Avant de quitter notre position précaire, le nouveau tient à résumer la situation que lui a exposée Hawke. Il semble peu satisfait de la logique des choses. Il n’a pas tort, en soi, mais j’ai déjà accepté cet état de fait depuis longtemps : il s’agit pour nous de sauver une espèce animale entière. La Dame Grise a beau jouer les mystérieuse avec les mioches, nous percerons à jour cette menace, avec ou sans son aide. Car il le faut. Aliéron accepte tout de même de me rendre grâce en signalant qu’effectivement, j’ai raison de ne pas vouloir traîner là. Fabiolo, lui, prend mal la position du bellâtre sur les enfants qui nous accompagnent, et le lui fait savoir en le remettant à sa place de manière franche et abrupte. Un bel aplomb, pour un môme aussi jeune que lui. Il remonte un peu dans mon estime, pour le coup. Il sera peut-être plus utile à notre cause – à leur cause, si on l’écoute – que les deux petites jumelles mièvres et peureuses.
Hawke, pour sa part énonce des imbécilités profondes, arguant qu’il n’est pas plus prudent d’avancer que de stagner sur place. L’art d’enfoncer les portes ouvertes. Je me passe de lui répondre que rester ici, en plus d’être dangereux, est complètement inutile, contrairement au fait d’avancer. Je préfère le laisser dans ses illusions. L’aventure ne semble pas être son fort, sans doute habitué au confort d’un palais plus que les recoins d’une grotte inconnue et sibylline. Je soupire juste, une fois de plus, quand il énonce qu’il ne voit pas pourquoi je lui en veux. Je n’ai jamais dit chose pareille, mon comportement ne montrant que de l’impatience et de la lassitude, et non la moindre volonté de lui reprocher la moindre chose.
Mais finalement, le petit groupe a l’air prêt à partir. L’elfe nous organise arbitrairement, me mettant en première ligne, en qualité d’éclaireuse, j’imagine. Un rôle qui me convient tout à fait, si bien que je l’endosse sans rechigner, cette fois. Celle reléguée à Aliéron, en tant que gardien d’enfants, va sans doute moins lui plaire…
Mais les choses étant ce qu’elles sont, alors que la compagnie s’organise, les petits finissent par me coller aux basques plutôt qu’à celles du ténébreux. Confiante en ma capacité à les rassurer, Huguette emmène vers moi sa petite sœur, afin que je re-narre mon histoire de forêt. C’est mignon… mais je m’en passerais bien. Et je me sens toutefois forcée de le faire, si je veux qu’ils avancent. Ce n’est pas Aliéron, qui semble détester les enfants, qui s’en chargera, et je crois Hawke trop maladroit pour leur raconter une telle histoire.
N’ayant aucune envie de redite, cependant, je me penche vers la petite Huguette, et, sa main dans la mienne, je commence tout bas un nouveau récit. Un murmure…
« Cette fois, Huguette, nous sommes dans une sombre grotte. Les yeux fermés, car elle est si noire qu’il ne sert à rien de les ouvrir pour y voir. Une grotte que nous avons explorée, au détour d’un petit bois. Un antre secret qui nous a attiré… Mais arrivées tout au fond de l’endroit, un curieux ronflement nous a interpelé. Régulier, lent… lourd et rauque. »
Ma main serre plus la sienne, d’un coup, alors que j’augmente un peu le ton de ma voix, et le débit de mes mots.
« Mais là soudain, des yeux rouges se sont éveillés, et le ronflement paisible s’est changé en grognement terrible. Nous faisons demi-tour, et avançons, avançons à tâtons pour retrouver la sortie. Vite, mais sans se presser, afin de ne guère tomber. »
Je les attire vivement sur le passage suspendu, d’un pas pressé, mais sans courir.
« Vite, vite, nous avançons, main dans la main. Derrière nous, le monstre fait peser de lourds pas sur le sol, qui fait trembler les cailloux. À travers nos paupières, nous percevons une lumière, droit devant. La lumière du jour, salvatrice et signe de paix. Nous allons échapper à la cruelle créature. »
Je les attire, encore vers moi, jusqu’à atteindre la fin du passage. Je ne ferme pas les yeux, pour ma part, je fais bien attention de savoir où mes pieds se posent, et vers où je me dirige… Espérons que cette histoire soit aussi convaincante que la précédente. Moins rose, peut-être. Mais bornée à un tout autre type de motivation à avancer.
_________________ Asterie
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