Ma respiration se coupe, et du coin de l'oeil, j'aperçois des jambes couvertes d'écailles au moment où je ne fais qu'un avec les ombres. Malheureusement, j'avais encore une fois raison, et la proximité des champignons ne me permet pas d'aller aussi loin que je le voudrais. À nouveau sujet à une montée d'adrénaline, j'émerge de l'ombre et pousse mon corps dans ses retranchements, me jetant sur la porte. Sans bien réaliser comment, je parviens à la passer et à la refermer derrière moi en catastrophe. Le noir complet m'entoure alors que cris enragés et bruit de griffes se font entendre.

"Triche pas !", fais-je sans me retourner. "Quoi que tu sois..."

Parce que mon orgueil m'en empêche, je ne me laisse pas aller à m'accroupir, quand bien même j'ai besoin de souffler un instant. Dans cet endroit sans la moindre lueur, je sais que la prochaine porte est juste en face. Je prends toutefois du temps pour me calmer un peu. Mes pulsations, le courant d'air brutal et surtout la pression exercée pour repousser le panneau de bois me rappellent ma chair à vif. En pensant à ces deux seules épreuves, je ne peux qu'être convaincu d'une chose. Me mettre en quête du pendant doré seul était la meilleure décision.

Je chasse cet instant de faiblesse d'un revers de main, et décide d'allumer l'une de mes torches. Même si je devine où se trouve la prochaine porte, la pièce à venir n'est peut-être pas éclairée. Dès que c'est fait, je m'approche de la salle suivante, les spirales aux aguets. La gardienne ne s'est pas encore faite entendre cette fois.

Lorsque tu arrives devant la porte, la voix se fait à nouveau entendre :

« A partir de maintenant, revenir en arrière est impossible. L'astuce est la clé, pour ne pas finir foudroyé. »

La porte s'ouvre sur une salle vivement éclairée ; Et pour cause, dans cette petite pièce de cinq mètres sur cinq, tu vois bien la porte d'en face, mais un éclaire tombe devant, frappant le sol plusieurs fois par secondes ! Le seul fait de t'en approcher t'électrise les plumes. La porte elle-même est en métal et est parcourus de petits éclaires issu du principale, se mettant à la masse dessus. Essayer de passer serait suicidaire...

La pièce est encombré d'objets divers. Tu vois notamment un genre de machine en bois formant une pair d'ailes, une caisse à outils à moitiés rouillés, des épées, des squelettes. Plus notable : un coffre contenant des lingots d'or, qui semble presque incongru. Plusieurs lingots, de longues barres de 50cm, sont sortit, un squelette en sert plusieurs de façon possessive. Il y a une source prêt de l'entrée. L'eau semble assez profonde.

Visiblement, le peu d'aventuriers qui ont réussi à passer la salle de la terre n'ont jamais trouvés comment sortir de la salle de la foudre...

Un son qui me hérisse se fait entendre de l'autre côté de la porte. La voix féminine me parvient, précisant d'abord que faire demi-tour maintenant est impossible. De toute façon, je me vois mal retourner dans la même pièce que cette bestiole à écailles. Son indice est bien moins précis qu'avant. Elle ne fait que me dire que l'astuce est la clé pour que je ne sois pas foudroyé. Et c'est bien le spectacle que je ne veux pas voir qui apparait.

Une pièce de quelques mètres de côté, vraiment lumineuse. Et pour cause, un large éclair tombe presque continuellement devant la porte que je dois emprunter. J'en frissonne. Le souvenir du sort que cette garce aldryde m'a lancé est encore trop présent. Et ce n'était qu'une magie de femelle incapable ! Là, je suis certain que m'approcher de trop me tuerait. Pas question. L'histoire de Nessandro ne finira pas sur un bête coup de foudre !

Au sol, bien des choses trainent. Je vois les corps de chanceux arrivés jusqu'ici, à l'état de squelettes et serrant des lingots d'or, comme si cela aurait pu les sauver. Un coffre aussi, rempli de ces même objets de pratiquement le triple de ma taille, un étrange objet en bois, comme une paire d'aile, des outils rouillés et des épées. Il y a d'ailleurs un point d'eau ici. Sombre. Comme s'il était profond. La première chose que je fais est de décoller légèrement du sol. Même si la foudre a l'air localisée près de la porte, je préfère être prudent.

( Bon. Réfléchis mon aldron. )

Je chasse une perle de sueur de mon visage et m'intéresse à la porte de métal. À chaque fois que la foudre frappe, le panneau brillant reçoit une partie de la décharge. L'énergie crépitante semble attirée par elle. Et j'ai justement à proximité toutes sortes de métaux. D'ailleurs, à cet instant, je me rappelle de ce que disait Célestin. L'eau ne fait pas bon ménage avec la foudre.

Décidé, je coince ma torche entre deux lingots qui trainent. Je vais avoir besoin de mes deux bras. Enfin, d'un et demi, en tous cas. Grimaçant, je commence par tirer avec difficulté une épée vers la source. Il me faut la planter dans le bord opposé pour qu'elle touche l'eau, mais puisse être en contact avec un autre objet métallique. Je vais ensuite chercher une autre épée que j'accole dans un fracas désagréable à la première. L'exercice est fatiguant, mais c'est pire quand je dois tirer de lourds lingots pour tracer un chemin pour la foudre. Un râle m'échappe, couvert par le son rythmé de l'énergie trop vive.

À proximité du point d'impact, je sens mon instinct ralentir mes gestes. J'ai beau avoir plongé un bras dans le feu de mon plein gré, le souvenir du sort me rend réticent. Il me faut pourtant connecter le chemin jusqu'à la source électrique. En attendant de trouver un moyen, je retire mon casque que je remplis d'eau. Je m'applique à faire baigner les objets au sol dedans. Arrivé au bout de la chaine, je renverse suffisamment d'eau pour créer une belle flaque. Il ne me reste plus qu'à placer un dernier lingot entre la décharge et la flotte. Sauf que je suis imprégné d'eau moi-même.

"Contrariété un jour...", souffle avec dépit.

J'avise alors un squelette proche, tire ma dague, et me mets à découper des bandes de sa tenue. Il n'en faut guère plus pour que l'un de ses os de bras ne glisse hors de la manche. Me vient alors une idée toute bête : utiliser cet objet pour pousser un lingot en diminuant les risques de mauvaise surprise. Je commence par me défaire de mon humidité, puis découpe d'autres morceaux de toile secs que j'enroule autour de l'os. Je place ensuite un lourd lingot parallèlement au dernier, baignant dans l'eau. Survolant l'ensemble, je tente de scruter le point d'impact, mais la lumière vive est vraiment trop violente.

"Un petit effort.", grince-je en sentant mes plaies tirer affreusement.

Armé de mon os sous sa bobine de tissu sec, je pousse par à-coups le lingot vers la foudre. On va bien voir ce que cela donne.

Ton plan fonctionne à merveille. Tu sens une décharge passer à travers l'os et le tissu, mais elle est trop faible pour te faire le moindre dommage. L'éclaire se met à la masse sur les ligots, attiré par l'or. Il va se propager pour plonger dans l'eau, et ainsi, la porte n'est plus électrifiée. Elle est cependant incroyablement lourde et tu as toutes les peines du monde à la faire pivoter. Au bon d'un bon quart d'heure d'effort, tu y parviens et accède au couloir menant vers la dernière épreuve.

Une ultime porte se dresse face à toi, et la voix de la gardienne te prévient :

« Ici, est la dernière épreuve, celle de l'obscurité. Prépare ton âme à la souffrance, car ici, ton pire cauchemar va devenir réalité. »

Ma construction improvisée semble fonctionner. L'espace d'un instant, mon outil osseux subit un choc, mais trop faible pour me parvenir. L'énergie, guidée sur un chemin sans doute plus attirant, se met à frapper la chaine. Cela me suffit. La porte est donc libérée de ce dangereux élément. Par contre, la pousser me demande de gros efforts. Métallique, d'un poids conséquent, il me faut vraiment toute ma détermination et mon obstination pour y parvenir. Lorsque c'est fait, je récupère ma torche et m'avance dans le couloir. Le soudain et long effort me fait grimacer tant il décuple la douleur de mon bras meurtri.

Quelque part, la voix de la gardienne de la forêt résonne. J'ai devant moi ma dernière épreuve. Elle me prévient de préparer mon âme à la souffrance, car ici mon pire cauchemar va devenir réalité. Je ferme brutalement les yeux et respire. Mon pire cauchemar... Au milieu de l'anticipation et presque de l'appréhension, je détecte une pointe de curiosité. La Voix Sombre a aussi trouvé le moyen de lire en moi, mais elle n'était pas toujours exacte malgré tout. Mais si c'est un cauchemar qui prend forme, ce sera possiblement juste une illusion.

Je ne devrais pas en tenir compte. Un frisson secoue mon bras porteur de torche, puis je me décide. J'arrive au bout de tout ceci, je ne peux pas m'arrêter ou de toute façon rebrousser chemin. Je pousse alors cette dernière porte avec résolution.

( Souffrir à cause des ténèbres ? C'est du déjà vécu. )

Alors que tu pousses la porte, tu entre dans une pièce entièrement noire. Impossible de savoir où se trouve la sortie. Tu erres pendant un temps, sans but... puis, soudain, l'obscurité se lève pour te révéler que tu est dans une pièce de cinq mètres par cinq encore une fois, mais brillamment éclairée. La première chose que tu remarques, est qu'il n'y a ni porte d'entrée, ni porte de sortie. La deuxième chose te donne un coup au cœur.

Daer'on se tient dans la pièce ! Il porte plume d'argent et de l'équipement de voyage.

« Qu'est-ce que... Où suis-je ? Je... Nessandro ? C'est toi qui a fait ça ? Je te cherchais et... »

Il est interrompu par une voix que vous reconnaissez bien... la voix sombre du cœur de Nostrad !

« Pathétiques petits insectes ! Vous avez triomphé de mes épreuves, mais à défaut de pouvoir vous empêcher d'atteindre l'orbe sacré, j'aurais ma revanche ! Je vous ai transporté dans une pièce magique dont il n'existe aucune issu. Un seul d'entre vous pourra sortir physiquement. L'autre sortira... en tant qu'une âme en chemin vers les enfers ! Ah ah ah ah ! »

Le visage de Daer'on pâlit d'horreur.

Ma torche brandie, j'arpente une pièce totalement noire pendant quelques instants, incapable de voir où se trouve la prochaine porte. Et puis, soudain, l'obscurité se lève. Je découvre une pièce de la même taille que la précédente, sauf qu'elle n'a aucune issue. Mais je n'y fais que peu attention. Au centre de la pièce, une silhouette familière se tient. Celle de Dae'ron, l'aldryde que j'ai laissé s'approcher de bien trop près. Mes yeux se plissent en le voyant. Il porte sa javeline et de l'équipement de voyage. Et cette voix qui me parvient me cause un bref choc. Il se demande où il est, m'interpelle, puis m'apprend qu'il me cherchait.

Il est interrompu par une voix qui me hérisse les plumes. La Voix Sombre. Elle siffle, prétendant que nous avons triomphé de ses épreuves, mais qu'à défaut de me laisser avoir l'orbe, elle aura sa revanche. Son petit jeu est simple. Aucune sortie de cette pièce magique, sauf si l'un d'entre nous tue l'autre. Et cela fait pâlir l'aldryde qui me fait face.

Il me faut un moment pour digérer tout cela. Enfermé entre six parois, avec cet être lumineux, et que je dois tuer pour sortir ? Un rictus amer m'échappe.

"Joli coup", fais-je dans un souffle, surpris de la véracité de la chose. Si ce n'est pas mon pire cauchemar, cela n'en est pas loin.

J'observe Dae'ron un instant. Cela ne fait pas même deux jours que je l'ai abandonné. Et même si je le vois là, quelque part, je sais que ce n'est pas vrai. Le brun ne se serait jamais mis à ma recherche. Il n'a aucune raison de le faire. Et même si cela me chagrine de l'admettre, je sais que mon congénère n'aurait jamais eu cette réaction. Il est trop gentil. En voyant mon état, il aurait déjà proposé quelque chose. Ce n'est pas le vrai. Je le connais hélas trop pour ne pas en être certain.

Et la Voix Sombre aussi ne doit être qu'illusion. Elle a été vaincue là-bas, dans la citadelle. J'extirpe l'orbe sombre, grimaçant de la peine de la brûlure étendue.

"Sors de ma tête, saloperie. Tu sais pertinemment que je ne t'obéirai pas. Et tu t'es trahi dans ta tentative, ombre. Je n'ai pas encore triomphé de toutes tes épreuves.", déclare-je avec froideur. "Celle-ci est la dernière. Une simple illusion. Un reflet de ce qui me fait peur."

J'agrippe fermement le corps sombre, comme pour le broyer dans ma paume meurtrie. Avec un peu de chance, je me suis juste endormi, et la douleur peut me réveiller. Si je ne ressens rien, alors je saurai que je suis juste dans un sale rêve. Façonné par une quelconque magie.

"Mais tu t'es trompé. Je redoute pire que cela. Et je trouverai cet orbe, peu importe le nombre de bâtons que tu cherches à me mettre dans les roues ! ", m'écrie-je avec hargne et détermination.

Je n'obéirai pas. Je suis seul ici. Seul avec des idées qui me font peur. Mais c'est juste cela, des idées. Des pensées. Rien ici n'est réel. En-dehors de la citadelle, la Voix Sombre n'avait aucun pouvoir. Pourquoi en aurait-elle davantage ici alors que son esprit a été banni ?

Cette idée en tête, je force mon coeur à se calmer et s'apaiser. Tout ce qu'il y a dans cette salle, je n'y crois pas. Et je m'avance donc vers la paroi face à moi, décidé à trouver la porte, et ignorant la présence du brun. Ou plutôt son absence. Il n'est pas là, et ne sera jamais plus aussi près de moi.

Pour toute réponse, l'orbe vibre bizarrement dans ta main, il te semble brièvement voir le contour d'un visage hilare s'y dessiner, puis, plus rien. En serrant l'objet, tu ressent distinctement la douleur, mais ne te réveil pas.

En te voyant commencer à fouillé les murs, Daer'on s'éclaire :

« Tu as raison, il y a forcément un passage secret !Tu te souviens par quel mur tu es arrivé ? Ce serait déjà un début... »

Il se met à parcourir la salle en tapant de la pointe de sa lance, cherchant un endroit qui sonne creux.

L'orbe dans ma paume douloureuse vibre. L'espace d'un instant, j'y vois comme un visage hilare se dessiner. La Voix Sombre s'est toujours foutue de moi. Cela ne me surprend pas vraiment. Mais hormis cela, rien de précis. La douleur me dit juste que je ne suis pas assoupi. Derrière moi, la voix aldryde faussement familière s'élève, persuadée qu'un passage secret existe. Et il me demande si je sais par quel mur je suis arrivé. C'est bien la preuve qu'il n'est pas ce qu'il prétend être. Comment saurait-il que je viens d'un des murs alors que lui aurait été amené ici ?

Je ressens un pincement au cœur. Il n'est vraiment pas là. Si cela avait été le vrai, il se serait montré plus franc. Il aurait fait attention à certains détails. L'espace d'un instant, j'ai le sentiment qu'il me manque. Mais là encore, ce n'est que passager. Sans lui, je suis libre. Je scrute encore l'orbe. Pourquoi cette chose aurait vibré ? Je sais que je ne dois pas croire quoi que ce soit dans cette pièce.

Pourquoi ne puis-je pas avoir un cauchemar tout simple ? Comme devoir manger des balles de miel sans goût ? Être encore trempé par la pluie ? Je refuse de céder au chantage de la Voix Sombre. Je l'ai forcément imaginé, car elle est encore là, nichée dans un coin de mon esprit. Je veux sortir d'ici ! Je ne veux plus être enfermé ! Même avec cette copie de Dae'ron ! Surtout avec un faux Dae'ron ! Mais peut-être est-ce là la vraie épreuve.

"Eh.", fais-je en me tournant vers lui et envoyant ma torche par terre.

Il y a pire pour moi que de devoir tuer Dae'ron. Si l'idée que je viens d'avoir est correcte, la fausse Voix sombre ne va sans doute par s'attendre à cela de ma part. J'avance vers la silhouette, attrape fermement les poignets du mâle en serrant pour tenter de le désarmer, et oblige sa main libre à se poser sur ma gorge.

"Fais-le.", dis-je avec lenteur en rivant mes yeux aux siens. "Parce que si tu ne te décides pas...", menace-je en apposant ma main brûlée contre sa gorge. "Cette fois-ci, je me défais de toi, pour de bon."

J'ai mal. Tellement mal. Je sens venir une pointe de désespoir. Mais je suis résolu. Quand bien même cela me tuerait, s'il hésite, je n'aurais peut-être pas d'autre choix. Je suis si près du but ! Maudite soit cette Voix Sombre ! Pourquoi le pendant doré ne réagit pas pour m'aiguiller un minimum ? Je ne veux pas obéir. Je ne veux pas rester ici. Je ne veux pas tuer Dae'ron, même s'il n'est pas le vrai.

Daer'on te regarde avec des yeux ronds.

« Non ! Je ne peux pas faire ça ! Il... il y a forcément un moyen ! »

Il s'arrache d'un coup du plat de sa lance et se met à fouiller frénétiquement, les larmes aux yeux. Mais il n'y a aucune issu. Alors, il pose sa lance contre un coin de la pièce, bien calée. Des larmes se mettent à couler.

Il lève la tête et te regarde :

« Tu as raison, c'est à moi de le faire... Pas de te tuer. Tu aimes trop la liberté, et moi je n'ai toujours souhaité que ton bonheur... Alors je n'ai pas le choix. Je n'aurais jamais cru te demander ça mais... fait lui payer. »

Sa gorge est exposée directement à la lance...

Le regard de cet aldryde est rond, si familier, si douloureux. Il refuse, certain de ne pas pouvoir faire ce que je lui demande. Il se met à chercher frénétiquement une sortie, un moyen pour éviter ce désastre. Mais il finit par se rendre à l'évidence, des larmes finissant par rouler sur son visage. La gardienne m'avait prévenu. Préparer mon âme à la souffrance. Le voir ainsi, empli d'une telle douleur par ma faute, m'arrache les entrailles.

Il finit par caler sa lance dans un coin de la pièce puis me regarde. Ce regard... Il me répond enfin. C'est bien à lui de le faire, mais pas de prendre ma vie. J'en écarquille les yeux de stupeur. Il me confie savoir que j'aime trop ma liberté, et qu'il n'a toujours souhaité que mon bonheur. Ce cauchemar est de pire en pire. Dae'ron n'a jamais laissé entendre une telle chose, aussi franche. Il affirme ne pas avoir le choix et me demande après un moment, de faire payer à quelqu'un. Sa gorge est exposée à la lance.

Je le regarde sans vraiment le voir, mon coeur battant si lentement que j'ai l'impression de me refroidir à vue d'oeil. Faire payer. A qui ? La Voix Sombre ? Mais elle est déjà vaincue... Non. Le visage dans l'orbe, moqueur, m'indique que ce n'est pas le cas. Je suis paralysé, déchiré entre cette vision de l'aldryde familier et ce hurlement intérieur qui me dit que ma liberté est à portée d'ailes. J'ai mal, comme si la javeline m'avait transpercé de part en part. Je ne comprends pas. Dae'ron est un mâle apprécié, certes, mais de là à...

Tétanisé, je sens mon regard se river au sien. Ma gorge est nouée. Je sais que je peux l'en empecher, mais l'épreuve... L'épreuve implique que j'endure une grande souffrance. Alors je le regarde. Je ne perds aucune seconde de ses gestes. Toutes mes pensées sont focalisées sur une chose, son nom. Sur ce qu'il s'apprête à faire. Et pour la première fois depuis plus d'un mois, je sens mon regard s'embuer. Et j'ai la haine au ventre. La rage de me venger de ce qui m'oblige à ressentir tout cela. Il faut que cela s'arrête. Vite.

"Je t'en fais le serment.", m'entends-je répondre sans la moindre once d'hésitation.

J'essaie de me préparer au mieux à ce que je vais voir, rivant mes yeux sombres à ceux de cette figure. J'anticipe. Je me sens mal. Coupable. Mais je suis tellement empli de haine que je ne détourne pas les yeux. Ce n'est pas moi qui tue Dae'ron. C'est ce dernier qui se sacrifie de sa propre volonté. Parce qu'il l'a choisi. Pour moi. Mes poings se serrent sur l'orbe sombre, ravivant la douleur ridicule en comparaison de ce que je ressens.

C'est rapide. Si rapide que ça semble incroyable qu'un tel geste puisse en sembler si anodin. Une floraison de rouge. Un chute... qui aurait cru qu'il y avait autant de sang dans un corps ? La salle s’assombrit et les issus reparaissent, celle par laquelle tu es entrée et l'autre, qui donne sur un sanctuaire baigné de lumière.

Et au sol, les yeux voilés par la mort, un sourire triste sur les lèvres, Daer'on repose en paix.

Il ne te reste plus qu'à entrer dans le sanctuaire pour récupérer ce que tu as si chèrement acquis. Et peut-être avoir des explications...

La lance fait son office. Tout se passe vite. Si vite. Une gerbe écarlate, le corps qui chute puis se vide de son sang. Au sol, la flaque carmin glisse sans un bruit jusqu'à mes bottes. La salle s'obscurcit, mais je n'en ai cure sur l'instant. Je n'ai d'yeux que pour cette silhouette, la poitrine saisie dans un brutal étau. Les issues réapparaissent, mais la forme de l'aldryde ne disparait pas. Son corps demeure là. Un sourire orne ses lèvres malgré la peur qu'il a du ressentir et la douleur du coup mortel. Je me sens me glacer à l'intérieur. J'ai du mal à retenir une aspiration vive. Ce n'était pas une illusion ? Dae'ron a vraiment fait cela ? C'est impossible. Juste... Non... J'étais persuadé... Ce n'est pas vrai. Je suis encore en plein cauchemar !

Je n'ai pas plié devant des femelles. Jamais non plus contre des humains. Mais là, mes forces m'abandonnent un instant et mes genoux sous couvert de mes hautes bottes tombent dans son sang. Lentement, ma main brûlée glisse au-dessus de son visage. L'incrédulité me pousse à enfin le toucher légèrement. J'effleure sa joue, puis remonte mes doigts à vif, fermant ses yeux. Et puis, c'est l'explosion. Je pousse un hurlement bestial, incapable de contrôler la gerbe de ressenti que j'ai.

Finalement, de rage, je déploie mes ailes et m'élance droit vers le sanctuaire lumineux. Je sens quelques perles sur mon visage, mais je m'en contrefous. Je ne savais pas que j'étais capable de ressentir une douleur aussi fulgurante. Ma rage et ma haine me poussent à parcourir le chemin à toute allure. Peu importe ma brûlure ou ma souffrance physique. Je veux savoir pourquoi toutes ces épreuves. Je veux faire la peau à quelque chose. Décharger cette pulsion meurtrière qui m'envahit.

Et surtout mettre la main sur cet objet doré que je maudis déjà de tout mon être.

Tu ne vois pas grand chose de cet endroit, dans ta rage... juste que tout est lumineux. Des marches mènent à une estrade sur laquelle trône des griffes d'or, refermées sur un objet que tu distingue mal. Un globe incroyablement lumineux. Tu entends le bruit du vent et des vagues et l'air s'est rafraîchit.

Mais tout cela passe. Une explosion de lumière, et l'orbe disparaît. Pendant un instant, il semble qu'il n'y a plus rien dans le temple. Puis, tu vois apparaître à la place l'armure doré du Gardien, bien que tu puisse clairement l'identifier comme une gardienne à présent. Même si l'armure ne le dévoile pas particulièrement, cela se sent.

Bras croisés, comme le jour ou tu l'as rencontré, elle murmure :

« Nessandro... cœur courageux... Tu as réussi à triompher de toutes les épreuves, y compris celles du cœur sombre de Nostrad. Je reviens un instant en ce monde pour me remettre entre tes mains. Et aussi t'expliquer des choses que tu dois savoir. Suis-moi. Quittons cette endroit. »

Mes ailes me portent vite et j'ai presque la tête qui tourne tant je bloque ma respiration pour ne pas être ralenti. Je n'ai d'yeux que pour les escaliers menant à une estrade. Dessus, des griffes d'or, tenant un globe lumineux dont l'éclat ne fait que m'assombrir davantage. J'ai du mal à me concentrer. Une soudaine explosion de lumière se fait, et je cherche instinctivement ma sarbacane. Quand je me reprends, je vois que l'orbe a disparu. Un élan d'amertume s'allie à mon noeud de ressentis. Mais avant que je puisse rassembler mes pensées, l'armure dorée du Gardien ou plutôt de la Gardienne apparait devant moi.

Bras croisés, comme lors de notre première rencontre, elle s'adresse à moi. Sa voix atténue quelque peu ma hargne, mais je me sens trop mal pour que cela suffise. Elle m'interpelle par mon nom, me disant coeur courageux ayant triomphé de toutes les épreuves, y compris celle du Sombre. Y penser me fait serrer violemment les poings. L'armure m'informe être revenue temporairement en ce monde pour m'expliquer des choses. Elle m'incite à la suivre et à partir.

Sans donner de réponse, je lance un regard vers le chemin que je viens d'emprunter. Vers cette pièce où Dae'ron repose. Je sais que je devrais faire quelque chose, mais mon esprit est si proche de la rupture que je m'en détourne instinctivement. C'est sans une parole que je fais un simple signe de tête. Ma rage alliée à cet incontrôlable désespoir me font brutalement passer mon bras brûlé contre mon visage. Les liens sont des entraves. Il faut les couper avant qu'ils ne soient trop importants et puissent faire du mal. Je le sais.

Et j'ai lamentablement échoué dans cette tâche.