J’ai toujours eu du mal à me promener dans les marchés, voir tant de marchandises me donne envie de tout avoir et me rappelle à quel point je ne possède rien. Il y a de tout ici : nourriture, vêtements, potions, parchemins, armes, bijoux… Oh ! Un collier ou une bague ! C’est le détail qui manque à mon attirail. Toutes les grosses bourges autour de moi trainent leurs culs et longues robes parmi les allées… et toutes sont couvertes de bijoux. Autour du cou, des poignets, des doigts, dans les cheveux, sur le front… il me faut améliorer mon apparence si je veux qu’on me traite avec respect au Temple. Au bout du passage se trouve justement un marchand qui vend ce qui me convient. Je m’approche en lui accordant un grand sourire mais un regard hautain.
« Aller ma p’tite Dame, ici vous trouverez tout ce que vous voulez pour souligner votre beauté… et pour pas bien cher ! »
Je regarde à peine ses marchandises.
« Pourquoi chez vous et pas ailleurs ? »
« Hé ! Mes bijoux sont spéciaux… ils sont beaux et ont des caractéristiques un peu… particulières. » Le ton de sa voix est devenu celui des confidences.
« Soyez plus clair. » Je montre clairement de l’impatience, les riches sont toujours pressés.
« Des bagues rendant invisible, des colliers d’oubli, des diadèmes rendant plus puissant… Tout est enchanté par les meilleurs enchanteurs de Kendra Kâr ! »
« Rien moins que ça ?! » Je souris, légèrement moqueuse. « Qu’appelez-vous collier d’oubli ? »
« Effacer la mémoire de ceux que vous voulez… » il me fait un sourire entendu. « Intéressant, non ? »
« Possible. Le prix ? »
« Moins de cent-cinquante Yus ! Une affaire comme on en voit peu ! »
Je me retiens de m’étouffer ou de rire. Cent-cinquante Yus ?! Ce gars est malade ?! Pour un bout de métal !
« Une affaire, en effet, pour vous. J’y réfléchis et je reviens, peut-être. »
« Cent-vingt Yus parce que votre beauté mettra en valeur mes bijoux ! »
« J’ai dit, je reviendrai. »
Je m’éloigne de quelques pas et jette un coup d’œil à ma bourse. Égorger l’autre porc n’a pas rapporté des masses… je n’ai même pas une centaine de Yus sur moi. Je pourrais acheter une babiole, mais posséder un collier d’oubli pourrait vraiment s’avérer utile. Reste une solution : Voler. Je fais le tour de quelques tentes et reviens vers le marchand.
« Alors, on ne résiste pas ? »
« Montrez-moi ce collier… et… un bijoux de tête, un qui me rendrait plus… résistante. Vous auriez ça ? »
« J’ai tout, tout. Absolument tout. Laissez-moi chercher ça. »
Il se penche et commence à fouiller sous son étal, j’en profite pour prendre discrètement un pendentif trainant là… comme les larges manches aident pour ce genre d’activité ! il finit par se redresser, rougeaud, un collier fin au pendentif noir en croissant de lune dans la main droite. Dans l’autre, il tient un bandeau en velours avec une pierre rouge en son centre.
« Voici. Mon collier asthénique et un bandeau d’insensibilité… pour un montant dérisoire de… cent-quatre-vingt-quatorze Yus. »
Il m’offre, en prime, un sourire commerçant.
« Écoutez, mon mari, ce chien, est parti avec bon nombre de mes économies. Toutefois, il m’a laissé, entre autre, ce magnifique collier en argent avec pendentif en pierreries… Que diriez-vous de le prendre en échange de votre collier, d’apparence vraiment simpliste… Je paie, bien évidemment, le bandeau. »
Je sors le collier que je viens de lui piquer et lui tend. Il l’observe et semble douter, jetant un coup d’œil à son étal.
« Un souci ? M’aurait-il menti sur la valeur de ce bijou ?! »
Je prends un air éploré, lui laissant croire qu’il peut redonner le sourire à la pauvre femme délaissée que je suis.
« Ma bonne dame, ce collier ne vaut, malheureusement, pas celui que je vous propose. »
Merde, il ne va pas en vouloir.
« Peut-être possède-t-il, lui aussi, quelque propriété magique ? Il ne m’en a rien dit, mais votre œil expert saurait le distinguer, non ? »
Il hausse les épaules et prend le temps de l’observer avec un peu d’attention. S’il ne m’a pas menti, ce que j’ai volé est forcément mieux qu’il n’en a l’air. Un sourire se dessine sur son visage, il ne m’a donc pas menti.
« Il y a la marque d’un enchanteur, un que je connais en plus. »
« Si vous acceptez, je vous promets de faire la promotion de vos marchandises auprès de mes amies. Leurs maris ne sont pas partis, elles. »
« Abandonner une si belle femme, qu’a-t-il donc dans le crâne ?! »
« Probablement une catin. »
« Aller, c’est bien parce que j’ai déjà bien fait mon chiffre aujourd’hui… et que je n’aime pas voir des beautés si tristes. Mais, ça vous fera quand même soixante-quatorze Yus. Vous comprenez que j’peux pas faire charité pour tout. »
Bon, après le masque de tristesse je passe à celui de joie et de reconnaissance.
« Vous êtes tellement charmant ! Êtes-vous marié ? »
On joue des cils et on se pâme, vive les décolletés qui aident à brouiller leur cervelle de piaf.
« Je…euh… » il rit nerveusement. « Oui…et elle est là-bas. » Il me désigne un étal non loin d’ici, avec une bonne femme qui me regarde avec fureur.
« Oh, je vois, elle est bien chanceuse. Je ne devrais peut-être pas m’attarder, elle ne semble pas ravie. Prenez donc ce collier, moins j’en garde de cette raclure, mieux je me porte. Prenez également ces Yus. Je ne manquerai pas de parler de vos marchandises autour de moi. Quel est votre nom ? »
« Arty, bijoutier-enchanteur, à votre service. »
« Charmant, absolument charmant ! Merci bien, mon brave monsieur. Puissent vos affaires être florissantes. »
Le collier et le bandeau en main, je sors vite du marché. Sait-on jamais, s’il découvre la supercherie. Il me reste à trouver le château et le Temple ne sera pas bien loin, parait-il.
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