Ahhh... depuis combien de temps ai-je jamais aussi bien dormi ? Je suis sur un vrai lit de riche, non pas le haut d'un clocher, ou le sol boueux d'Exech, non... des draps, un oreiller, une petite table de chevet, un matelas, je n'ai jamais, de toute ma vie, dormi sur une couche digne de ce nom, et pour une fois dans mon existence, je peste à l'idée de me lever. A côté de moi, une coupe de fruits exotiques, plaisir gourmand réservé au nobles, plus loin, des tranches de jambon et un pain frais, différent en tous points du pain rassis qui constituait avant ma seule et unique nourriture. Je lève le bras en direction de la coupelle, et je m'aperçois que mon membre est lourd, très lourd. C'est avec peine que je saisis la friandise, et encore avec peine que je la retiens entre mes doigts, mais il n'était pas question de la laisser tomber, pas question de laisser par terre une telle saveur, qui fait frémir tout mon corps alors que je le porte à mes lèvres.
En quelques secondes, j'ai englouti tous les morceaux de fruits de la coup, et deux autres secondes plus tard, celle-ci vient d'être est asséchée de tout son jus. Je n'ai pas savouré, trop habitué aux horreurs pourries que la misère m'a fait avaler. Puis l'assiette de jambon prend place sur mes draps, et je dévore tout sans couverts, la faim d'un voleur n'est jamais rassasiée, je couple ma viande avec le pain, et tout est dévoré en à peine quelques minutes. Grâce à la nourriture, je me sens mieux, mieux que jamais aujourd'hui. Avec l'énergie que m'a conféré ce festin, je tente de sortir du lit, mais mes pieds s'arrêtent net quand je vois le récipient couvert de liquide rouge, le même qui forme les rares taches sur mes draps blancs. J'ai donc tant saigné, ça explique ma fatigue encore présente. Je me lève du lit et reprends pied sur terre, mais mes jambes tremblent, je manque de m'écrouler quand je me rattrape sur un meuble de bois rayonnant, bien que la pièce soit sombre, seulement éclairée par un maigre chandelier. Je tente de marcher, j'y arrive non sans mal et je me dirige lentement, en titubant, vers la porte du même bois que la commode. En poussant la porte, c'est a même salle dans laquelle je m'étais évanoui qui se montre à moi, mais cette fois, j'arrive à marcher sans trébucher.
J'aperçois le même ingrat habillé de vert qui cette fois heureusement, m'ignore, discutant avec ses congénères. Surpris, le serviteur en rouge se retourne et m'accueille avec le sourire.
"Enfin ! Vous vous êtes réveillé ! Je suis heureux de constater que vous pouvez marcher, votre état d'hier ne présageait rien de bon."
Je le reconnais, c'est lui qui m'a allongé dans cette chambre, je lui dois ma gratitude, mais j'ai la tête en vrille, et ma première question est :
"Où suis-je ?"
Le serviteur reprend son regard surpris, et élève sa voix pour dire :
"Bienvenue dans le Temple des Plaisirs ! Vous êtes dans l'endroit le plus sain et le plus bénéfique de la Cité Blanche ! Ici, la nourriture est excellente, les femmes sont divines, et le bonheur n'est plus un luxe !"
Le Temple des Plaisirs ? Je n'en ai jamais entendu parler, et au lieu de m'extasier devant le discours de l'homme en robe rouge, je réponds par une autre question :
"Où est Dhaos ? L'elfe gris qui m'accompagnait ?"
"Oh, excusez-moi, votre ami se repose dans la chambre voisine de la vôtre, il ne s'est pas encore réveillé."
Sans attendre, je me dirige ers la chambre et entrouvre la porte. Je vois par la maigre ouverture, l'elfe qui dort à poings fermés sur un lit semblable au mien. Je referme la porte, j'ai l'intuition qu'il est entre de bonnes mains. Je reviens vers le serviteur mais mon pied glisse. Tout mon corps s'abat sur mon genou, je suis encore mal en point. L'autre homme réagit au tournant en me soulevant par le bras, pour m'aider à me relever.
"Ah ! Monsieur ! Vous devriez retourner vous coucher, vous n'avez pas l'air en forme."
Je n'ai d'autre choix que de suivre son conseil, et il m'aide à rejoindre mon lit sans lequel je replonge avec plaisir, retombant dans l'abîme profonde du sommeil....
"Douleur, j'ai une flèche d'acier plantée dans mon épaule, je tombe à genoux. Devant moi, une forte silhouette enveloppée dans une cape verdâtre, qui s'écroule, son corps s'amasse sur un coffre rempli de reflets dorés. Plus loin, dans la brume, des yeux rouges au milieu d'un visage sombre. A peine ai-je posé mes yeux sur lui que je hais ce visage. Un homme en armure à côté de lui est en train de bander un arc solide, en direction de la silhouette blessée, puis il décoche sa flèche en plein cœur de l'inconnu. Celui-ci est soufflé par la violence du coup et se retourne vers moi, l'œil vitreux. Peu à peu, je reconnais son visage....."
"Giran'mak !"
Silence, fin de la souffrance, je suis dans le lit aux draps de soie et à l'oreiller de satin, le haut du corps relevé, formant un angle droit avec les jambes. J'ai les yeux explosés et le visage en sueur, un mauvais rêve, un fantôme d'un passé bien trop proche. Je pose ma main sur mon épaule, rien, plus de flèche mais la douleur est bien là, vivante et meurtrière...
Ça fait trois jours et trois nuits que je dors comme cela, ce rêve est celui de trop, je me relève moins péniblement que la première fois et sors de la chambre, épuisé, le corps tremblant et les veines apparentes sur le dos de ma main aussi bien qu'en dessous la peau de mon cou. Je me retrouve dans la salle principale.
_________________ "L'apocalypse a un nom pour mes nerfs : Windows." Jubaïr, fils de personne.
|