... Au sol. La bête infernale se relevait pour tomber à terre et recommencer son manège en rampant plus loin. Le lézard se releva avec une souplesse effarante, armé désormais d'une épée fraichement tirée du fourreau, il menaçait le cours d'eau de la lame courbée, semblable à un sabre qui jouissait d'un tranchant exceptionnel.
Hrist sortit la tête de l'eau, reprenant son souffle, elle constatait non sans peine que son équipement trempé la rendait plus lente, et elle avait besoin de toute sa vitesse et ses réflexes pour affronter un tel adversaire. Sir Esmar s'approchait, courbant le cou long et flexible, il déambulait rapidement et avec grande souplesse malgré le poids de son armure, l'ennemi de Hrist approchait alors qu'elle gagnait le rivage, armée de la Scélérate, elle scrutait les poids faibles du lézard.
Selon Hrist, sa souplesse lui était autant un atout qu'une faiblesse, l'armure, à moins d'avoir été faite pour lui, lui bloquerait quelques mouvements, même s'ils n'étaient que minimes, ça lui serait une aide en combat. Les pièces de métal ne lui couvraient pas les genoux ni les coudes, la gorge et une partie du visage étaient également visible et faciles à toucher, seul son casque haut empêchait de lui frapper directement sur le crâne, cependant, ce genre de tactique n'était pas les méthodes de prédilection de la femme qui préférait largement s'attaquer aux endroits vitaux de ses victimes dans le but d'en finir le plus vite possible.
Le lézard usa de sa queue comme appuis pour se projeter en avant et ainsi lancer de haut en bas une frappe redoutable qui grâce aux réflexes de la femme ne rencontra que du vent et ensuite, la terre. Dans la précipitation, elle avait vu à quel point la lame s'était enfoncée dans le sol, phénomène qui l'alarma sur l'instant, lui faisant comprendre que tenter la moindre parade contre cette lame serait une erreur fatale.
Silmeria quant à elle était toujours dans son sommeil de morte, Cèles racontait des histoires sans intérêts et Hrist, elle était bien trop occupée pour y prêter attention de toutes façons. Trop fascinée par les sifflements et les vibrations graves que provoquait la lame en l'air dès qu'elle passait trop près d'elle. La bête hurlait et crachait, dévoilant une rangée de dents affutées comme des couteaux, il usait maintenant de la gueule et de la lame, tentant de renverser la jeune femme qui peinait à esquiver en raison de la vitesse et la souplesse reptilienne du chevalier raptor qui lui tenait tête.
Plus loin :
« Rassurez-vous, Sir Esmar est fait pour ce contrat, bientôt cette femme ne sera qu'un mauvais souvenir pour cette terre et ses habitants...»« Vous ne semblez pas satisfait ? »« Disons que la dernière fois que j'ai vu cette femme, elle travaillait pour moi. Tuer un riche homme de Kendra Kâr. Jusqu'à présent, je n'avais plus entendu parler d'elle. »« Hm. Quoiqu'il en soit de vos rapports, n'oubliez pas que vous êtes grassement payé vous et votre assassin pour cet office. »
***
« La grange, faut aller vers la grange avant d'être coupée en huit ! »Hrist se ruait aussi vite que possible vers un endroit où elle pourrait utiliser l'environnement pour se défendre et attaquer. La plaine ne jouissait pas de nombreux moyens de repousser un adversaire, et Hrist n'a jamais été la meilleure pour attaquer à grand renfort de brins d'herbe. Et un dernier effort, elle passait la porte, derrière elle, un véritable moulin qui faisait tourner sa lame de façon obsessionnelle en poussant des hurlements totalement ridicules.
De la porte, son épée en fit des allumettes. Hrist manquait mine de rien une légère déception, la grange ne contenait qu'un gigantesque silo de farine, un autre de grains de blés, une fourche, quelques harnais à chevaux, de la corde, du foin, des cruches de mauvais vin et un couteau planté dans une miche de pain. Les fondations en revanche, celles qui soutenaient la lourde charpente étaient faites d'un bois noir orné de fer, très solide car les silos étant fixés au plafond, devaient être retenus par quelque chose. De préférence, quelque chose sur lequel on ne pourrait pas frapper très facilement. Mais allez expliquer ça à un lézard énervé qui court après une anguille.
Hrist profita que son adversaire soit assez proche de lui et qu'il ait les deux bras fins prêts à abattre son épée sur elle pour se précipiter dessus. Armée de la Scélérate, elle frappa et grâce à ses nombreux entraînements et sa précision acquise au fil des aventures... Elle rata le bras et ne réussit qu'à entailler légèrement la partie souple de l'armure de cuir sur laquelle était posée ça et là de lourdes plaques de métal rouge et doré.
« Faut admettre, on est plutôt mal barrées...»Peu commode et également peu satisfait de s'être fait frapper, la bête lui décrocha un coup de patte qui envoya la femme quelques pas en arrière, acculée au silo de farine. Ils s'arrêtèrent tous les deux. Hrist savait que sous la toile, se trouvait bien des tonnes de farine et que n'importe qui avec la moitié d'un cerveau ne frapperait quoique ce soit pas à moins d'un mètre de la toile usée de peur de renverser tout le labeur des paysans.
De fait, ils terminèrent en quelques secondes ensevelis sous une farine humide qui avait rempli l'atmosphère de son amidon et son odeur qui prenait le nez de Hrist.
« Par l'enfer... Il l'a fait...»Plus loin, les quelques hommes à cheval s'interrogeaient sur la provenance de ce brouillard soudain qui blanchissait l'herbe à des lieux à la ronde. Hrist entra dans une fureur qui aurait pu mettre mal à l'aise le plus stoïque des bourreaux. Les cheveux devenus blancs, l'armure collante, elle avait l'impression d'être un gâteau pas cuit dans lequel on avait triplé les proportions de farine. De rage, elle retourna la lame contre elle et ouvrit alors son bustier de cuir en deux, perdant une protection et deux kilos de farine mouillée. Le lézard quant à lui était bien trop occupé à chercher son épée emportée par le flux qu'il avait libéré dans sa stupide erreur. En farfouillant la poudreuse, il passa sa queue dépourvue de toute armure devant Hrist qui ne manqua pas l'occasion de vérifier si elle repousserait.
La bête hurla des insultes terribles dans sa langue barbare tout en tenant de ses deux pattes le morceau amputé qu'il lui restait. Hrist lui lança le morceau ensanglanté au visage. Esmar dans sa colère lui bondit dessus, soulevant un énième nuage de farine. Il maintenait fermement la poitrine de la femme sous la masse blanche en tentant de l'étranger, tandis qu'elle, à l'image d'un chaton joueur ne cherchait qu'à lui arracher les yeux pour lui faire payer son infâme geste. Il lui était impossible d'ouvrir les yeux sous peine de ne pas pouvoir retrouver la vue avant quelques minutes, de même que prendre sa respiration sous la farine est presque aussi compliqué que de le faire sous l'eau. En définitive, elle se sentait un peu merdeuse dans cette situation.
Si elle réussit à se dégager, elle ne le devait qu'à sa cape, ou plutôt précisément au capuchon qu'elle avait cousu à sa cape lorsqu'elle était encore à Tulorim. De toutes façons, elle n'avait jamais été bonne en couture et les couleurs juraient ensemble; lui donnant une allure d'arlequin.
Le chevalier Raptor se retrouva avec un bout de capuche noire alors que la femme se relevait, ou plutôt tentait de se relever convenablement, et lorsque ce fut le cas de tenir debout sans s'empêtrer les jambes dans la toile déchirée dont les lambeaux attendaient sournoisement, cachés ça et là, qu'un imbécile se prenne les pattes dedans.
Lorsque le lézard, toujours désarmé décida de finir ça à mains nues...
Hrist perdit patience... Elle ralentit alors ses mouvements, le Lézard était à quelques mètres d'elle, s'approchant comme le bête prédateur qu'il était, usant d'arc de cercle pour acculer une nouvelle fois sa victime. La Scélérate fermement tenue comme un poignard, chose que la Frémissante n'appréciait pas, préférant la souplesses de quelques doigts le long de la lame, était en fait un moyen d'essayer quelque chose sur ce qu'elle considérait à présent : son cobaye.
Elle se courba, et sentit alors toute sa hargne et sa colère l'enivrer et filer le long de ses veines. Hrist approchait d'un état de furie qui dépassait de nombreuses personnes, mélangée à une exitation et un bien être provoqué par une enzyme proche de l'euphorie alimentée par la colère, elle se sentait comme un hypoglycémique qui venait de manger un paquet entier de fraises tagada. Le revers de l'arme n'attendait que de frapper, on pouvait croire que son arme prenait vie, du moins que son coeur battait, mais n'importe qui aurait précisé avec un air dédaigneux qu'il ne s'agissait que des battements de son propre coeur - à supposer qu'elle en eut un - qui se ressentait dans la lame de jais.
Il arriva, et le coup qu'elle lui flanqua au travers du "menton" à l'aide du manche de son arme partit si vite qu'elle en fut même surprise. Elle se mordit les lèvres, toutes cette colère emmagasinée qui n'avait fait que repousser son adversaire qui se tenait la mâchoire en comptant le nombre de dents qu'il pouvait bien lui rester. Il saignait de la tronche et de la queue qui d'ailleurs, contre toute attente ne repoussait pas. Il tenta de rejoindre la sortie, ce fut le courant d'air des Sylphes qui l'en empêcha. Repoussant une large bande de farine et claquant les portes.
« Si on s'en sort vivante, j'veux plus jamais voir un moulin, ni même une boulangerie.»Cèles continua ses palabres en précisant que si le Lézard ne pesait pas le poids de la grange en armure, il aurait connu son baptême de l'air, mais faute d'un poids de lépreux lors d'une famine, il était resté sur ses pattes, choses qui ne serait pas arrivée à un autre plus léger.
La carapace de fer n'avait toujours pas d'arme, il se rattrapa alors sur la seule et unique fourche des environs pour tenter de charger Hrist, dans un dernier élan de colère. La femme n'était pas dépourvue de tout réflexes, libre de son bustier, elle pu esquiver la fourche vicieuse qui ne demandait qu'à visiter ses entrailles et réussit à frapper la gorge de son infortunée victime qui n'avait pas vu le coup venir.
« Lèche ma lame, Lézard !»« Attaque ! »« Expire !»La peau élastique du lézard se scinda en deux et il perdit un bon litre de sang en plein dans le visage de Hrist qui vira du blanc farine, au rouge ensanglanté et sous ce masque de beauté, elle était bel et bien verte de rage. Elle frappa un nouveau coup, dans la poitrine de la bête cette fois ci, la protection de cuir avait cédé et elle pu enfoncer, non sans peine, la pointe d'acier jusqu'à l'organe palpitant de sa nouvelle victime, brisant les côtes au passage dans un effort carnassier.
La lice était close, Sir Esmar, chevalier Raptor venait de mordre la farine dans un dernier hoquet de sang. Laissant à terre la triste dépouille du chevalier, Hrist ouvrit la porte de la grange et chercha des yeux Calpurnia. Ce qui ne tarda pas à alarmer les cavaliers dissimulés quelques mètres plus loin.
« Par Gaïa ! Mais... Elle est victorieuse ! Vous nous avez trompés !»Ivres de rage, deux des cavaliers tirèrent leurs épées pour tenter de tuer le troisième : l'inconnu qui avait engagé le soldat lézard pour éliminer Silmeria. Cet homme, envers et contre tout tira de sa longue cape noire un petit objet noire aux symboles runiques rouges sang...
***
Hrist avançait sur la plaine, époussetant sa cape de toute la farine possible avant de voir une immense gerbe noire jaillir de derrière les fourrés. Alarmée, elle s'attendit en premier lieu à un autre cataclysme à écailles... Elle s'approcha avec une grande prudence, s'assurant à chaque mètres que rien ne l'attendait grâce aux bracelets des assassins. Lorsqu'elle arriva sur place, il n'y avait rien d'autre qu'une odeur d'herbe brûlée et des morceaux de cadavres à dix mètres à la ronde. Ces morceaux de chevaux et d'hommes brûlés et coupés assez fins pour servir de gueuleton à des fourmis fumaient encore.
« ... »« Cèles... Va falloir m'expliquer ce qui a provoqué ça, un dragon ? Oaxaca elle même ?»« Ni l'un, ni l'autre... Je crois qu'il s'agit d'une pointe spirituelle. Je ne pensais pas en voir une de ton vivant pour ainsi dire. Zewen a du se planter dans le destin. »« Une arme ? »« Plus complexe. Du moins, elle utilise la magie pour détruire les corps de gens. Une sorte de rune de malédiction, destruction suprême. »Hrist regardait autour d'elle. On trouvait des lambeaux d'armures, des bris d'épée tranchants qui luisaient au soleil et un pendentif encore tiède. Elle le ramassa, repoussant du pouce les plaques de sang coagulés dessus. Le symbole le fit un choc violent... Elle mettait alors en corrélation l'attaque surprenante du Lézard, et le meurtre de... Elle ne savait pas combien d'hommes, juste après qu'elle en soit sortie victorieuse. Quelqu'un avait de toutes évidences payé pour son meurtre... Et le médaillon portait le symbole de la sororité de Selhinae...
Elle jeta un dernier regard autour d'elle... Abandonnant l'espoir fou de deviner combien ils étaient... Et déclara enfin.
« Et bien... Si Gaïa souhaite reconnaitre les siens, elle n'est pas couchée...»