Les deux ynoriens solitaires (car, il faut le préciser, peu d'ynoriens vivent dans la capitale orque, même si beaucoup y demeurent) marchèrent les rues et ruelles d'Omyre, suivis par un mystérieux cortège. En effet, depuis qu'ils avaient quitté la petite allée, des silhouettes suspectes longeaient les murs que leurs ombres avaient léchés. Hong, finissant par s'en apercevoir, voulut jeter un œil par derrière, mais fut interrompu par la main délicate mais indéniablement classe de l’Épée-Miroir :
- Des admiratrices. Ne regarde pas derrière, mon ami. Nous sommes presque arrivés.
Les deux hommes s'engouffrèrent dans une allée, et les senteurs femelles disparurent progressivement tandis qu'ils se rapprochaient d'une bâtisse à l'aspect à la fois rénové et délabré.
- On s'est donné du mal pour lui rendre sa décrépitude d'antan.
Un bruit étouffé provenait de derrière les murs de pierre moisie, un bruit constant dont les nuances se faisaient de plus en plus... um... nuancées... à chaque pas. Sur la porte avaient été inscrits au couteau les mots suivants "Beuglons, piaillons en chœur. Jusqu'à vous rendre sourds à nos clameurs. Et vous ronger le cœur.". L'élégant oranien monta trois marches qui s'étaient retrouvées là par un travers du destin, probablement, plaça sa main sur la porte et la poussa dans un grincement agaçant.
- Ne t'en fais pas, elles ne nous suivront pas ici. Car ici, mon ami, c'est le domaine des hommes... - Guuurp, guuuurp... !
Un assaillant surgit de derrière la porte, et la confrontation qui s'ensuivit aurait fait son chemin dans les livres d'Histoire si il y avait eu des historiens autour. Tout ceci se déroula dans la même seconde, alors écoutez bien car ça risque d'aller vite.
Tout d'abord, le mystérieux attaquant, qui n'avait guère que l'apparence d'un clochard dissimulant sa ruse perverse derrière un œil hagard et une chevelure noire comme de la paille carbonisée, agrippa l'épaule de l'homme de grande classe avec ses doigts crochus et tenta de le dominer du reste de son corps squelettique et athlétique, en un mot, squethlétique, le tout avec une expression déformée par un mélange de haine et de souffrance, laissant présager un assaut des plus brutaux. Seulement, Gao Deng était un homme de réflexes, et d'un geste vif et et classe, il frappa le bras de son agresseur, se libérant de son emprise, et devinant l'attaque dévastatrice qui était à venir, il se jeta de tout son poids en arrière; et ce fut à ce moment précis du geste exécuté que, tenez-vous bien, une véritable fontaine d'huiles intestines et de carottes prémâchées jaillit de la bouche de l'adversaire. Le flot, projeté par la simple force de la volonté à une vitesse surnaturelle, menaçait de rattraper le visage de l’Épée-Miroir en pleine chute, mais pas une seule once de peur ou de doute était visible sur la face de Gao Deng, qui frappa du pied la seconde marche pour prendre une plus grande impulsion, et dans sa chute héroïque, épargner à Hong son protégé le cruel châtiment de l'humiliation en l'entraînant avec lui, à l'abri du moindre éclat de la funeste bile, tout cela, vous en conviendrez, avec une classe dont lui seul avait le secret.
- Bargh ! Enfer ! La prochaine fois, j't'aurais ! La prochaine fois je jure !
Gao Deng, s'époussetant, aida son sourd compagnon à se relever et sourit à l'adresse du vomisseur qui s'essuyait sur ses manches.
- Content de te revoir, Benric ! C'est bien de la musique que j'entends là ? - Nan, rien à voir, c'est P'l et Mobyll qui font un concert.
Ils entrèrent ensuite chacun dans la bâtisse. L'intérieur était bien différent de l'extérieur. Ou plutôt, il était très similaire. La différence résidait dans le type de décrépitude qu'il en ressortait. L'extérieur était moisi, les murs étaient pelés et la porte ne semblait que demander à sortir de ses gonds. L'intérieur était moisi, le bois était pelé mais les occupants étaient déjà dévergondés. Occupants de différentes tailles et de différentes formes, des petits à la peau grisâtre et au crâne d'oiseau, des grands à la peau brune et semblables à des gorilles, mais surtout beaucoup de blondes au cheveux blancs et mousseux qui rentraient et parfois sortaient de la bouche des autres. Tous étaient tournés vers une petite scène improvisée faite de tables dérobées sur lesquelles se tenaient deux individus suspects, le premier était un Garzork à la peau couleur de café (dont la fraîcheur variait par endroits), son corps avait un volume au moins aussi conséquent que celui de sa voix, ses yeux étaient cachés derrière une ferme tignasse de cheveux raides et noirs de jais, et il frappait furieusement sur deux planches, l'une recouverte de peau, l'autre de fer, tout en proliférant un hymne singulier sur un oiseau pestiféré. Le second était un Sinari; il avait la taille d'un enfant mais son visage arborait de longs sillons formés par des décennies et des décennies de sourires hypocrites. Habillé un peu plus fantaisiste que son compagnon, il jouait du luth avec abandon, bien que l'instrument semblait trop gros pour lui. Mais malgré cela, il massacrait les cordes du luth comme si il voulait leur faire dire une histoire encore plus macabre et frénétique que son partenaire, qui s'égosillait, postillonnait sur le groupe de fidèles qui les miraient avec un air à la fois agacé et dévoué, comme s'ils étaient confrontés aux apprentissages d'un vieux moine illuminé qu'ils ne sauraient comprendre, mais essayaient quand même tout en se maudissant de n'y parvenir. Et enfin, la messe s'acheva sur ces dernières notes :
- EEEEEEEEEEEEEHHHHHHHHHHHHHHHRRRRRRRRRR LWASOOOOOOOOOHOOOHOOOOO... (escalade des aigus à la fin abrupte, comme une vie qui se serait cruellement arrêtée à son midi)
Une fois la musique termin-
- S'EEEEEEEEEEEEEEAAAAAAAAAAAAAAAAAAAN VOLAAAAAAAAAAAAAAAA... (longue descente dans les graves, synonyme de l'amertume d'une longue vie remplie de regrets)
... Alors donc, quand il eut fini de chanter...
- Passionnément... han han han... (ahem, petite touche de sensibilité de la part de l'artiste, qui semble inviter à la contemplation poétique)
...
- TOUTES LES MÈRES SONT DES PHOQUES, ZBLAH !! (gratte ultra-sauvage qui déchire tout) - ZBLAH !!
Bref, quand il s'avéra que la chanson était vraiment finie, tout le public se leva d'un seul geste, verres brandis bien haut et hurla en chœur "Zblah ! Zblah ! Zblah !". Gao Deng fut le premier à s'avancer et à montrer qu'il avait assez de neurones pour taper dans ses mains, et il fut imité par tous, et tous sauf lui passèrent pour des otaries épileptiques. Hong restait silencieux, comme à son habitude.
- P'l ! Mobyll ! On déchaîne les passions, à ce que j'entends ! - Zblah à toi, fils d'Ynorie ! Que viens-tu faire dans ce maudit trou à rat ? demanda Mobyll, fraîchement descendu de l'estrade.
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Dernière édition par Hong Xiang le Lun 27 Nov 2017 15:36, édité 20 fois.
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