L’homme et le loup débarquèrent dans les bains des nobles en trombe, sur le pied de guerre.
Il n’y avait aucune comparaison possible avec le bain des pauvres. Le sol était carrelé et coloré à souhait. À travers un épais manteau de brume du à la chaleur, on apercevait pots de fleurs, encensoirs et autres artifices inutiles quand on se lave. L’eau était tout simplement transparente tant elle était propre. Les dernières personnes qui n’étaient pas sorties des bains le firent, paniquées. Le sol était glissant en raison de toute l’eau déplacée et les deux compagnons furent négligemment bousculés à plusieurs reprises. Quand ils purent enfin voir correctement le bassin, ils découvrirent trois silhouettes sombres qui pataugeaient dans le bain. Une d’elles sortit de l’eau et s’apprêta à replonger quand elle aperçu Svalnir et se stoppa. Ce dernier profita de l’occasion pour mieux considérer le monstre.
Manifestement de petite taille, la créature était recouverte de plumes de diverses couleurs et de diverses longueurs. Il avait une tête énorme, proportionnellement à son corps. On aurait dit que sa peau flottait, et qu’elle était rapiécée par endroit. Deux yeux énormes et exorbités fixaient Svalnir, sans ciller. Il eu un frisson. Il avait chassé un ours moins effrayant que cette bestiole, pourtant bien trois fois plus grand.
Björn était moins impressionnable et fonça sur la créature. En réaction, la chose tendit ses deux bras vers le loup et un jet d’eau puissant, provenant du bassin, le frappa de plein fouet et le projeta à quelques mètres.
- Qu’est ce que ...?!
Le loup n’avait rien subit sinon une blessure dans son amour propre (si tant est qu’un animal comme lui en ai) et se releva vite. Mais il laissa le temps à ses agresseurs de prendre la fuite. Celui qui avait attaqué Björn poussa un cri suraigu en leur direction et fila à la vitesse de l’éclair, suivie par ses deux compagnons sortant du bassin. Au passage l’archer pu constater que les deux autres n’étaient pas exactement comme le premier. L’un semblait même avoir une queue ?!
Là, Svalnir était mal. Il s’agissait visiblement de magie et il n’avait aucunement l’habitude d’en rencontrer. Il ne savait guère la combattre ! Björn encore une fois ne s’encombra nullement de ce genre de considération et les suivit le plus rapidement possible. Svalnir reprit ses esprits et prit part à la course. Il glissa mais se rattrapa grâce à un pilier.
- Du nerf quoi ! Allez !
La poursuite les mena à quelques centaines de mètres des bains. Les créatures semblaient très bien connaître les alentours. Au coin d’une rue elles tournèrent dans une petite ruelle dont Svalnir ignorait l’existence. Pourtant, il était déjà passé par là. L’une des choses poussa de nouveau un cri et elles se dispersèrent. Svalnir les perdu de vue… Non ! Il y en avait une qui grimpait à la charpente d’une maison et Björn ne l’avait pas quitté des yeux. Il sauta pour essayer de l’attraper mais elle était agile et rapide ; déjà hors de portée… Elle perdait des plumes, dont quelques unes atterrirent dans les cheveux de Svalnir.
Entêté, le loup sauta sur l’auvent d’un étal puis sur un muret, et bientôt il fut sur le toit en même temps que la créature. Ingénieux ! Pensa Svalnir. Il préparait une flèche mais déjà Björn avait attrapé la patte du monstre. Il criait et émettait des sons qui faisaient presque penser à des sanglots. Svalnir tenta de monter comme l’avait fait le monstre mais il était plus lourd et moins doué. Il avait un peu honte du temps qu’il mit à atteindre le toit. Le loup n’avait pas lâché prise et la créature était recroquevillée sur elle-même, pleurant.
- Qu’est ce que tu es ? Un démon d’eau ? Répond !
Le monstre tourna sa tête vers Svalnir. Encore ses immenses yeux exorbités. Mais ceux-là étaient différents de celui qu’il avait vu tout à l’heure. Ils n’étaient visiblement pas capables de tourner et fixaient droit devant eux. Même s’il était en position de force, l’archer eu un petit mouvement de recul.
- Pitié on le refera plus ! Le dit pas à mon père steuplait ! C'était dit d'une petite voix fluette.
- Hein ? Te moque pas de moi et répond à mes questions ! À ces mots il posa un pied sur le torse du monstre, l’immobilisant. Björn cessa de le mordre et se calme peu à peu. Il l’avait attrapé, c’était l’important, après c’était à Svalnir de s’en charger. Pensait-il sûrement.
- Ça nous met en rogne de voir ces gros porcs prétentieux se laver la graisse tous les jours alors qu’on peut même pas se baigner !
- Tu parles des nobles ?
- Ouais ! Leur bassin est six fois trop grand, ils pourraient partager un peu d’eau avec nous !
- Arrête de me baratiner ! Vous les avez attaqués et c’est pas la première fois à ce que j’ai entendu dire !
Il saisi le monstre par le col, mais sa peau se déchira et resta dans les mains de Svalnir. Le monstre retomba à terre. Révulsé, le jeune Fenris jeta la peau un peu plus loin et trébucha à son tour. Il lança un regard plein d’appréhension vers la créature. Elle avait les deux bras devant la tête, tremblant comme une feuille, comme si elle avait peur qu’on la batte.
- Mais par Fenris, qu’est ce que tu es au juste ?! Il se releva avec prudence et considéra longuement la petite silhouette allongée. À travers ses bras un petit œil l’observait, craintif. Le cœur de Svalnir fit un bond. Un gamin…
- Le dit pas à mon père il va me tuer… Pitié…
La chose se trouvant devant lui était un enfant au visage crasseux et aux mains sales, paré de plumes et de divers morceaux de peaux d’animaux cousus entre eux. À mieux y regarder, la « chair » que Svalnir avait arrachée était en fait un assemblage grossier de peaux de cochons, tendues par des fins bouts de bois. Deux yeux de moutons avaient été cousus. Une queue de vache était attachée au pantalon - invisible tant les plumes qui y étaient collées étaient nombreuses.
- Mais bien sûr… Seul un enfant de la rue peut connaître aussi bien les quartiers pauvres…
Svalnir ne pu s’empêcher de laisser échapper un rire sincère. C’était bien trouvé, et l’entourloupe avait si bien fonctionnée qu’elle avait fait courir des rumeurs de monstres aquatiques ou de lutins diaboliques dans tout Tulorim. Le déguisement résistait apparemment à l’eau, ce qui était d’autant plus étonnant.
- Vous avez donc fait ça pour punir les nobles du luxe dont ils jouissaient ?
- Ils l’ont mérité… Ces porcs ingrats… je les déteste ! L’enfant pleurait à cause de la douleur de la morsure de Björn, et avait du mal à parler correctement .
- Ils ne nous laissent pas nous baigner… Ou dans un bain pourri qu’ils lavent jamais, et ils osent nous faire payer ! C’est qu’un bouillon de sépulture !
- Bouillon de culture on dit petit. Tiens, met-ça sur ta plaie. En écoutant l’enfant Svalnir avait préparé un bandage et l’appliqua sur la plaie. Le gosse continuait à lancer des regards craintifs à Björn, qui était tout à fait insensible à sa peur et se nettoyait la patte. - Mais dit moi comment a fait ton copain pour lancer ce jet d’eau ?
- Tedd a remarqué qu’il savait faire deux trois trucs avec l’eau… C’est avec ça qu’on a eu l’idée de faire peur aux gros du bain… ça les a tellement impressionnés ! Svalnir ne pouvait s’empêcher de le croire. Manifestement le petit montrait des dons pour la magie liée à l’eau, et si ses pouvoirs se manifestaient si tôt il pouvait être réellement prometteur.
- Après, comme mon père est charcutier on a piqué des trucs et on a fait ces costumes… Comme les têtes de cochons me faisaient faire des cauchemardas ont a prit ça pour faire peur et ça a marché. On a mit longtemps pour les faire ! A travers la colère et la douleur perçait une pointe de fierté dans son ton et son regard. La fierté naïve mais sincère d’un enfant, content de montrer ce qu’il a fait.
- T’es pas bète pour ton âge tu sais. Tu devrais mieux te servir de tes dix doigts, et si j’étais ton père j’aurai du te réprimander mais… Svalnir lui adressa un grand sourire. - Franchement bravo, c’est bien joué mon p’tit gars. Tu peux être fier de toi, ça en aurait fait tourner des rumeurs en ville ! L’enfant se releva et rendit son regard à l’archer, fort de ses éloges.
- Mais si tu recommences je viens te botter le cul moi-même, maintenant que je sais ou tu habites, fils de charcutier. Le gosse là, Tedd - c’est ça ? - il habite où ?
Il hésita longuement, avec la peur de celui qui dénonce un ami. - C’est un fils de tanneur… Il est pas loin de la taverne.
- Bon…Je vais sortir un baratin au gérant des bains, comme quoi j’ai chassé le monstre, et qu’en échange de mon haut fait j’exige des bains propres pour les pauvres. Mais en échange vous ne refaites pas ça hein ? Si les « monstres » reviennent, ça n’aura servit à rien.
Le gamin acquiesça mollement.
- Tu me le jures, pour toi et tes copains ? Et je ne dit rien à ton père !
Un grand sourire illumina le visage du garçonnet qui jura. Svalnir lui sourit à son tour et raccompagna le marmot chez lui. Il s’appelait Will. Il lui montra tous les bons coins des quartiers pauvres, les cachettes et les endroits où voler facilement. Il se prit un coup de pied dans l’arrière-train pour cela, mais dans l’ensemble Svalnir était étonné par le nombre de choses que pouvait remarquer un garçon de neuf ans…
Ils se dirent au revoir et Svalnir rigola encore un bon coup avec lui en repensant à quel point il avait eu peur en voyant son déguisement. Mais aussi, en repensant à quel point trois gamins mécontents pouvaient générer la panique dans la grande ville de Tulorim. Pour être sûr qu’il ne recommence pas Svalnir avait gardé le masque de peau, qu’il jeta dans un buisson. Il se mit en quête d’une auberge pour la nuit en se disant que demain, il irait voir le gérant des bains pour tenir sa promesse, mais aussi le maître des mages de la ville pour lui indiquer l’adresse d’un élément prometteur.
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Svalnir et son loup Björn, partis à la découverte du monde...
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