L’endroit, dont l’elfe ne se lassait à contempler, l’apaisait en quelque sorte. Il lui faisait tout oublier, et si Iloran s’était allongé à côté d’elle, elle n’y prêtait pas attention. Elle y était maintenant, mais il lui fallait trouver précisément ce qu’elle cherchait. Et quand vous-même ne savez pas ce que vous cherchez…

Alors elle ne faisait que le sentir, sans le voir, et elle s’en contentait pour l’instant. Mais près d’elle, quelque chose avait bougé, et sentant que son compagnon n’y était pour rien, elle se retourna, doucement, dans un mouvement presque lascif avant de voir une elfe blanche, une elfe belle à s’en damner, qui donnerait envie à tous les prêtres de ce monde d’abandonner l’idée du célibat, une elfe si belle que vous n’étiez ni son allié ni son ennemi, mais son servant.

La Sindel se leva, tout aussi lentement, prenant son temps, en profitant du moment pour continuer à la contempler. La chose qu’elle cherchait, la personne, était là, devant elle. Si sa tenue laissait plus en voir que ne cachait ses formes, cependant elle laissait une part à l’imagination, et ce fit sourire l’elfe, qui pensait au nombre de fois ou des hommes ou femmes avaient fantasmé sur cette créature enchanteresse.

L’hiniönne déclara ne l’avoir jamais vue en ces murs, et se présenta comme Pulinn, la Gardienne de ce temple. Sa voix cristalline, s’harmonisait avec son apparence, les mots qui passaient par ses lèvres charnues, ces lèvres d’or, devaient être une véritable torture, une irrésistible tentation pour ceux qui pouvaient ressentir du désir. Accueillante, elle lui demanda la raison qui l’avait poussé à passer les portes du Temple, son souhait, son désir, afin de pouvoir y répondre convenablement, si toutefois ce n’était pas indiscret.

Elle cherchait quelque chose, ou quelqu’un. Et elle l’a trouvé. C’est elle, la personne qui peut l’aider. Elle. Pulinn. Ce nom se répétait dans son esprit, il lui allait si bien. Avalyn ne pouvait détacher son regard d’elle, cela lui était impossible. Du moins, jusqu’à ce qu’Iloran ne sorte des bras de Morphée, cherchant la Sindel du regard, et tombant sur les deux elfes. Se levant devant Pulinn, il lui fit un baisemain, avant de contourner la banquette et de rester à côté d’Avalyn.

- « Je vois, ma dame, que vous avez fait la connaissance de Dame Pulinn. » constata-t-il.

- « En effet, mon ami…en effet… » répondit-elle.

La Sindel posa sa main sur le poing de son compagnon, et sourit à son interlocutrice, montrant ostensiblement qu’elle avait comme vaincu quelque chose, qu’elle avait mis à bas une barrière.

- « La raison pour laquelle j’ai franchi les portes de ce lieu ? Parce que mon désir est de retrouver quelque chose…quelque chose que je n’ai jamais eu… et que depuis une semaine, je me sens inexorablement attirée par cet endroit… expliqua Avalyn, et d’un geste ample de la main elle désigna la bâtisse, le magnifique Temple… je me nomme Avalyn. »

L’endroit où les mémoires dorment, où le plaisir est sans repos et où les secrets ne restent pas bien longtemps gardés…

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La belle et douce Pulinn attrapa la main de la jeune Avalyn dans la sienne, délicate, ne prêtant pas la moindre attention au dénommé Iloran. Lorsque cette dernière eut fini de parler, elle lui répondit d’un ton aérien :

« Enchantée, alors. Tu es la bienvenue ici, Avalyn. Puisses-tu y trouver cette chose que depuis toujours tu cherches, et qui semble te manquer. »

Ses yeux opalins vinrent percer les iris de l’elfe grise, comme si elle tentait de les analyser. Puis, encore, sa voix mélodieuse retentit à nouveau :

« Sais-tu la nommer, cette raison perdue ? »

Ignorant Iloran, ce qui ne sembla l’offenser, Pulinn prit la main de l’elfe dans la sienne, sa main qui semblait faite de soie, sa main qui réchauffa instantanément celle de la Sindel. Quand l’elfe eut fini de parler, sa sublime voix déchira à nouveau le voile évanescent du silence, se déclarant enchantée de la rencontrer et étant la bienvenue ici. Lui souhaitant de trouver ici ce qu’elle cherchait depuis toujours et qui semblait lui manquer.

La douce elfe blanche et son regard perçant semblaient sonder ceux d’Avalyn, et déchirant à nouveau…non, elle était bien trop délicate pour ceci, sa voix caressait le silence. Elle le caressait, comme si ce que les hommes ne pouvaient maîtriser, elle le pouvait. Pulinn avait décidément quelque chose de divin. Elle demanda si l’elfe pouvait la nommer, cette raison perdue.

- « Vous savez…j’ai une vision bien particulière des choses… J’ai toujours pensé au fond de moi, que donner votre nom à quelqu'un l'allouait à deux choses. Soit il peut s’en servir, afin de tenter de vous contrôler, soit il peut vous nommer pour vous nommer… Pour parler de vous. Voilà la différence, pour moi. Et si toute ma vie, j’ai toujours connu le nom des autres et des choses afin de les contrôler, cette fois je ne peux que le nommer pour en parler… » expliqua Avalyn.

Se tournant vers Iloran, lui souriant, elle continua en le regardant.

- « C’est également comment une manière de savoir qui se considère comme votre égal, ou comme votre ami. Car pendant que le bon ami vous nommera pour votre bien, le mauvais vous nommera pour avoir un semblant de contrôle sur vous… Mais pour vous répondre, même nommer ce phénomène ne suffit pas… »

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Pulinn écouta les paroles d’Avalyn en levant un sourcil circonspect, puis répondit à nouveau, de sa voix mélodieuse, sans libérer toutefois la délicate présente de la main de la grise dans la sienne.

« Il y a de grandes différence entre la nomination d’une chose et la nomination d’une personne. Est-ce donc une personne que tu cherches si mystérieusement ? »

La question était rhétorique. Elle y répondit elle-même.

« Je ne pense pas qu’il s’agisse de cela. Mais pour la trouver, cette chose, encore te faut-il être capable de la nommer, quand bien même cela ne suffirait pas à la révéler à toi. »

La belle Pulinn, quand la grise finit, ne libéra pas la main d’Avalyn de la sienne, et prit à son tour la parole, sa voix mélodieuse modulant le silence et jouant avec lui. Elle commença, et sa voix agissant comme un instrument, envoûtant les mortels, déclara qu’il y avait de grandes différences entre la nomination d’une personne et la nomination d’une chose, et lui demanda s’il s’agissait d’une personne que la Sindel cherchait si mystérieusement.

Mais, elle y répondit elle-même, elle lui répondit qu’elle ne pensait pas qu’il s’agisse de cela, et que pour la trouver, il fallait que qu’elle la nomme, combien même cela ne suffisait à le révéler à elle. La grise la regardait, comme si sa vie en dépendait, comme si tout son univers se résumait à l’hiniönne en face d’elle.

- « J’en suis capable…j’en suis capable. Je peux le nommer. Oui Pulinn, je le peux. » murmura-t-elle, de façon à ce que seule Pulinn l’entende.

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Enfin, Pulinn lâcha la main de la sindel, sans pour autant la quitter des yeux. Un sourire était revenu, insistant, sur les lèvres délicates de la maîtresse des lieux. Subtile, elle inclina légèrement la tête devant l’effort fourni, puis, compréhensive, parla :

« Alors c’est un bon premier pas. Vous êtes la bienvenue ici, aussi longtemps que vous le souhaitez. Et si d’aventure vous souhaitiez me dire ce que vous cherchez, vous trouverez en moi une oreille attentive, et une aide pour l’atteindre. »

Elle salua, mais ne partit pas de suite. Comme si… elle laissait une dernière chance à Avalyn d’exprimer le sujet de son désir, en toute impunité.

Pulinn lâcha la main de la grise, et si entre elles une espèce de lien s’était formé au simple contact de l’hiniönne, qui les connectaient toutes deux, comme si Avalyn était en quelque sorte indéniablement rattachée à la blanche désormais, le lien perdurait encore, et se faisait sentir entre les deux elfes. Leurs yeux s’étaient trouvés encore, depuis le début de la conversation ils ne faisaient qu’analyser ceux de l’autre, y plonger, et comme un prolongement de leurs corps respectifs leurs mains s’étaient enfin mêlées, éveillant quelque chose dans l’âme de la grise, et la Sindel savait, que désormais elle se trouvait dans un lieu qui comme pour d’autres était le sien. Qu’elle faisait partie d’eux, d’autres personnes inconnues mais dont son âme faisait partie inconsciemment. Comme ils faisaient partie de son âme désormais. Car elle le sentait, et cette sensation de mysticisme lui fit entrapercevoir un recoin d’elle-même, qui la poussa à accepter ce lien comme s’il avait toujours fait partie d’elle, ce qu’elle fit.

Pulinn, la Gardienne, l’avait reconnue, établissant ce lien presque mystique entre les deux elfes et d’autres. Un sourire apparut sur les lèvres charnues de la blanche, lèvres d’où en découlèrent de si sublimes mots, des mots précieux, des mots qui valaient tout l’or du monde. L’hiniönne reconnut que ce fut un premier pas de fait pour celle en face d’elle, et lui dit qu’elle était la bienvenue ici, aussi longtemps que la grise le souhaitait, ainsi que si d’aventure un jour elle voulait lui faire part de ce qu’elle cherchait, l’elfe trouverait en elle une oreille attentive et une aide pour trouver ce qu’elle voulait. Elle la salua, mais ne partit pas de suite, ce qui fit que l’elfe comprit. Ce n’était qu’une façon polie de lui dire qu’elle saurait attendre, mais que si elle souhaitait lui en faire part de suite, elle le pouvait.

Se tournant vers Iloran, qui avait assisté à la scène entre les deux elfes avec étonnement, elle inclina la tête, signe de respect envers lui, avant de lui murmurer :

- « Mon ami… Laissez-nous s’il vous plaît. »

Le jeune homme, totalement déconcerté, s’inclina devant Pulinn, et partit sans un mot, encore surpris.

- « Pulinn… Je n’ai jamais éprouvé quoique ce soit. Je suis apathique, et la seule fois où j’en ai ressenti m’a paru si belle, ce moment où j’ai pu ressentir ma souffrance et mon désespoir, bien que douloureux, était magnifique. Je cherche un moyen, de ressentir ceci à nouveau, de ressentir le plaisir. »

Reprenant la main de la blanche, le lien entre elles et d’autres coulant dans ses veines désormais, pulsait dorénavant dans sa poitrine, devint encore plus fort à son contact, elle la regarda, avant de laisser ces mots s’écouler :

- « En entrant dans ce Temple, je recherchais, au sens littéral, le Plaisir. »

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Les yeux perçant de la magnifique elfe s’illuminèrent lorsqu’elle éloigna son compagnon de fortune pour finalement lui révéler son visiblement lourd secret. Son sourire déjà présent se renforça encore davantage alors qu’elle saisissait les tenants et aboutissants de la présence de la sindel en ces lieux. Lorsqu’elle répondit, ce fut en un murmure qui n’était adressé qu’à Avalyn, alors que ses lèvres d’or se rapprochaient des oreilles pointues de la grise, et que leurs corps se frôlaient presque dans l’intimité de cet aparté.

« Pour ressentir du plaisir, il faut savoir ce qu’est ressentir tout court. L’apathie est un mal cruel qu’aucun être ne devrait être amené à subir. Et pour ressentir des choses vives, il faut vivre dangereusement. Que dirais-tu, demoiselle, que je t’aide à te mettre en difficulté, afin que la peur, l’excitation, le stress puissent, peut-être, naître en toi ? Et à l’issue de ça, ressentir satisfaction et, qui sait, plaisir. »

Sans attendre de réponse, elle poursuivit, exhalant un souffle délicat sur l’oreille d’Avalyn.

« Tu as sans doute remarqué ces magnifiques aurores boréales, ces nuits-ci. Elles inondent le ciel nocturne de milliers de couleurs. Outre leur attrait esthétique, toutefois, elles inquiètent bien du monde. Dernièrement, le Roi de Kendra Kâr a lancé un appel aux aventuriers de tous bords. Il ne fait aucun doute que c’est sans doute lié. Et je devine là une aventure qui pourrait, je crois, contenir tout ce qui pourrait te manquer, Avalyn. Daigneras-tu te présenter à ce souverain, dans le but égoïste, mais caché, de vivre des choses vives, tout en l’aidant à faire la lumière sur ce qu’il demandera ? »

Elle écarta son visage, recula d’un pas, et laissa ses doigts passer doucement sur la pommette de la jeune elfe.

« Alors, tu pourras revenir me raconter ce que tu auras ressenti. »

L’intérêt qu’elle avait pour toute cette histoire semblait profond et réel.

Le sourire qui illuminait le visage de la Gardienne ne fit que se renforcer quand la grise finit de parler, et la blanche, féline, s’approcha doucement de la Sindel, leurs corps se frôlant presque, toutes deux dans un mouvement lascif s’étaient rapprochées l’une de l’autre. Les lèvres de l’hiniönne s’approchaient des oreilles pointues d’Avalyn, et son souffle chaud inonda sa nuque et ses oreilles, sensation tranchant avec la température des lieux, qui soudainement parut très froide à l’elfe.

Tout, en Pulinn, n’était qu’arme. Son corps, ses mots, sa démarche, ses manières, sa voix. Avalyn reconnut que si sur bien des points elle était son égale, sur d’autres elle lui était supérieure. Elles se ressemblaient. Elles étaient toutes deux des armes, dont elles savaient se servir. Et tout cela les rendait dangereuses.

L’odeur de rose qui émanait de la blanche vint caresser son nez, la peau brûlante de la blanche caressait celle de la grise par moments et fugace, se retirait aussitôt. La main de la Sindel se posa sur une de celles de Pulinn, la tenant comme si sa vie en dépendait. Et la voix de l’hiniönne caressa à son tour les oreilles d’Avalyn, tout chez elle n’était que caresses. Elle ne touchait pas, elle caressait.

Pour ressentir du plaisir, selon la blanche, il fallait déjà savoir ce qu’était ressentir. Elle poursuivit en murmurant que l’apathie était un mal cruel qu’aucun ne devrait avoir à subir, et que pour ressentir des choses vives, il fallait vivre dangereusement. L’hiniönne avait une proposition à faire à la grise, et lui demanda si elle voulait qu’elle l’aide à se mettre en difficulté afin que des sentiments naissent en elle, et qu’à la fin de cette quête elle puisse peut-être prendre du plaisir.

Pulinn continua, son souffle caressant encore la peau de l’elfe. Elle lui parla des aurores boréales, qui dernièrement avaient inquiété bien du monde, et lui apprit que le Roi Solennel avait lancé un appel à tous les aventuriers, et lui fit part de ses hypothèses, pensant que cet appel et les aurores étaient liés. Elle devinait ici une aventure intéressante, et posa la question à la Sindel, daignerait-elle se présenter dans le but égoïste de vivre des choses vives tout en l’aidant ?

La blanche s’écarta lentement, et passa ses doigts doucement sur la pommette de la grise, pour conclure, qu’elle pourrait alors revenir lui raconter ce qu’il se serait passé. En réponse à la véritable caresse de la Gardienne, Avalyn passa ses doigts doucement sur la joue de Pulinn, tout aussi doucement que pour ce que l’hiniönne lui avait donné, et replongeant son regard dans le sien, lui répondit.

- « Est-ce là un défi que tu me lances, Pulinn ? Si c’est bien un défi, j’y réponds. Je suis égoïste, et j’aurai tout le temps pour le regretter. Mais, si je peux allier l’utile à l’agréable, aider les autres et trouver ce qu’il me manque, je le ferai. » murmura l’elfe.

Elle enleva ses doigts de la joue de la Gardienne, et posant sa main sur celle de la blanche, souffla à l’oreille de Pulinn :

- « Je le ferai. »

Une dernière fois, la belle Pulinn répondit à Avalyn de sa voix enchanteresse.

« Non, ce n’est pas un défi. C’est une proposition. Sens-toi libre d’agir à ta guise, mais surtout, quoique tu fasses, reviens-moi ensuite. »

Et sans plus un mot, elle tourna les talons, laissant une dernière fois glisser ses doigts fins contre la paume d’Avalyn, avant de s’éloigner dans le temple et, doucement, disparaître au détour d’un pilier…

Les derniers mots qui sortirent de la bouche de la si belle Pulinn furent qu’il ne s’agissait pas d’un défi, mais d’une proposition, que la grise devait se sentir libre d’agir à sa guise et que quoiqu’elle fasse, elle devait lui revenir.

Ces mots furent ceux dont la Sindel s’imprégna, la dernière mélodie de Pulinn, et ils lui furent doux. L’elfe se doutait que la blanche savait qu’elle lui reviendrait, maintenant que ce lien s’était établi entre elles. Avant, il n’avait fait qu’exister, la guidant à la Gardienne. Maintenant, il vivait en elles, lors du contact entre les deux elfes il était né, il avait été mis à jour, et elle pouvait sentir en son âme celles de Pulinn et d’autres.

Laissant ses doigts fins glisser dans la paume devenue chaude d’Avalyn, Pulinn s’éloigna dans le Temple et disparut au détour d’un pilier, s’étant comme envolée. La blanche était décidément insaisissable, et adressant un dernier sourire confiant à la Gardienne, la grise décida de sortir de l’alcôve, se dirigeant vers Iloran, qui attendait patiemment l’elfe.

- « Ma dame, un peu plus et vous me faisiez attendre ! » la railla Iloran.

- « Désolée, mon ami. J’étais en pleine conversation avec Pulinn. » s’excusa l’elfe.

- « Que s’est-il passé ? » demanda-t-il, curieux.

- « Il n’y a rien à vous raconter mon ami, qui puisse vous intéresser croyez-moi… » mentit-elle, afin d’éviter les questions.

Avalyn savait qu’Iloran n’était pas dupe, une entrevue avec la Gardienne du Temple n’était pas sûrement pas pour échanger quelques banalités, mais comprenant que cela ne le concernait pas il présenta sa main à la Sindel afin qu’ils puissent sortir du Temple, et repartir dans les rues colorées de Kendra Kâr.

Alors que les murmures de la maison restaient indéchiffrables, la fille de la Matriarche se montrait de plus en plus méfiante envers l'étrangère. Irina sentait sa position devenir plus délicate chaque seconde. Le plan de la Shaakte n'avait que peu séduit l'elfe d'Izurith, menaçant Irina de se montrer plus utile sous peine d'un châtiment soupçonné sombre. Et la situation déjà épineuse dans laquelle avait atterrie la malheureuse elfe noire n'allait pas s'arranger.

À peine eut elle le temps d'ouvrir la bouche pour se justifier, Irina se fit interrompre par la Shaakte aux yeux dorés, prévenant l'arrivée de deux antagonistes. La porte s'ouvrit, laissant s'échapper une jeune Shaakte à la peau étonnamment pale, vêtue d'une combinaison moulante soulignant ses courbes généreuses et sa poitrine, et l'elfe recherché, le fameux Heckell. Irina ne put ne serait-ce qu'adresser un mot à sa partenaire que l'inconnue dégaina une dague, prête à pourfendre. Les deux elfes noires s'échangèrent quelques mots, cherchant rapidement en qui placer leur confiance. Et en quelques instants, la position d'Irina passa d'une étrangère soupçonnée à l'ennemie à abattre urgemment. Et le mal-être de la Shaakte jusque là présent bascula violemment à l'effroi, voyant une volonté sans faille de tuer dans les yeux des deux hybrides. Toutes les impressions qu'avaient ressenties Irina d'avoir fait le mauvais choix de partir de son paradis kendran se concrétisait à cet instant précis. Pourquoi être partie ? Pourquoi avoir abandonné ses beaux appartements ? Sa soif de pouvoir et de puissance dans un univers où tout être serait à ses pieds causerait sa perte ? Allait il mourir comme une pauvresse au milieu des badauds ?

Et un instant, la lame effilée de Kraël sortit de son fourreau et trancha la délicate gorge sombre d'Irina. Les remords se multipliaient en elle tandis que des gerbes de sang s'échappaient de son cou. La rage emplît son esprit, cherchant à lutter contre son trépas inéluctable. Irina s'était jusque là battu pour avoir ce qu'elle désirait, contre les matriarches noires, contre le système de Caix Imoros, contre des âmes récalcitrantes à être asservies. Cette mort était beaucoup trop humiliante pour une personne comme elle. Mais malgré sa lutte sans espoir de victoire, ses paupières se fermèrent contre sa volonté.

*

Bien que les ténèbres n'aient jamais effrayé la fanatique, Irina ne souhaitait pas les rejoindre si tôt. Si rencontrer Phaïtos et Thimoros soit un privilège pour elle, la Shaakte préférait que cette rencontre se fasse en d'autres circonstances que celle de sa mort. Et bien qu'Irina ne voyait pas la mort comme une fin, elle la voyait ici comme un fort frein à ses aspirations.
C'est donc avec frustration que la Shaakte accueillait la mort. Tandis qu'Irina tentait de chasser l'image des yeux meurtriers de Kraël et de la haine qu'ils créèrent en elle, l'elfe noire se remémora les instants passés avec sa maîtresse, Edonia Islavan. La prêtresse de Phaïtos avait vu en la jeune créature un potentiel énorme et l'avait prise sous son aile, faisant de la disciple de Valshabarath une des suivantes de l'adoratrice du dieu des morts. Irina avait tout abandonnée pour suivre les pas de la prêtresse, qui prenait soin d'enseigner tous ses savoirs à son apprentie. Le premier précepte que lui enseigna Edonia Islavan fut l'un des plus édifiants pour la belle créature ténébreuse. Une phrase pourtant simple mais qui avait convaincu la fanatique de rejoindre sa future maîtresse à penser. La Shaakte se souvient encore du toucher des doigts fins lui attrapant délicatement le menton, le souffle doux et chaud dans son oreille, le son vibrant de sa voix. Les mots avaient résonné en elle comme une évidence et avaient sceller son destin.

" Celui qui a goûté une fois à l'ivresse de la domination ne peut plus s'en passer."

Cette phrase qui pouvait paraître comme un avertissement, Irina vit en ce précepte une terre promise. Mais la Shaakte, aliénée par sa quête de puissance, ne comprit que trop tard la mise en garde de ce message, ce qui causa sa perte. Néanmoins, Irina ne regrettait pas d'avoir choisi la voie que lui traçait Edonia, seulement le choix d'avoir voulu voir ailleurs ce qu'elle avait près d'elle. Le Temple... Les nuits d'ivresse... Pulinn...

Une voix rauque sortit Irina de sa rêverie. Ses paupières s'ouvrirent violemment, comme par surprise de pouvoir le faire de nouveau. La Shaakte découvrit alors une grotte mystérieuse, où une étrange lumière bleutée éclairait les lieux. Et si un regard curieux aurait pu s'attarder des heures sur les sculptures ornant les murs de la caverne, les yeux d'Irina quant à eux étaient braqués sur l'être mystérieux qui lui faisait face. Le corps dessinait une silhouette féminine, aux habits sobres et sombres, surmontée d'un étrange casque camouflant le visage, orné d'une paire de cornes. L'élégante humanoïde évoqua le plan d'infiltration au sein du Clan des elfes à la fin tragique qu'elle ne connaissait que trop bien. En plus de mentionner l'épisode pathétique, la femelle remua le couteau dans la plaie en ricanant de cette tentative ratée. Mais cet échec la ravit, expliquant que ce monde courait à sa perte et que la présence de la Shaakte n'aurait qu'aggraver sa chute.
Mais qui était donc cette personne ? Un serviteur de Phaïtos ? Le comité d'accueil des Enfers ?
Avant même de pouvoir demander quoi que ce soit, la créature reprit en stipulant qu'Irina ne pouvait rester ici, qu'elle devait saluer Yuimen de sa part et prévenir de son arrivée.
Et avant que toute incompréhension ne soit dissipée, un claquement de doigts retentit dans la caverne et les ténèbres revinrent.

*

La pénombre était de nouveau là. Mais la frustration était dissipée, seul l'apaisement était présent. Le corps d'Irina lui semblait être dans la soie la plus douce, et une douce chaleur l'englobait. Aucune douleur ni aucun tourment n'avait d'emprise sur elle, l'harmonie la plus totale. Irina se recroquevilla sur elle même, comme un fœtus dans le ventre maternel, afin de profiter un maximum de cette béatitude. Et des ténèbres emprisonnant ses yeux, un trait de lumière trancha la pénombre et se posa sur ses paupières. Par simple réflexe, Irina plissa ses yeux avant des les entre ouvrir. À travers ses paupières à demi closes, des formes familières du décor aux couleurs pourpres l'intriguèrent. Ses yeux s'ouvrirent immédiatement, redécouvrant avec stupéfaction sa chambre au Temple des Plaisirs.

( Un rêve ? Ou plutôt un cauchemar ? )

Oscillant entre le soulagement et le soupçon, Irina sortit vivement de ses draps pourpres, s'y emmêlaient et chutant sur le sol poitrine devant. Mais le bruit percutant de son plastron sur le parquet l'étonna plus que l'absence de la douleur due à cette chute. Se relevant lentement, la Shaakte peut alors conscience que les armes, protections et vêtements d'Izurith étaient encore en sa possession. Prise d'une vive émotion de frayeur, Irina se précipita vers sa coiffeuse. Dans le reflet du miroir, Irina retrouva bien celle qu'elle était quelques instants plus tôt, avec une nette différence. Alors que de considérables traces de sang frais trônaient sur son plastron et sa peau, sa gorge était intacte, pas égratignure ni coupure. Comme pour s'assurer de la véracité du reflet, l'elfe passa sa main sur sa peau un plus tôt entaillée. Et ce n'est que la douceur de sa peau de velours et la viscosité du sang frais que rencontrèrent la naissance de ses doigts. Les questions s'entrechoquaient dans sa tête, et nombreuses étaient celles qui resteraient sans doute sans réponses.
Il lui fallait à ce moment précis une aide précieuse pour la calmer, la rassurer et qui pourra, sans nul doute, éclaircir la vérité.

" Pulinn ! "

Irina se dirigea vers sa porte pour quérir la belle Hinionne. La Shaakte ouvrit la porte, laissant une trace de son sang frais sur la porte déjà rouge, et appela à nouveau sa belle.

" Pulinn ! "

Irina ne trouva pas Pulinn dans le Couloir des Amants. Elle dût avancer jusqu’à la Grande Salle du Temple, aux multiples alcôves, d’où l’une d’elle sortit une voix familière et douce. La belle Pulinn était là, gracile et élégante. Elle s’approcha de l’elfe noir d’un pas félin et altier, au déhanché prononcé, et prit la main de la noire dans la sienne, et Irina put sentir un doux bien être émaner de ce toucher. La voix de la blanche résonna alors, douce et mielleuse, quoique troublée et curieuse.

« Irina. Il est bon de te revoir ici. Je ne t'attendais pas si tôt. Quels sont ces étranges habits ? Et quelles nouvelles de ce campement étrange au Sud de Bouhen ? »

Elle attendait son compte rendu, professionnelle avant tout.

Sans réponse des couloirs du Temple, Irina se dirigea tout aussi hébétée vers la Grande Salle, la où elle avait quitté sa précieuse Hinionne quelques jours plus tôt. Presque titubante, la Shaakte chercha parmi les nombreuses alcôves de la pièce Pulinn, jusqu'à trouver la belle créature. Aussi immaculée que dans ses souvenirs, l'elfe féline s'approcha avec grâce et charme, qu'elle savait savamment user. La douce Pulinn prit la main de la Shaakte entre ses doigts experts, dissipant progressivement le mal qui avait pris en otage l'esprit de l'elfe noire. Irina sentait tout son corps cesser de frissonner et la sensation douce d'harmonie que lui avait prodiguée ses draps de soir un peu plus tôt s'installa de nouveau dans les membres de la créature sombre.
Les lèvres de la douce Pulinn s'entrouvrirent pour exprimer, de sa vibrante et tendre voix tintée de troubles inhabituels, sa curiosité au sujet du voyage de la Shaakte.
À son étonnement, Irina ressentit ses retrouvailles avec l'Hinionne comme un énorme soulagement. La position de la Shaakte a été délicate dès lors qu'elle franchit le seuil du Temple et enfin, elle se sentait de nouveau en sécurité. En d'autres occasions, Irina n'aurait eu que dégoût pour elle même d'être aussi faible pour être aussi attachée à quelqu'un mais bien au contraire, l'elfe noire enlaça la blanche, au risque de tâcher le tissu immaculé par son sang. Et nerveusement, Irina échappa un léger rire dans le creux de l'oreille de Pulinn

" Ma belle Pulinn, tu aurais pu me laisser me brosser mes cheveux tranquillement le jour où tu me proposa ce voyage. J'ai en effet rencontré des aventuriers, comme tu me l'avais promis, mais certains bien moins vaillants que d'autres, de la pègre sans importance. Mais il y a surtout des rencontres dont je me serais volontiers passées."

Irina marqua une courte pause, comme pour se rappeler de souvenirs incertains.

" A ce propos, ma route a croisé celle d'un étrange personnage. Une femme, toute vêtue de noire, portant masque et des cornes. Je pense que c'est elle qui m'a renvoyé ici. Elle voulait que je prévienne Yuimen de son arrivée... "

Adepte du contact, la belle blanche se laissa enlacer par la noire, posant délicatement ses mains soyeuses sur la chute de rein de la shaakt et sur ses omoplates, dans un contact aussi rassurant qu’agréable. Sans rompre l’étreinte, se lovant même plus confortablement contre les formes d’Irina, elle répondit, toujours curieuse.

« Une femme cornue qui aurait eu le pouvoir de te renvoyer ici ? »

Elle semblait circonspecte. Elle rompit enfin le contact et, la prenant par la main, l’invita à la suivre jusqu’à une banquette garnie de confortable coussins, à la vue de tous, où elle lui pria de s’installer avant de s’y asseoir à son tour, plongeant son regard laiteux dans celui, rubis, de l’elfe noire.

« Raconte-moi tout, sans oublier de détails. Tu n’as pas vu Duncan, j’imagine, l’humain que j’avais envoyé là-bas. Il m’est revenu bredouille, évoquant un monde extérieur technologiquement plus avancé que le nôtre… Mais tout semblait confus, et il n’y a guère mis les pieds. Que peux-tu me dire de ce monde ? Qu’as-tu vécu là-bas ? Qui est cette femme qui prétend devoir prévenir sa venue sur Yuimen ? »

Plus que curieuse, elle semblait fondamentalement intéressée par la question. Inquiétée, peut-être, par le fond de tes révélations.