Les gamelles et les mamellesGamelle saucée jusqu’à la dernière goutte, cruchon de vin éclusé, consommation réglée, Beorth se met en route après avoir salué Arkos, sur les talons de son nouveau guide. A ce dernier, il ne fait pas confiance, et c’est en guettant chaque coin de rue, chaque renfoncement dans l’ombre, les toitures alentours et divers lieux d’embuscades, qu’il talonne le nabot. De toute façon, s’il lui prenait des envies revanchardes, lui et tous ses complices ne l’auraient pas sans risquer de se prendre quelque coup de haches dans les côtes.
(Contre un carreau dans l’œil, par contre…)Pas la peine de penser aux options sur lesquelles il ne peut rien, autant se focaliser sur les dangers plus immédiats. A Omyre, ça ne manque pas, comme dans toutes les villes, en plus accentué peut-être. A y crotter ses bottes, le mercenaire en vient à se dire qu’Exech c’était quand même une destination de rêve à côté. Fort heureusement, dans le ramassis de merdeux qui conchie cette cité puante, il y a force de bon sens : pas la peine d’aller chercher des poux dans la barbe d’un gars solide et armé pour récolter quelques pièces, il y a des cibles autrement plus alléchantes. Alors le chemin jusque chez le guérisseur se fait tranquillement. Pas d’embrouille de la part du type au tarin défoncé, pas de mauvaise surprise.
(Putain, ça pourrait presque être une bonne journée… Une paire de miches une fois cette main rafistolée, et ça commencera à ressembler à quelque chose…)Le marin pointe du doigt une porte branlante d’un bâtiment plus proche de la ruine que de sa prime jeunesse, en avertissant Beorth de ne pas trop s’arrêter au comportement du guérisseur. Les gonds grincent en pivotant, et il ne faudrait pas pousser trop fort le bois vermoulu. Les deux parviennent tout de même à rentrer, le plus en grand en se penchant un peu. Dedans, c’est moins pourri, et il y a encore une porte, qui diffuse un peu de lumière. Le gars de Von Klaash toque et entre sans cérémonie. Beorth le talonne sans plus de gêne.
La lumière des chandelles réparties sur les meubles et le sol est bienvenue et insuffisante. De tous les côtés, c’est couvert de cire comme si avait eu lieu une énorme orgie de cierges. Les murs plus tous jeunes supportent à grande peine le toit et à des clous une grande variété d’os gravés et de plantes diverses. Au milieu de tout ça, presque en accord, un type vêtu de noir est penché sur une table de travail, et plus particulièrement sur un corps. Le bruit et le mouvement laisse à penser qu’il s’applique plus à la découpe qu’au rafistolage, mais en même temps, si c’est un macchabé, peu importe. Y’a des équarisseurs qui amputent mieux que personne, et leurs victimes s’en sortent parfois, c’est dire.
Comme familier des lieux et du bonhomme, le marin interrompt l’autre dans son bidouillage anatomique.
« Hey... Tu vas t'occuper de nous, ou tu restes farfouiller j'sais quoi dans ton glaouche, là ? »L’autre ne se laisse pas démonter.
« C'est pas que je ne suis pas ravi de voir ta sale gueule, mais si tu viens pour ton argent... Va falloir être patient, laisse moi encore un peu de temps. »En passant, il salue Beorth de la main. L’occasion pour le guerrier de constater qu’il s’agit d’un elfe noir. Pas la race qu’il préfère, mais il s’en accommode. Entre les deux qui se connaissent, ça jacte, ça fait de l’humour, ça se balance des fions. Le shaakt avertit qu’il ne faut toucher à rien, que déranger ses affaires, ça l’irrite, et que quand il est irrité, il est pas performant. Et il se croit même drôle en révélant que le truc à la cage thoracique explosée, ouvert comme les cuisses d’une pute, les organes répartis au petit bonheur sur un tas de parchemin, avait la chiasse. Ca sent franchement pas le printemps, et même si Beorth n’est pas délicat des naseaux, surtout couvert qu’il est encore du purin des égouts, il s’agace de se tenir encore si loin d’un bain, d’une lessive et d’une catin. Surtout si c’est pour écouter les plaisanteries vaseuses d’un enfoiré aux oreilles pointues.
« J’ai du verre dans l’poing, et ça commence à gratter. Alors si tu peux me rafistoler ça sans tripatouiller dans mes tripes… j’ai d’quoi payer. »