Missen émergea brusquement du bref assoupissement qui l'avait pris en traître, alerté par la soudaine sensation que quelque chose manquait.
(Hmm, pas quelque chose. Quelqu'un.) La belle Pulinn, avec qui il avait partagé un moment hors du temps des plus agréables, s'était en effet volatilisée, le laissant seul, dans le plus simple appareil, faire la sieste dans cette même alcôve qui avait accueillie leurs ébats.
Missen se gratta le menton, perplexe ; d'ordinaire, il n'était pas de ces lourdauds qui, sitôt leur part du labeur charnel achevée, s'allongeaient à côté de leur bourgeoise en grognant et s'endormaient aussitôt. A fortiori quand il partageait la couche de créatures aussi superbes que Pulinn... Se pourrait-il qu'elle lui ai jeté un sort, pour pouvoir s'éclipser en douce sans être inquiétée ?
Cette hypothèse présentait au moins l'avantage de préserver son honneur, aussi Missen l'adopta bien vite.
L'étape du réveil passé, il entreprit de se rabiller en songeant au maelström charnel qu'il venait de traverser. Cette partie de jambes en l'air avait été d'une intensité rare. Une chose était certaine : la grande prétresse du Temple des Plaisirs était une femme surprenante... à bien des égards.
Comme pour approuver ses pensées, le dos de Missen se mit à le brûler lorsqu'il enfila sa chemise. Etouffant un petit cri de surprise mêlée de douleur, il se passa la main dans le dos pour y découvrir de longues estafilades irrégulières.
(Elle m'a griffée !) réalisa le nobliau.
Leur étreinte avait été si fougueuse qu'il ne l'avait guère senti, sur le moment. Mais ce moment était passé... Les plaies n'étaient pas assez profondes pour être vraiment qualifiées de blessures ; tout au plus suppuraient-elle quelques filets de sang et un peu de lymphe. Ce qui n'enlevait rien au fait qu'elle brûlaient horriblement. Aussi Missen retira-t-il prestement sa chemise, puis il se servit d'un oreiller qui trainait pour éponger les plaies jusqu'à ce que ses fluides sanguins cessent de s'écouler par icelles. Rejetant le polochon sans même un brin de considération pour l'objet, ni pour les serviteurs chargés plus tard de le nettoyer, il finit de se rhabiller bien vite et rassembla ses effets pour quitter l'alcôve.
En ramassant sa bourse, elle lui parut substantiellement plus replète ; d'abord interloqué, Missen supposa bien vite que Pulinn y avait glissée quelque menue somme d'argent afin de l'aider dans sa mission. En l'entrouvrant, il y trouva également une petite rune gravée sur une pierre. Considérant qu'il était de trop bonne humeur pour s'inquiéter de ce mystère, il décida de remettre l'examen de cette rune à plus tard. Il referma donc la bourse, avant de la fixer à sa taille.
(Voilà une charmante attention, qui compenserait presque son départ cavalier. Presque.) songea le poète alors qu'il quittait l'alcôve d'un pas guilleret.
Missen avait l'impression de flotter au dessus du sol tant il était euphorique ; libérés dans un court laps de temps, l'adrénaline et l'ocytocine formaient un cocktail détonnant qui n'avait par certains égards rien à envier à la prise de drogues chères au cœur de certains membres de la noblesse kendrane. Le ressentiment lié à la subite disparition de Pulinn entachait à peine sa bonne humeur et son sentiment d'autosatifaction. Aujourd'hui, il avait fait l'amour avec deux femmes absolument superbes, gagné la confiance d'un culte visiblement très influent, résolu la plupart des soucis qu'il traînait depuis sa fugue du monastère et gagné son billet pour un voyage qui promettait d'être passionnant. Que demander de plus ?
Un cheval, peut-être.
Et justement, il arrivait aux portes du Temple. Un valet, vêtu de la livrée rouge caractéristique, l'y attendait. Il avait manifestement eu connaissance de sa description, car il ne lui demanda pas de décliner son identité, se bornant à lui ouvrir la porte et à le guider jusqu'aux écuries, petit bâtiment adjacent à la bâtisse de pierre blanche.
Là bas, enfin, il prit la parole :
-Messire, en accord avec les souhaits de notre maîtresse, le destrier suivant va connaître l'honneur de vous être confié.
Les manières ampoulées du petit homme basané amusèrent Missen, mais il ne le laissa pas paraître, se contentant de hocher la tête d'une façon fort digne.
Le valet claqua des mains, et un palefrenier surgit d'un box, tenant par la longe un cheval à l'allure si fière que notre héros oublia instantanément tous ses griefs envers Pulinn.
(Je ne peux décemment pas lui en vouloir après ça...) pensa Missen tandis qu'il observait l'animal qui lui était présenté.
En fait de cheval, l'animal était un destrier puissant et racé aux attaches fines, davantage taillé pour la course que pour la guerre. Sa robe, d'un palomino cuivré, jouait fort agréablement avec la lumière chiche de l'écurie, ce qui contrastait de façon intéressante avec la noirceur de sa crinière ainsi que de l'extrémité de ses pattes. Il piaffait nerveusement, sa tête marquée d'une traînée blanche s'agitant d'avant en arrière. L'animal faisait bien un mètre soixante dix au garrot et respirait la noblesse ; il plut instantanément au nobliau.
Celui-ci approcha la bête, lui murmurant quelque poème elfique qu'il avait appris durant son enfance. Celui-ci cessa de renâcler et dressa les oreilles, écoutant avec attention. Missen en profita pour caresser son chanfrein avec douceur. L'animal se laissa faire.
Notre héros s'adressa alors au valet.
-Quel est son nom ? - Il n'en porte pas encore, messire. Il est très jeune, et sort à peine de dressage. Je suppose qu'il vous revient de le nommer. Missen se mit alors à réfléchir à un nom qui conviendrait à un animal de cette qualité. Un nom empreint de grandeur, un nom qui imposerait le respect.
Sans trop savoir pourquoi, il se rappela son professeur d'elfique, un vieux monsieur bougon qui, à l'époque, avait toujours fortement impressionné le jeune garçon qu'il était alors, par sa noblesse d'âme apparente et par ses longues phrases sentencieuses.
C'était peut-être la seule raison pour laquelle il parlait encore quelques mots d'elfique...
Son prénom surgit dans son esprit : Oblat.
Missen prit alors une décision. Flattant l'encolure du cheval, il déclara d'une voix forte :
-Tu seras Oblat. Le cheval le regarda, impavide ; au moins ne manifestât-il aucune émotion négative quant à ce choix.
Le valet approuva avec emphase.
-Un fort beau nom, messire. Souhaitez-vous que nous le sellions et l'équipions pour le voyage ? Missen opina du chef.
-Cela ne devrait prendre que quelques minutes. Je vous invite à patienter.
Il opina à nouveau, l'esprit déjà ailleurs...