La Femme au Diadème BlancLes Idolâtres du Grand Chthonien
Quoi qu'elle eût pensé qu'il avait fait, cela avait déclenché sa furie. Elle ferma boutique, fouilla dans un petit coffre pour en ressortir deux gemmes sphériques rougeoyantes de la taille d'une main, s'habilla rapidement d'une cape grise et revint s'attarder sur Goetius.
"Levez-vous, nous partons en balade ! Et ne vous avisez pas de tenter quoi que ce soit de stupide !"Quittant la boutique par là d'où il était arrivé, la jeune femme, qui restait derrière lui, le poussait de temps à autres pour le presser d'avancer au travers des ruelles des maisons bourgeoises. Soudainement, au détour d'un mur, il le vit.
Un endroit sublime. Un temple de pierres noires pourvu de pinacles pointues et de piliers saillants à chaque coins sur lesquels trônaient des sculptures représentant un squelette caché sous une aube, faux en main. On pouvait deviner par-ci par-là des ouvertures servant de refuge à la myriade de corbeaux, dont on aurait dit de certains qu'ils possédaient trois yeux, qui était perchée sur l'édifice. Autour, des arbres morts n'égayaient pas la scène.
Goetius s'étant arrêté pour admirer le bâtiment, la jeune femme le poussa plus fort pour qu'il s'avance. Ici, hormis eux, il n'y avait personne et, hormis les cris corbins, aucun bruit. Même ceux de la ville ne semblait pas vouloir s'aventurer dans ce décor si lugubre. Si cela avait été d'en d'autres circonstances, il aurait pu croire être arrivé dans un sanctuaire. Le silence au milieu du bruit, l'obscurité s'imposant à la lumière. Une force divine, qui lui était agréable, œuvrait ici. Étonnamment, il commençait à se sentir bien. A oublier ses inquiétudes. Lorsque la jeune femme lui avait parlé de grande prêtresse, il était loin d'imaginer qu'il pouvait s'agir de celle de Phaïtos mais il n'y avait pas de place au doute. Tout ici faisait ressentir sa présence. Et c'était bien.
Goetius se rappelait soudainement les mots de sa mère.
"Le hasard, la chance et la malchance, ça n'existe pas. Seul existe Zewen."
Quand sa famille a peu à peu été terrassé et qu'il fut épargné, il comprit là que le dieu du destin et de la mort devait être de vieux amis. Ils avaient un grand plan pour lui et l'avait façonné pour que son accomplissement soit parfait. Yuimen, que son paysan de père adorait tant, était utile, mais ce n'était jamais qu'un dieu de pacotille en comparaison, tout juste bon à faire pousser les légumes. Pourtant, c'est à lui qu'il a dû se fier durant toutes ces années à entretenir seul la ferme.
Les péripéties qui lui étaient arrivées depuis son départ pour le château de Mordansac ne lui avaient laissé guère de repos, mais il pouvait ressentir plus puissamment que jamais Zewen et Phaïtos l'accompagnant à ses côtés. Et, pour cela, il se sentait invincible.
Ils l'avaient guidé jusqu'à ce temple pour une raison précise.
Il n'y avait nul besoin de fuit, nul besoin de lutter, nul lieu de s'inquiéter.
Il lui fallait juste avancer.
La jeune femme n'eût plus besoin de le pousser, il avançait de lui-même sans rechigner.
Ils atteignirent la façade du bâtiment, une grande porte rouge sang au-dessus de laquelle, sur un tympan était gravé une représentation du dieu régnant sur les enfers.
La porte était fermée. Son regard s'arrêta sur les poignées, qui n'étaient autre que des crânes de bouloums.
"Ouvre."Goetius s’exécuta, et ils rentrèrent dans le temple.
C'était une véritable cathédrale, pourvue de bancs capables d’accueillir des centaines de personnes. Au fond, une immense statue d'un homme à tête de corbeau trônait devant une fresque aux tons rouges.
D'autres gens adoraient Phaïtos ? Tous n'étaient-ils donc pas sourds à sa présence ?
Un vieux prêtre avança vers eux. Un homme aux traits creusés et au regard bleu clair, dans une aube grise, qui lui demanda :
"Sephora ? Que viens-tu faire ici à cette heure ? Qui est-ce que tu emmènes là ? Aucun sacrifice n'est prévu avant des jours..."Elle lui hurla :
"Silence, prêtre. Je suis venu ici rendre des comptes à ta catin de maîtresse, qui a voulu me sacrifier à Phaïtos sans me consulter."Ses mots résonnèrent dans le bâtiment.
Lorsque l'écho eût fini de se faire entendre, ce fut le tour de bruits de pas féminin venant d'une chapelle latérale. Une femme d'une quarantaine d'année, vêtue d'une soutane rouge bordeaux et d'une étole dorée. Couleurs vives qui contrastaient avec le ton sobre du bâtiment.
"Que me veux-tu Sephora ?"La jeune fille sortit alors le grand jeu. Les deux gemmes en main, laissant tomber sa cape, elle fit face à la prêtresse.
"Prêtresse, je connais votre puissance. Mais je tiens à vous prévenir. Si vous me tuez et que ces gemmes de fluides flamboyants se brisent, vous, vos prêtres et votre temple vous embraserez !""Mais enfin, pourquoi ferais-tu cela ? Si ton cœur vacille, je te rappelle que tu as officiellement renié Gaïa et accompli le Daneshaar. Il est trop tard pour faire demi-tour, même tes fluides ont changé. Fais attention au courroux du dieu de la mort. Je sais ce qu'il a prévu pour moi, peux-tu en dire autant ?""Alors expliquez-moi pourquoi avoir soudain décidé de me tuer en m'envoyant cet assassin ? Il a la marque des ressuscités sur sa gorge, il vient forcément d'ici !", dit-elle en poussant Goetius vers la prêtresse.
Elle le dévisagea et s'avança vers Sephora, l'air folle de rage. La jeune fille ne bougea pas, totalement surprise de cette réaction et resta tétanique jusqu'à ce que la grande prêtresse vienne la frapper d'une grande claque sur la joue qui résonna dans l'écho.
"Petite idiote ! Comment as-tu pu croire que si je te voulais morte, je t'enverrais un assassin de pacotille ? Lorsque j'en aurais l'envie, je viendrais moi-même te sacrifier à Phaïtos et crois-moi, je ne manquerais pas mon coup ! Je ne connais pas cet homme, et, pour l'heure, le dieu ne désire pas que ton âme lui revienne. Nous ne sommes pas les seuls à connaître le secret de la résurrection, il peut venir de n'importe où. Ne t'ai-je pas dit que nous avions de nombreux ennemis, de garder ta conversion secrète ?""Mais c'est ce que j'ai fait !""Et bien on dirait que tu ne l'as pas suffisamment bien caché. Crois-tu que ton mari pourrait avoir des soupçons ? Et range-moi ces pierres maintenant. N'emmènes plus jamais quelque chose d'aussi dangereux ici."Leur conversation ressemblait presque à celle d'une mère grondant sa fille et ni les prêtres, ni Goetius n'osaient y prendre part. Elle remit ses gemmes dans la poche et lui répondit :
"Non, il n'est au courant de rien. Je ne vois pas ce qui aurait pu me trahir. Si ce n'est pas vous, qui est-ce donc qui a pu me l'envoyer ?"Goetius se sentit obligé de réagir. Non que son sort l'inquiétait puisqu'il se pensait protégé par les dieux, mais qu'il ne supporterait pas longtemps les élucubrations des deux femmes. Il s'avança et dit avec orgueil, mentant à peine :
"Je n'ai que faire de votre vie ou de votre mort. Cette estafilade à mon cou m'est hérité des péripéties que j'ai connu au sein d'un livre maudit, dont je suis sorti victorieux. A ma sortie, je me suis retrouvé dans cette ville et me suis aussitôt mis en quête d'un endroit où me reposer et me sustenter. C'est ainsi que je suis tombé sur une porte ouverte. La vôtre.""Vous m'aviez dit que c'était pour éviter la foule."Le ton de Goetius se faisait de plus en plus sec, il n'aimait pas avoir à se justifier.
"C'était le cas. Je hais la foule."La prêtresse se fit pendant ce temps pensive, elle semblait chercher dans sa mémoire quelques fragments enfouis.
"Vous connaissez le titre du livre dans lequel vous vous êtes retrouvé ?" "Je n'en ai jamais eu l'information. Je sais juste que l'histoire se déroulait dans un village nommé Laisvivre."Elle s'avança en le dévisageant :
"Vous êtes allé dans "Les tourments de Laisvivre" ? Un des livres écrits par Zewen lui-même ?"Goetius fut surpris :
"Par Zewen ?"La prêtresse eût soudainement l'air extasiée, excitée par la nouvelle. Un des prêtres, celui qui leur avait ouvert tout à l'heure, se mêla à la conversation :
"La légende raconte que c'est un des livres de la bibliothèque de la Tour des Dieux ! Mais peu de mortels ont réussi à s'y aventurer et à en ressortir vivants. De dangereux gardiens et une étrange magie la protège, et l'on dit que ceux qui s'y enfoncent trop perdent la raison...""Qu'est-ce que ça veut dire ?""Que quelqu'un a réussi à s'y introduire et à utiliser la magie du livre.""Qui aurait pu faire ça ?""Un jour, un homme est venu ici. Un érudit qui se disait alchimiste et qui semblait s'intéresser à toutes sortes de magie. Il m'avait fait une requête étrange. Il voulait apprendre la nécromancie, mais il refusait de jurer allégeance à Phaïtos. Il disait vouloir se servir des morts pour aller là où les dieux l'interdisent aux vivants. J'ai naturellement refusé et il est parti fou de rage, en clamant que lorsqu'il sera devenu un dieu, il tuerait Phaïtos et se nourrirait des âmes de ses adorateurs.""Alors cet alchimiste aurait réussi à apprendre la nécromancie et à se rendre dans la Tour des Dieux ? Comment ?""Je ne connais qu'un seul être capable d'enseigner la nécromancie sans se soucier de Phaïtos...""La bête de Blakalang... Cela fait longtemps que quelqu'un aurait dû lui écourter la vie. Je ne comprends pas pourquoi Phaïtos lui permet encore d'exister." "Il attend peut-être qu'un de ses fidèles s'en charge..."Les trois adorateurs, à cette réflexion, le regardèrent.
"Que proposez-vous ?""Une expédition. Il faut se rendre à la Tour des Dieux et arrêter cet alchimiste avant qu'il n'en apprenne trop sur la magie divine et puisse s'en servir contre Phaïtos et ses adorateurs. Mais d'abord, il faut aller voir la bête, pour s'assurer de ce qu'elle a pu lui apprendre et pour la mettre hors d'état de nuire."Goetius ne pouvait rester de marbre. Il était lui-même un adorateur dévoué de Phaïtos. Savoir qu'un mortel se repaisse de la science des dieux pour le détrôner était un blasphème impardonnable et, ici, son orgueil se devait de s'effacer au profit du dieu de la mort.
L'assemblée resta perplexe face à son discours et débattit.
L'objectif ressemblait plus à une folie qu'à un plan tenable mais, plus que jamais, il s'agissait de servir courageusement Phaïtos. S'ils réussissaient cet exploit, le dieu les remarquerait peut-être. Le sens de leurs vies pouvait-il être ailleurs ?
"Très bien. Nous allons mettre tout les moyens en œuvre pour cela. J'irais parler demain au clergé de Thimoros, je sais que eux aussi ont quelques comptes à régler avec la bête de Blakalang. En attendant, vous pourrez vous reposer et vous loger dans le presbytère."Le Territoire du Loup Noir