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Il tourne tellement vite que je me demande comment je vais faire pour l’approcher sans me faire trancher dans le lard au passage. Je m’essaie quand même, et m’approche, sur mes gardes, tentant de passer par-dessous la ligne des lames tranchantes. Cependant, l’axe mouvant du bras articulé du guerrier de bois et d’acier rend à ses cercles une notion imprécise, qui remue ses lames comme si j’avais affaire à plusieurs ennemis se battant face à moi avec célérité. Je manque de peu de me faire couper l’épaule, en parant un coup de ma buveuse d’âme avant de rouler sur moi-même, en arrière. Ça va s’avérer plus complexe que prévu.
Peureux de me faire passer pour un mauvais combattant, j’essaie une nouvelle tactique d’approche. Rentrer dans le tas en se protégeant de mes lames. J’approche assez rapidement du mannequin, les armes sur mes flancs, bras écartés, pour m’offrir une protection de tout le torse et de la tête. Je fonce dans le mannequin, qui ploie légèrement sous mon assaut, mais ses ressorts agissent, et il me repousse. En plus, les chaines déséquilibrées changent d’axe, et l’une des deux me frappe sur le genou. Je tombe à la renverse alors que mon ennemi sans vie se remet à tourner droit au-dessus de moi. Je roule une nouvelle fois sur le côté avant de me relever. Une approche lente est condamnée. Une approche trop brutale aussi. Il faut que je sois vif, précis, net, et sans aucune hésitation… mais pour faire quoi ? Tant de possibilités sont envisageables.
Après plusieurs essais infructueux de passes, de feintes, de coups violents sur les lames, sur les chaines, sur les bras, de preuves de souplesse, de pirouettes sur moi-même, de prise à contrecourant, ou dans le courant, en tentant de rattraper la vitesse de tourniole du machin, je me rends compte que la seule solution possible, c’est qu’il s’arrête de tourner. Des petits bouts de bois maculent le sol, mais mon ennemi tourne toujours.
Alors me vient une idée. Brillante, s’il en est. Et jetant un coup d’œil de défi à la prêtresse, qui me regarde avec un intérêt non feint, je plonge avec vitesse vers le mannequin, mes deux armes pointées vers l’avant, à hauteur de ses épaules. Je rugis en bondissant, et je cloue littéralement le mannequin au sol, mes deux lames transperçant ses épaules pour le maintenir fermement sans subir la pression des ressors. Je me relève doucement, satisfait, en ôtant mes lames du mannequin troué, et immobile, désormais. Il se relève en même temps que moi, ayant cessé de tourner. Il est en piteux état, avec tout ce que je lui ai fait subir.
Avec un sourire fier, je me tourne vers l’elfe rouge. La sueur coule sur mon front, mais je suis parvenu à relever son défi. Elle semble impressionnée. Et elle le fait remarquer.
« Surprenant. Vraiment très intéressant. Tu es le premier que je vois qui y arrive. Tes capacités sont bien au-dessus de ce que je pensais. Bien. Maintenant, active ta peau de rose… »
(Comment sait-elle ?!)
J’entends un léger sifflotement de Lysis dans ma tête. Traîtresse de faera, qui a avoué à sa consœur mon secret. Je fronde les sourcils avant d’activer ma peau de rose. L’argent doux comme une pèche de ma peau devient vert, lisse et recouvert d’épines pointues. Intégralement, je me couvre d’une couche ressemblant à une tige de rose… Ce n’est que la seconde fois que j’active ce pouvoir…Et je n’y suis pas encore habitué.
(Toi qui faisais des efforts pour paraître présentable, t’as juste l’air d’un rosier mal coupé !)
J’aurais presque envie de la baffer. Je me retiens, car je sais qu’elle plaisante, et que de toute façon j’en suis incapable, de par son intangibilité, et je me concentre sur ce que la prêtresse me dit. Elle semble encore plus surprise de me voir comme ça.
« Waw… encore plus insolite que ce que je m’imaginais. Recommence sur le mannequin, maintenant. Tu lances des épines si on te frappe, n’est-ce pas ? »
J’acquiesce de la tête. Des lézards défunts parsemés d’épines de rose peuvent en témoigner.
« Alors je vais t’apprendre à contrôler ça. »
Ça ? Quoi, ça ? Mais alors que je l’interroge du regard, je sais qu’elle ne répondra que si je m’exécute. Je recommence donc la manœuvre, représentant le même schéma que précédemment. Aguerri à la technique, je plante à nouveau mon adversaire au sol, poussant la précision jusqu’à entrer mes lames dans les trous faits l’instant d’avant dans ses épaules. Une fois que je suis sur lui, elle s’exclame :
« Bien ! Maintenant, envoie-lui une décharge d’épines ! »
J’ignore comment faire… J’essaie, je force, mais je n’ai jamais contrôlé ça. J’appuie de toutes mes forces comme si j’avais à faire sortir la sueur des pores de ma peau, mais de manière consciente… en vain.
« Concentre-toi ! »
Je teste, je teste, mais mes bras commencent à trembler sous l’effort. Je suis posé sur eux, sur mes armes, comme si je faisais une pompe perpétuelle…Je sens mes muscles me lâcher, me faire souffrir.
(Sers-toi de cette souffrance. Débarrasse-t’en !)
Je serre les dents, je gémis sous l’effort, et soudain, je hurle, je rugis. Et au même instant, une salve mortelle d’épines surgit de ma peau de rose pour filer à toute vitesse se planter, dans un bruit sec et violent, dans le bois du mannequin.
Alors, je relâche la pression, suant, essoufflé, et je me relève doucement en récupérant mes armes, et en redevenant présentable, dans ma vraie peau… Je suis fourbu, mais bon sang, cette technique a l’air efficace ! Je regarde la prêtresse en haletant, et j’éclate de rire.
De son côté, elle se contente de sourire, satisfaite de mon apprentissage.
« Tu peux aller, maintenant. »
« Oh oui, j’ai besoin de prendre l’air ! Merci beaucoup… »
Et je m’en vais vers la cours centrale, où j’aperçois Salymïa, encore assoupie, à l’extérieur… La matinée a un peu avancé depuis mon réveil, et c’est ahanant que je m’assieds à ses côtés, sans pour autant la réveiller…
Je reprends avant tout ma respiration…
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