Alors que je m’asperge d’eau pour refroidir mes ardeurs, sentant l’eau couler contre mon dos et mon torse, sur mes cheveux, gardant les yeux fermés, je sens une présence apparaître dans la pièce. Des pas feutrés, mais décidés, arrivent vers moi. Je reconnais là la légèreté d’une elfe, et je n’ai que peu de doute sur l’identité de celle qui vient ainsi me retrouver. Soit il s’agit de la prêtresse, qui n’a, je crois, rien de particulier à me dire, soit c’est plutôt Salymïa, rhabillée, qui vient… qui vient me parler. Je prône avec raison cette seconde solution, et elle m’est confirmée l’instant d’après, lorsque l’elfe blanche commence à parler d’une voix pleine de ressentiment.
Elle m’accuse d’avoir volontairement abusé de leur corps en usant du pouvoir de ma broche. Je soupire de lassitude en rouvrant les yeux, observant mon propre reflet mouvant dans l’eau du bac sur lequel je suis penché. J’ai envie de répondre que je ne contrôle absolument pas cette caractéristique, mais ce serait inutile. Elle semble bien trop énervée pour entendre raison. D’ailleurs, je n’ai le temps de rien dire, puisqu’elle poursuit, toujours aussi vive dans ses propos. Elle me condamne à l’Enfer, précisant même que je dois m’y trouver depuis longtemps. Sans qu’elle le voie, puisque je suis de dos, je roule des yeux. Si elle savait… J’en viens, des Enfers. Et j’en suis sorti en écrasant le Champion de Phaïtos, avec d’autres compagnons. Je doute qu’elle ait cette connaissance du monde du dessous, ce monde de mort et de souffrance. De violence et de peur. Cela n’est à envier pour personne, pas même pour son pire ennemi. Mais je sais qu’elle l’ignore, aussi préféré-je me taire une fois encore, la laissant poursuivre d’elle-même dans son monologue accusateur.
Étonnamment, la suite est plus calme dans le ton. Elle m’affirme ne pas être faible, répondant après coup aux provocations de la Phalange de Fenris, comme pour se justifier d’un éventuel jugement que j’aurais pu porter sur elle. Le seul jugement que j’ai à son propos en ce moment découle de ses propres mots : elle manque de confiance en elle, et a besoin du regard de personnes comme moi pour vivre pleinement. Dans une illusion, alors qu’elle a toutes les cartes en main pour vivre d’elle-même. S’en suit un discours sur la malédiction que m’accorde ma broche, et une proposition surprenante de l’ôter de ma chair.
Comme si elle avait voulu me blesser, je porte ma main à mon bijou, caressant de mes doigts la cicatrice le contournant. Oui, cette broche fait partie de moi. Et il est hors de question que je m’en sépare, pour rien au monde, et jamais. Cependant, elle offre une autre piste à laquelle je n’avais encore jamais pensé : contrôler le pouvoir de cette rose métallo-organique. C’est sûrement possible, même si je dois pour ça apprendre premièrement à contrôler mes propres désirs. Je ne prête presque aucune attention aux remords dont elle fait preuve à mon égard. Je n’en ai cure, elle n’a à s’excuser de rien. Elle était, pendant tout ce temps, sous le contrôle des phéromones. Elle semble affectée, et se dérobe aussi abruptement qu’elle est arrivée, prétextant un besoin d’air. Je la laisse partir sans la retenir. Je n’ai pas prononcé la moindre parole, mais j’imagine qu’elle s’est présentée plus pour vider son sac que pour avoir une vraie conversation.
Une fois partie, je me relève enfin. Les gouttes sur ma peau ont déjà presque séché, même si ma chevelure est toujours humide. Je passe une main dedans, pour les recoiffer autours de mon visage. En vain, puisque quelques mèches plus courtes retombent de toute façon devant mes yeux. Toujours torse-nu, je décide d’aller me rhabiller avant d’être à nouveau interrompu. Je m’approche donc de l’autel où sont toujours restées mes affaires, intactes. Même si en plus, au-dessus d’elles, la Lame Buveuse d’Âmes débarrassée de sa malédiction est posée. Elle semble, rien qu’à l’œil, moins sombre qu’elle n’était auparavant, et je m’en réjouis. Je la prends par la garde et l’inspecte en la faisant tourner dans ma main. Aucun changement de moral, aucun affect spécifique. Elle semble vraiment réparée…
Heureux, je la glisse dans son étui, et attache celui-ci à ma taille. De l’autre côté, je glisse le fourreau de mon arme métamorphe sous sa forme la plus petite, celle d’une dague fine, de l’autre côté, accroché aussi à ma ceinture. J’enfile alors ma fine cotte de Mythril, ce métal nain si léger et résistant, qui n’est pas plus encombrant qu’une simple chemise. Par-dessus, je passe une veste noire et longue de tissu solide, et termine l’habillement par ma cape. Celle dont les capacités m’étaient occultées par la malédiction de l’arme. Puis, j’accroche solidement ma bourse à ma ceinture, et enfile mes bottes et mes jambières blanches. Autour de mes avant-bras, je place mes brassards kendran, par-dessous mon habit. Je m’empare de mes bijoux, ma bague et mon pendentif dorés, et je les arbore également, avant de poser dans mes cheveux mon
fin diadème d’argent clair. Ma besace vide accrochée sous ma cape, et me revoilà tel que je suis arrivé ici.
Je ne ressens presque plus aucune séquelle de mon rude combat, et j’en suis heureux. Je suis conscient d’avoir encore besoin de repos, mais du moment que je n’embarque pas dès aujourd’hui dans un long et pénible voyage, tout va bien. Je m’étire les muscles un instant avant de me décider de rejoindre Salymïa dans la cours. Mais avant, je décide de repasser par ma chambre…
Ainsi, je prends le chemin inverse, dans le couloir de pierre, et entre doucement dans ma chambre. Sittôt, je remarque qu’Oryash n’a pas quitté ma couche. Elle semble dormir, yeux clos et visage paisible, posée sur la couverture rouge. Sa vision me rappelle sans mal ses ongles déchirant la chair de mon dos par passion. Et ses dents appuyant sur mes lèvres avec une douleur délicieuse. Elle semble désormais si sereine… Je décide de ne pas déranger son somme, et je marche juste jusqu’à elle pour la regarder un instant. D’une main aérienne, je replace une mèche blanche de ses cheveux hors de son visage, tout en souriant. Qui dirait que cet ange endormi peut s’avérer une amante fougueuse, une tigresse en chasse.
Je fais demi-tour et quitte les lieux sans plus m’attarder. Sans me presser, je rejoins la cours centrale du château en ruine en parcourant le reste du couloir. Je pousse la lourde porte de bois et sors en constatant que le jour est déclinant, et que le ciel teint d’orange sombre est strié de nuages abricot plus clairs que la teinte de fond. Je repère aussitôt deux vigiles, postés sur les tours, armés d’arcs, et en livrée rouge. Salymïa, elle, seule au milieu de la cour, semblait pensive. Je m’approche silencieusement par derrière, lentement, et arrivant à proximité, je ne trouve rien à dire d’autre que :
« Superbe ciel, n’est-ce pas ? »En effet, les couleurs sont belles, et prêtent à la contemplation, mais ce n’est sans doute pas ce qu’elle attendait… Qu’importe, je n’ai plus envie de revenir sur ce qui s’est passé pour l’instant. Droit et fier, je me poste à côté d’elle, regardant les cieux de mes yeux sombres.