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Mon sommeil réparateur fut interrompu par le geste timide du grand humain Iguru. Il me fallut quelques instants pour me rappeler que nous étions à bord du Masamune, dans une cabine à plusieurs couchettes. Mes yeux clairs se posèrent sur Nahöriel. Le demi-elfe esquissait un sourire tout en enfilant sa cape. À n'en pas douter, laisser le marin imposant me réveiller avait sans doute été son idée. S'il n'avait pas déjà de la sympathie pour notre large camarade, jamais il ne l'aurait laissé m'approcher. Je me levai, opinant quand notre frère marin nous annonça la tenue du banquet sur le pont.

À peine avions-nous mis le pied dehors que l'ambiance nous saisit. Vers la proue du navire, l'équipage était rassemblé en plusieurs cercles autour d'un beau feu. Une protection métallique empêchait les flammes de venir attaquer le pont, et offrait une lueur particulière aux alentours. De part et d'autre du pont, de nombreuses lignes de pêche m'incitèrent à penser que les dernières heures avaient été terribles pour la faune marine environnante. Lorsque Mazhui nous remarqua, il incita nos camarades à nous faire un peu de place. Les voix de marins déjà atteints par l'alcool s'élevaient, donnant une teinte de franche camaraderie à ce regroupement. Pour se laisser aller à se perdre ainsi, chaque homme devait faire confiance à son voisin.

Je jetai un coup d'oeil au semi-elfe brun qui m'accompagnait. Il ne faisait pas de mouvement brusque avec son épaule lésée, mais il fut tout de même vif à attraper un duo de brochettes de poisson qu'on nous tendait. Il m'en passa une, pour laquelle je le remerciai, mais dont je ne savais pas encore trop quoi faire. J'y portai tout de même les lèvres, mais n'en mangeai pas plus de la moitié. J'étais plus habituée aux légumes et bouillons épais qu'aliments consistants.

(Au moins, cela va occuper mon organisme pendant un moment.)

Parmi les présents, le massif Iguru avait pris place non loin de l'ancien Elias et du vif Plagg. Nahöriel souriait et avala d'une traite une gorgée d'alcool. Il en toussa un instant, essuya ses yeux, et manifesta son approbation. Je refusai son offre d'en prendre. J'avais encore le souvenir de la douleur qu'un simple verre de vin elfique avait causé à ma gorge, bien des années auparavant. J'osais à peine imaginer ce que cette concentration d'alcool pourrait me faire.

À ma gauche, on me demanda de parler un peu de mes origines. J'en esquissai un sourire et me tournai vers un cercle un peu plus extérieur au nôtre.

"Je suis ce qu'on appelle un oudio. Une race d'humanoïde plante, mais vous l'aviez certainement remarqué."

Choisissant mes mots pour me faire comprendre, j'expliquai être sortie de terre près d'un siècle auparavant, mais être aussi ignare qu'un bambin pour ce qui était des voyages maritimes.

"Je pense que vous allez pouvoir m'enseigner bien des choses."

J'appris quelques détails sur certains marins. Quelques-uns avaient de la famille en grand nombre, d'autres pas du tout. Certains se chamaillaient comme des frères sans en être vraiment ou avaient un passé commun qui les liait plus que le sang ne le ferait jamais. Je fus interpellée par le semi-elfe sur un ton jovial.

"Eh Mytha' ! Tu veux pas leur raconter not'rencontre ? J'ai peur d'louper des détails."

Un peu intimidée au premier abord, je finis par me lancer. J'évoquai la rue sombre de Yarthiss, la tentative ratée du voleur d'agripper ma sacoche et le bain forcé que je l'avais obligé à prendre en l'envoyant dans la rivière.

"La première impression n'a guère été positive... Le hasard a voulu que nos chemins se recroisent dans une auberge de cette même ville."

"Une sale histoire, mais j'la racont'rai plus tard. Disons que j'devais un bon paquet d'yus à c'tenancier, qu'avait pas l'air commode. Le genre à t'retourner pour êt' sûr que t'as pas une piécette sur toi. Mytha' m'a tiré d'ce mauvais pas."

"Un peu contre mon gré, il faut l'avouer."

Je tendis la moité de ma brochette au jeune hybride, qui me fit un signe de tête approbateur. Après avoir arraché un morceau de chair du bâtonnet, Nahöriel évoqua brièvement notre voyage jusqu'à Tulorim. Il s'assombrit un peu en parlant du trépas de Shaa'Nod, le woran qui lui avait servi de frère et de mentor pendant des années. Pendant son récit, il s'accola contre mon épaule. Cet événement était encore récent, et je ne doutais pas de son besoin de soutien. Je le lui accordai sur l'instant.

"Puis nous avons fait la connaissance d'un faux Heartless et de Mazhui. La suite... Je pense que vous la connaissez."

À la demande d'un camarade, je fis passer une bouteille de rhum d'un cercle extérieur à un membre d'équipage sur ma gauche. Ce ne fut qu'à ce moment que je remarquai l'humain à mâchoire de métal, Eliwin, toujours retenu à ce mât. Visiblement, personne ne comptait lui apporter de quoi se sustenter. J'en aurais presque éprouvé un brin de sympathie si je n'avais pas à mes côtés des frères et proches lésés par ses actes. Attentive, je cherchais à écouter quand on posait des questions à Mazhui sur son absence du groupe. Il restait étrangement évasif. Ne faisait-il pas confiance à l'équipage ou s'était-il passé quelque chose qu'il souhaitait taire ?

Lorsqu'un chant un peu cru s'éleva, je sentis le demi-elfe sortir sa flûte à trois trous de sa sacoche et accompagner le rythme. J'avais oublié ce détail, mais Nahöriel avait été marin aussi. Je me sentais satisfaite de le voir aussi réjoui en cet instant. Nul doute que cette ambiance avait du lui manquer.

Mon écorce se serra un peu. Je l'enviais et l'admirais à la fois. D'un mouvement de feuillage, je chassai cette pointe de mélancolie. Après tout, il ne tenait qu'à moi de m'intégrer. Nul besoin de me sentir à l'écart sans avoir tenté de me rapprocher de ces gens d'abord. Ils avaient l'air amicaux après tout.

Curieuse, j'avisai les visages des uns et des autres, éclairés par le brasier.

"Quels sont les projets ? Allons-nous prendre la direction de Nirtim ?"

J'avais envie de demander ce qui allait advenir d'Eliwin, mais je m'en abstins. Nul besoin de jouer les trouble-fêtes. La réponse viendrait bien assez tôt.


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Ma question reçut une réponse conséquente de la part de Mazhui. Apparemment, il nous accordait sa confiance, sans doute grâce aux derniers événements. Reprendre le Masamune à Eliwin n'avait pas été simple, et cette bataille désordonnée nous avait un peu rapproché de l'équipage. Tout d'abord, il confirma notre destination : Oranan. L'évocation de cette cité m'amena à l'esprit quelques images trouvées ça et là dans divers ouvrages du Cercle. J'avais hâte de confronter ces illustrations à la réalité. Toutefois, je chassai rapidement ces pensées pour me concentrer sur les paroles de l'ynorien. Il m'apprit que nous étions en partance pour une importante réunion de riches marchands des deux continents, avec lesquels la Confrérie semblait avoir passé des accords. Je tentai de contrôler mon froncement de sourcils quand je compris qu'il s'agissait principalement d'engagements pour escorter des convois par voie maritime.

Non loin, le vif Plagg afficha un air réjoui, arguant qu'il était question d'un travail facile et bien payé. Mazhui renchérit en parlant d'une entreprise florissante, puis il trinqua à la Confrérie. Autour de nous, l'équipage fit de même. Je jetai brièvement un regard à Nahöriel et fus surprise de voir qu'il me scrutait depuis quelques instants. Il semblait perplexe, même si je ne doutais pas que l'idée d'avoir des yus de côté l'intéressait. Après tout, n'était-ce pas pour cela qu'il avait auparavant tenté de me détrousser ? Le semi-elfe finit par me sourire et avala une rasade d'alcool, qui lui tira de nouvelles larmes.

"Ca sonne bien c't'histoire !"

Un peu dubitative, j'entendis bientôt un son contrastant avec l'ambiance réjouie des lieux. Métallique, il ressemblait à un rire, mais presque chargé de dépit. Malgré moi, je lançai un regard vers la silhouette d'Eliwin. Se moquait-il des projets évoqués ou savait-il quelque chose à ce sujet pour réagir ainsi ?

(J'aimerais en apprendre davantage auprès de Mazhui, mais l'alcool coule un peu trop... Et si des choses sont cachées par sécurité, je doute qu'elles sortent au beau milieu de l'équipage.)

Je déroulai mes longs doigts, les apposant sur l'épaule du demi-elfe, puis me redressai. Debout, j'en profitai pour débarrasser certaines mains d'humains imbibés de liqueur des piques pouvant blesser accidentellement, et fis tourner les bouteilles restantes. Nos frères endormis n'avaient pas besoin de les garder avec eux. Une fois mon tour fait, je décidai de m'éloigner un peu des cercles. J'avais beau apprécier cette chaleur, je n'étais pas encore une créature sociable. J'avais besoin de temps, mais l'envie d'y parvenir était là.

Me sachant sans doute suivie des yeux par certains, je me dirigeai malgré tout vers le mât central, en gardant toutefois mes distances par rapport à Eliwin. Je me plaçai dans son champ de vision sur sa droite, fixant un instant cette mandibule partiellement métallique. Je demeurai silencieuse un instant puis, tout en dirigeant mes yeux clairs vers le brasier, je pris la parole.

"Rude journée."

Sans changer de posture, je me demandai pourquoi je lui adressais la parole. Une brise marine agita ma chevelure végétale, accompagnant finalement mon geste de lui accorder un brin d'attention, tout en croisant les bras.

"J'imagine que ces réjouissances ne sont guère à votre goût."

Je n'avais nulle envie de me montrer cruelle. Je ne faisais qu'émettre des hypothèses, en particulier pour empêcher mon esprit de se focaliser sur les paroles de l'humain brun. Son plan sonnait bien, mais quelque chose me disait qu'il était justement trop simple. J'avais tellement de questions prêtes à naître dans mon esprit que je devais absolument m'en distraire, au moins quelques instants. L'ancien capitaine n'était sans doute par la meilleure personne avec qui discuter, mais contrairement à certains, il avait encore toutes ses facultés cognitives.


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Mes paroles reçurent un écho qui ne semblait pas m'être réellement destiné. Eliwin marmonna, traitant nos nouveaux frères de lâches et de naïfs. Sans un mot ni geste pour le laisser entendre, mes pensées allaient cependant dans le même sens. L'ancien capitaine prétexta que des gens de leur trempe, lui compris, n'auraient sans doute jamais droit à ce type de travail idéal. Je le regardai lorsqu'il assura que sans cette étrange machinerie en guise de mâchoire, il se mettrait à rire. Je ne réagis pas immédiatement, interpellée avec familiarité par l'humain Elias. Sa voix était forte et un peu moins assurée, sans doute à cause du rhum. Toutefois, ses paroles étaient claires. Si mon interlocuteur me cherchait querelle, je n'aurais qu'à les informer.

J'esquissai un sourire et déroulai mes doigts pour faire un signe de la main à ce camarade.

"Si cela arrivait, tu serais le premier informé Elias ! Merci !"

La vision des cercles me fit taire quelques instants. Les mots du prisonnier, au lieu de me distraire de mes pensées, ne fit que les assombrir. Tout en restant à distance, je repris la parole.

"Naïfs... C'est certain. J'imagine que c'est là la manifestation de leur souhait d'une vie meilleure."

Je pris un instant pour ôter une mèche végétale de mon visage, exprimant mes pensées presque à voix basse.

"Quelque chose sonne faux. Même si la protection par des forces armées a un prix, de riches marchands sont-ils véritablement prêts à courir le risque de voir leurs marchandises dérobées par les escortes dont ils ignorent presque tout, plutôt que par des brigands ?"

Mon visage se ferma un peu, en particulier quand je vis le visage radieux de Nahöriel. Lui aussi avait placé de nombreux espoirs dans notre nouveau groupe.

"À Tulorim, nous avons rencontré un faux Heartless... N'importe qui semble pouvoir se réclamer de la Confrérie et en profiter... Qu'est-ce qui prouve que nous n'allons pas payer pour les actes d'autres personnes ? "

Je croisai les bras un peu plus fort. Plus j'y pensais, et plus la perspective de cette réunion m'effrayait. Qui disait marchands fortunés, disait garde personnelle. Mazhui n'avait-il pas dit lui-même avoir eu des problèmes en terre ynorienne ? L'équipage n'était apparemment pas constitué de mauvais bougres, et la perspective qu'il leur arrivât malheur me peinait.

Je me décidai alors. Peu importait ce que nous allions rencontrer, je refusais de voir cette famille en devenir souffrir sans réagir. Je n'aimais pas ce que le futur nous réservait, mais pas question de quitter le navire pour sauver ma seule écorce pour autant. Si notre cap nous envoyait droit vers des récifs, alors je ferais naufrage avec eux.

Je fermai lentement les yeux, adressant une pensée à la Déesse des mers.

(Moura... Veillez sur nous.)


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Les yeux clos, j'entendis bientôt la voix de l'ancien capitaine me faire un compliment. Si l'on pouvait accepter le fait d'être moins "conne que les autres" comme tel. Soudainement loquace, l'homme défiguré m'apprit diverses choses au sujet de l'équipage, notamment que leur passion pour le rhum masquait une envie d'oubli. Reprenant les cercles dans mon champ de vision, j'écoutai attentivement le discours de l'homme. Iguru avait de la famille sans doute dans la misère, Elias était un meurtrier rejeté par son propre enfant et d'autres membres de la troupe ne semblaient guère mieux lotis.

Un bref instant, je croisai le regard de mon interlocuteur, ayant justifié sa conduite ferme et presque cruelle en désignant le reste de l'équipage comme un tas de lâches, jouant aux gentils. Son regard se perdit dans les ténèbres que la nuit amenait sur le navire. Je fus surprise un bref instant quand le défiguré énonça de lui-même la possibilité qu'il cherchait à m'embobiner. Soit c'était un manipulateur talentueux soit il était sincère. Je devais bien avouer que je ne savais plus réellement quoi penser de lui. J'appréciais les marins qui nous entouraient, mais l'ancien capitaine ne semblait pas avoir un fond plus sombre que le reste de l'équipage.

Avant d'avoir pu articuler une parole, je fus prise de court par le mouvement du gros des fêtards, qui cessaient leur activité. Nahöriel aussi se leva et bâilla sans retenue. Alors que tous semblaient se diriger vers leurs cabines, Mazhui m'adressa la parole. Il préférait ne pas me voir traîner plus que nécessaire près d'Eliwin. Cependant, il n'insista guère plus, partant se coucher. Un poids sur mon épaule me fit tourner la tête vers le semi-elfe un peu groggy.

"J'sais pas où ils trouvent c'te boisson, mais ça fait d'l'effet."

"Que cela te serve de leçon. Enfin, je devrais te le dire de nouveau à ton réveil. Je suis sûre que cela aura bien plus d'impact."

Le semi-elfe me lança un regard boudeur puis se frotta le bout du nez en souriant, avant de remarquer la présence du capitaine.

"Humph ! Reste pas trop longtemps, hein ?"

J'esquissai un sourire et tapotai sa main avant de le voir se diriger à la suite des autres vers les couchages. J'orientai ensuite mes yeux clairs vers mon interlocuteur.

"Qui peut encore se targuer d'être innocent à notre époque ? "

J'eus un instant de silence puis esquissai un bref sourire à l'intention de l'ex-meneur.

"Malgré ce que vous pensez d'eux, vous semblez bien les connaître et vous avez vraisemblablement navigué à leurs côtés un long moment. S'ils ne sont pas très honnêtes, je doute qu'ils soient les seuls."

Je décidai de patienter un peu, le temps de voir quelques frères de la mer remonter pour veiller sur le Masamune. Si personne ne tenait debout ni ne scrutait les flots, comment prévenir qui que ce soit en cas de danger ? Le navire avait beau ne pas avancer rapidement, un minimum de précautions restait important pour moi.

M'éloignant d'un pas, je demeurai à portée de voix du prisonnier et fis un effort de mémoire.

"Merci pour cette discussion fort intéressante, Elivan."

Une fois assurée que le Masamune n'était pas laissé comme jouet au gré des flots, je projetais d'aller également me coucher, même si mon récent repos m'aidait à ne pas voir cela comme une urgence.


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Peu après avoir laissé le prisonnier, je suivis le conseil de Mazhui et allai me reposer. Au matin, je m'aperçus facilement que quelque chose n'allait pas. L'équipage affichait une morosité contrastant grandement avec l'esprit festif de la veille et Eliwin n'était plus attaché au mât. Je doutais qu'il eût été en mesure de fuir, le cordage étant résistant et avait d'ailleurs l'air seulement dénoué. Un homme de sa trempe aurait sans doute tenté quelque chose pour reprendre le contrôle du Masamune, surtout vu l'état d'ébriété de la plupart des marins. J'avais beau interroger nos camarades, nul ne semblait savoir ce qui était arrivé à l'ancien capitaine. Ou plutôt, ils donnaient l'impression de refuser d'évoquer ce sujet.

Je rebroussai chemin, rencontrant un Nahöriel grimaçant d'un mal de tête certain, et me dirigeai vers la cabine du meneur. Peut-être l'ynorien saurait-il me répondre, même si l'air grave des hommes à bord me faisait envisager qu'il se conduirait pareillement. En arrivant dans la cabine du capitaine, je saluai Mazhui qui, contrairement à son habitude, n'esquissa pas un geste pour marquer qu'il avait noté ma présence. Il me tournait le dos également, le regard rivé sur des armes au mur. Le semi-elfe derrière moi sembla se rendre compte également de quelque chose d'inhabituel. Le regard qu'il me lança témoignait de sa confusion.

Je fis un pas de plus dans la pièce, décidée à comprendre ce qui se passait.

"J'imagine que les effets secondaires du rhum n'ont rien à voir avec la perte de moral de l'équipage. "

Mes yeux clairs restaient rivés à la silhouette de mon interlocuteur. Après une courte hésitation, je me lançai.

"Que se passe-t'il ? Qu'est-il advenu d'Eliwin ?"

J'envisageais déjà une pluralité de réponses, mais je m'abstins d'en énoncer une seule. Peu à peu, je sentais revenir une certaine oppression. Pour que tout un équipage ait l'air de souffrir à ce point, la raison devait être véritablement grave. Le fait que personne n'eût daigné me répondre rendait la situation encore plus suspecte.

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Quand l'ynorien me fit enfin face, mon feuillage frissonna. Sa gorge était parcourue d'une plaie récente mais d'apparence peu profonde. Son emplacement indiquait toutefois qu'elle aurait pu lui coûter la vie. J'envisageais déjà le pire. Eliwin se serait libéré et aurait agressé notre camarade. La vérité que l'humain me livra fut toute autre. Le prisonnier avait été emmené ou plutôt utilisé comme monnaie d'échange auprès d'un certain Von Klaash. Sans que j'ai besoin de l'inciter à nous en apprendre plus, l'ynorien se livra avec une amertume accompagnant une toux douloureuse. Mazhui nous détailla la méthode de son agresseur pour tester ses proies : infliger une blessure lente sur la gorge tout en écrasant sa victime par sa présence.

Dans mon dos, Nahöriel émit un hoquet de surprise mais sa migraine l'empêcha sûrement de manifester son opinion. C'était cela ou le fait que Mazhui enchaina, m'apprenant qu'il ne détestait pas le prisonnier, mais qu'il n'avait pas eu le choix. Mon écorce se resserra lentement, me donnant l'impression de manquer de souffle. Je m'abstins de parler, mais je me souvenais parfaitement que la réciproque était vraie. Eliwin avait beau s'être conduit comme un être cruel, au fond, il se sentait concerné par l'équipage. C'était ce que notre échange de la veille m'avait laissé comme impression en tous cas.

L'humain de Nirtim était loquace, trop par rapport à son habitude, signe qu'il n'allait vraiment pas bien. Ses mots m'informèrent des raisons de notre alliance avec les marchands : gagner un semblant de légitimité dans ce monde où le plus fort semblait pouvoir faire ce qu'il souhaitait des autres. Pour un ynorien, évoquer cette brèche dans l'honneur devait être aussi douloureux que la blessure qu'il portait au cou, si ce n'était plus.

Nahöriel n'y tint plus et s'avança.

"Pourquoi n'avoir rien dit ? On aurait pu aider ! On forme une famille maint'nant ! Si on avait su qu'un gros r'quin nous filait l'train, on aurait pu... On aurait du... Nom d'une chiure !"

Le semi-elfe se frappa violemment dans la paume, affichant un air frustré et crispé. Je fis un petit signe de tête montrant mon assentiment puis regardai Mazhui. Je m'approchai du bureau auquel il avait pris place.

"L'équipage n'était pas en état pour mener un combat. Votre sacrifice a sauvé de nombreuses vies, y compris les nôtres. Mes paroles ont peu de poids mais... Merci. "

Je marquai une pause, consciente à présent que la Confrérie n'était pour le moment qu'un groupe d'individus, pas encore une puissance digne de ce nom. La preuve en était ces derniers événements. L'assaillant aurait apparemment pu nous balayer d'un revers de main. Je plissai légèrement les yeux en repensant à l'atmosphère régnant sur le Masamune. Je voulais faire quelque chose pour eux. Pour nous. Mais quoi ? J'étais certaine d'une chose cependant : si ce Von Klaash avait réussi un tel tour de force sans grande difficulté, il était certain qu'il y parviendrait de nouveau. Ceux qui cherchent vengeance ont tendance à ne s'arrêter qu'une fois l'objet de leur haine disparue, et encore...

Pour la première fois, je sentis mon mépris se former avec force.

"Mettons-nous au travail, mon ami. Si ce Von Klaash est un requin, alors nous allons devenir des drakarns."

Je sentis sur moi le regard étonné du semi-elfe auquel je répondis par un air décidé. Je reportai ensuite mon regard vers l'humain.

"Il s'est fait un adversaire de plus aujourd'hui."

"Deux !"

"Deux. Je comprends mieux pourquoi l'équipage se comportait ainsi. Mazhui, ne nous laissez plus en-dehors de ces histoires. Nous sommes aussi des membres de la Confrérie."

J'inspirai lentement, étonnée de sentir le besoin de m'impliquer davantage. C'était pourtant un fait, je me sentais blessée d'apprendre ce qui s'était produit et de ne rien avoir pu faire. Distraitement, je posai la main à la garde de l'épée que je portais à la ceinture. Fini le temps de l'observation, il me fallait mûrir un peu et apprendre à manier ma lame.

Hors de question de servir de plante décorative plus longuement !


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Il m'avait fallu du courage pour prendre cette décision, et elle fut accueillie par la tentative de l'ynorien de m'en dissuader. S'attaquer à Von Klaash était d'après lui de la folie, mais il n'eut pas le temps d'argumenter. La porte de la pièce fut ouverte brusquement par le trio Plagg, Iguru et Elias. Je manquai esquisser un sourire en prenant conscience que les secrets ne faisaient pas long feu sur ce vaisseau. Ils ne se firent pas prier pour appuyer ma décision et étaient prêts à risquer leurs vies pour secourir Eliwin. Quelque chose m'avait dit que, malgré tout, ils étaient attachés à l'homme défiguré et j'étais contente de ne pas m'être trompée. Comme si cela avait ravivé une flamme dans son cœur, Mazhui se reprit, retrouvant un sérieux bien plus adéquat.

Notre interlocuteur nous donna des précisions sur notre adversaire : une menace certaine, des hommes loin d'être tendres, un navire de belle taille et bien équipé, et surtout le soutien d'une baronne cruelle. Je pris conscience des enjeux. Si nous portions une attaque ouverte contre lui, sa protectrice avait le poids nécessaire pour rendre la vie impossible à l'équipage voire nuire grandement à la réputation de la Confrérie. C'était donc la raison de la suggestion de notre ami meurtri : agir à couvert. Il me demanda alors si j'avais quelque chose à proposer, question qui fit réagir Plagg et Iguru. Visiblement, Mazhui ne s'embarrassait généralement guère des avis des autres, sauf de celui de Heartless.

Je secouai un brin mon feuillage, chassant cette pointe de fierté déplacée. Ce n'était pas le moment. Je rendis son regard à Mazhui.

"Une attaque frontale serait bien trop dangereuse vues les circonstances. Il faudrait avoir une idée de son cap pour élaborer une stratégie valable."

J'ôtai la main de mon arme, effleurant d'un doigt déroulé mon menton. À mes côtés, Nahöriel en profita pour prendre la parole.

"Il doit bien avoir un port d'attache mais y's'rait p't'être plus difficile encore de faire sortir Eliwin d'une geôle que d'un rafiot."

Je plissai les yeux, perturbée par le comportement de Von Klaash. J'en fis d'ailleurs part à nos compagnons.

"Quoi que l'on envisage, il faut rester prudent. Je ne vois pas pourquoi Von Klaash a si facilement laissé la Confrérie tranquille. Il s'attend peut-être à une réaction de notre part..."

"Ou au contraire. Il pense p't'être qu'il a rendu la monnaie de son yû à la Confrérie. J'm'étonnerais pas qu'un type de c'genre nous prenne pour des lâches, surtout après c'qui s'est passé."

Je jetai un regard au semi-elfe qui grimaçait en serrant fortement le poing, puis soufflai doucement. Nous creuser la tête sur des hypothèses maintenant n'allait certainement pas avoir d'autre résultat que de nous faire perdre du temps. J'orientai mon regard vers Mazhui.

"Aurait-il laissé entendre quoi que ce soit sur ses intentions ?"


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Une tension certaine régnait dans la cabine, mais elle était du genre à renforcer encore la détermination de chacun. Après réflexion, Mazhui nous apprit que notre proie faisait commerce d'esclaves et que sa prochaine escale était certainement Exech. Toutefois, le navire à suivre était non seulement un meilleur bâtiment, mais il était aussi plus rapide. Le doyen du groupe, si l'on se plaçait à l'échelle de l'expérience maritime, tenta de nous rassurer. Nous pouvions les rattraper en passant par une zone susceptible d'être nid à tempête. Mon écorce se serra quelque peu, mais comme le souligna l'ynorien, c'était là une opportunité certaine de rejoindre la Laide-les-Maines. Soit nous cherchions à repousser la confrontation sur terrain tangible et inconnu, soit nous tentions de les surprendre en pleine mer.

Je réfléchis mais me heurtai à de nombreuses questions sans réponses. Pourtant, il fallait prendre une décision rapidement. Nahöriel me regardait, visiblement impatient de savoir à quoi je songeais.

"Alors ?"

"Alors ? Il nous faut prendre le risque de traverser mais il va falloir motiver nos compagnons d'abord. Avec un moral au fond des bottes, le Masamune aura du mal à prendre le vent."

J'étendis mes longs doigts sur le côté, envahie d'une sensation étrange. J'avais beau avoir envie de pousser la réflexion plus loin, la volonté de passer à l'action prenait peu à peu le dessus.

"Nous aurons sans doute plusieurs possibilités, mais difficiles à envisager à l'avance. Il y a trop de détails qui nous sont inconnus pour le moment."

"Genre ?"

"Le moment de la journée où nous les rattraperons, l'état de la mer et du ciel, la trajectoire de la Laide voire les autres navires possiblement présents dans les environs."

Je marquai un léger silence.

"Je vois deux possibilités. L'une est que, parvenus dans le sillage de la Laide, je mette à profit mon... Autre forme... Pour tenter de me glisser à bord. Le problème est que je ne passe pas inaperçu et que je n'ai aucune idée de la structure du bâtiment. Ceci dit, un oudio n'est pas un être commun et Von Klaash ignore que je fais partie de la Confrérie."

J'évitai de poser le regard sur le semi-elfe, consciente qu'il affichait un air totalement désapprobateur. Notre adversaire semblait cruel et violent, mais les miens n'étant pas monnaie courante, j'avais de bonnes chances de rester en vie. Certainement pas indemne vu la brutalité décrite, mais c'était un risque à courir. C'était aussi une occasion d'avoir un allié sur place.

Je fermai les yeux un instant, inspirai, puis repris la parole.

"L'autre est de parvenir à rallier Exech peu après Von Klaash. S'il fait commerce d'esclaves, j'imagine qu'il est toujours possible de savoir sur qui il s'appuie voire où il héberge ses victimes. Je conçois difficilement qu'il aille conclure des ventes directement à bord de son navire."

Je ramenai ma main tendue sur la garde de mon épée. Ma sève pulsait fortement en moi, mélange étrange que je ne parvenais pas à clairement identifier. Je regardai alors mes frères marins, attendant leurs réactions ou des informations qui permettraient de préciser un plan.


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