C’est seule que je pars dans ce boyau que tout indique pourtant comme la suite de notre périple dans ces souterrains dangereux et mal fréquentés. Aliéron m’a bien entendu signalé qu’ils me rejoindraient plus tard, mais… même en y réfléchissant un peu, j’ai du mal à comprendre leur intérêt pour ce carrefour, et leur envie de stagner là plus longtemps. De la sensibilité pour les gamines têtues ? Elles auraient suivi, s’ils étaient tous deux venus avec. Et Fabiolo aussi, et de bon cœur encore bien. Mais alors que je m’avance dans l’obscurité, éclairée à peine par les reflets rougeoyants de la lave qui s’écoule doucement, j’entends le bellâtre me héler par un pseudonyme que jamais je n’ai entendu : phénix. Cet oiseau de feu, ivre de liberté, qui renait de ses cendres. C’est une fort belle créature, et une flatteuse comparaison… même si un instant je me laisse à penser qu’il se moque de la couleur de ma chevelure. Ses propos sont taris par son appellation. Je comprends bien qu’ils ont vu un Silnogure, et qu’il me suggère de les attendre, mais je me laisse juste porter par mes pas. J’ai décidé d’avancer, donc j’avance. Il en a toujours été comme ça, dussé-je m’en mordre les doigts à de nombreuses reprises dans mon passé.
Fixée dans mon objectif, et malgré ma furieuse envie de voir ce qu’un Silnogure ferait ici, et s’il a bien besoin de notre aide, je poursuis donc ma route dans les tréfonds de la terre. Toute seule, en éclaireuse. Assez vite, alors que même l’écho de leurs voix n’est plus qu’un lointain souvenir, le tunnel débouche sur une vaste salle. Pas naturelle pour un sou, je reste un instant en travers de son entrée sans oser la pénétrer plus avant, pour l’observer. Mes yeux brillent d’intérêt pour ce que je vois : une civilisation a sculpté cette salle délibérément. Y a vécu, peut-être. À même la roche, les pioches ou autres ustensiles ont évidé la montagne pour créer une pièce aux échos antiques et mystérieux.
Un puits de lumière éclaire un grand cercle gravé dans le sol au centre de celle-ci. Interdite, je reste là un moment, à contempler bouche bée ce spectacle inattendu, dont je ne comprends pas le sens. Un tour d’horizon me confirme que personne d’autre que moi n’observe cet étrange endroit. Aucune créature belliqueuse ou habitant curieux de mon arrivée.
Téméraire, et un peu inconsciente, j’avance dans la salle pour en découvrir les détails masqués depuis son entrée. Des symboles sont gravés aux murs, comme des écritures perdues au milieu de dix anneaux de fer auxquels pendent des chaînes. Je me concentre sur ce qu’ils pourraient bien signifier, et y reconnais, non sans mal, des lettres. Je n’ai jamais aimé la lecture, mais mon éducation m’a au moins appris les bases de celles-ci. Aussi, une fois la graphie identifiée, je n’ai aucun mal à lire ce qui y est indiqué. Les mots coulent de ma bouche, en un murmure, comme si je devais les prononcer pour qu’ils se gravent en ma mémoire :
« Dans le cercle l’élu entrera, LA coupe pleine à la main, et son vœu de sauver l’animal devant ce dernier enchainé, il prononcera ! »
Le cercle, il est au centre de cette pièce. L’animal désigne sans doute l’un des Silnogure qu’on nous a envoyé sauver. Mais l’élu, qui est-ce ? Un des enfants ? Sans doute, mais lequel ? Et comment le retrouver si ce n’est pas Fabiolo ou l’une des jumelles ? Serait-ce ce petit gobelin à la peau d’olive et au nom de plante ? Oignon, Gingembre ou Fenouil ? Tout aussi possible. Mais la coupe, qu’est-ce ? E de quoi devrait-elle être remplie ?
Voilà encore de nombreux mystères à résoudre, qui ne sont en rien dans mes connaissances pour le moment. J’ai découvert la salle où tout se terminera, mais je ne possède encore aucun élément qui permettra de les finir en beauté, et pour remettre les choses en ordre. Malgré tout, je ressens une certaine fierté, et me sens comme une aventurière charismatique parcourant des fois les bois de Yarthiss, et attirant mon regard au détour d’un buisson, d’un roc ou d’un sentier. Nombre de fois, je les ai enviées et admirées. Et aujourd’hui, je me sens à leur place. Et je comprends cette lueur dans leur regard, d’une solitude éternelle, et pourtant assurée.
C’est avec la même expression que je reviens sur mes pas, dans l’optique de retrouver mes compagnons pour leur énoncer ma découverte. Je n’ai plus rien à faire ici pour l’instant. Et je sais qu’on doit désormais se bouger pour retrouver les autres… Sihlaar y compris. Et l’elfe grise, et les autres enfants… Tous. Même cet étrange individu à la peau d’ébène, qui stagnait dans la bibliothèque de la petite Paulie. Je presse le pas pour parcourir en sens inverse le chemin où je me suis engouffrée précédemment avec tant de certitude. Je rejoins la bifurcation où Aliéron a laissé son signe de reconnaissance, et passe outre celle-ci vers la sortie qu’ils ont sans doute empruntée, puisqu’ils ne sont plus là. Je poursuis jusqu’à l’ouverture, où j’aperçois ce qu’ils voyaient alors : un décor désolé, un désert aride et chaud…
Et puis je les vois eux : Aliéron et Hawke s’approchant doucement d’une créature massive et apparemment amicale. Je reste à distance, ne voulant pas faire le moindre bruit pouvant faire capoter leur entreprise. Je guette, attentive et curieuse, leur approche. Fébrile, mes doigts se perdent à effleurer les plumes d’oie de mes flèches… Prête à bander et décocher à la moindre menace. La tension, petit à petit, se renforce. À mesure que le temps passe, je sens le poids de lourdes responsabilités se faire plus pesant sur mes épaules… Est-ce cela que mon père voulait pour moi ?
_________________ Asterie
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