Arrivée à Omyre En fermant la colonne, Beorth prend la mesure de l’étendue de la cité, alors que les hommes marchent sur les talons de leur commandant, ignorant pour la plupart la destination qui est la leur. Les architectures se mélangent sans harmonie, et avec elles les rafistolages de toutes sortes, des adjonctions aux goûts des uns ou des autres, ouvrages de maçons ou de soudards ; là le temps a labouré une façade, ici, au contraire, le soin a épargné un haut mur et ses fenêtres étroites bardés d’épais barreaux. A hauteur de genoux, là où l’on ne s’est pas embarrassé de détruire, se trouvent encore des vestiges des civilisations éteintes, et pour qui sait observer, les blocs de maçonnerie, les pierres d’angles, les clefs de voûtes témoignent du passé de la ville sombre : la qualité de la taille, la marque d’un artisan, un ombre de bas relief, une somme de détails perdus, brassés à mesure des reconstructions, des effondrements et des édifications. La pierre, millénaires après millénaires, demeure la pierre, et pour peu que ce qui y est inscrit le soit assez profondément, le temps ne suffit pas à la rendre anonyme. Garzoks d’autrefois, earions, troupes d’Oaxaca et tout ce que cet empire en devenir compte d’esclaves et de ralliés, ceux là ont laissé chacun leur tour plus ou moins consciemment une empreinte.
Et Beorth s’en cogne. Les conventions architecturales lui passent largement au dessus de la tête, tout comme le destin des peuples passés et à venir. Ses guiboles le travaillent, demeuré trop longtemps en ville, il n’est plus habitué aux longues marches de troupes, et par-dessus ces signaux des pieds, des mollets et de cuisses, une faim d’autre chose que des rations de voyage, et une soif réclamant un breuvage autrement plus fort que de l’eau, le travaillent. Ca et là, il perçoit un fumet alléchant par-dessus les remugles, de la viande rôtie – quelque soit cette viande d’ailleurs.
(Et j’ai comme dans l’idée que dans cette ville, tant que t’as les moyens, tu trouves ce que tu veux…) Sans compter que l’air de rien, le bavardage de Gaspard lui avait filé une sacrée trique. Pas question pour lui d’aller troncher une garzoke, pas totalement sobre du moins, mais il se mettrait bien en quête d’un bordel proposant de la chair humaine fraîche, des captures récentes, pas encore trop vérolées : ce qu’il mettra en plus pour une fille propre, ce sera autant qui ne partira pas dans la poche d’un guérisseur s’il tire le mauvais jeton. Quelque soient ses envies, il préfère la fermer plutôt que de réclamer encore auprès de son compagnon une indication sur l’arrivée à destination, question de réputation.
« Halte ! »
Et la colonne s’arrête comme un seul homme, non sans quelques chocs et ondulations.
« Comme j’aime cette consigne.» « Quartier libre jusqu’à nouvel ordre ! Vous bougez pas d’ici, vous faites pas de grabuge. Z’encaissez les insultes, z’échappez aux coups, et vous retenez tout ! On règlera nos comptes plus tard si y’a b’soin ! Permission de lamper, mais le premier trop bourré pour se battre, j’lui fais sauter sa solde. Clair ? »
Les marques d’approbation vont du vague grognement à la franche exclamation lorsqu’il est question de bibine, saupoudrées de quelques questions sur la fréquentation des dames. En quelques secondes, de la colonne il ne reste plus qu’un souvenir, et deux sergents à l’œil acéré veillant sur leur troupeau, alors que leur chef s’en va, probablement leur assurer un nouveau contrat.
« Bon ben ravi d’t’avoir connu Beorth. Et encore désolé pour la flèche. » « Ouais. »
Tandis que le mercenaire tourne les talons pour rejoindre quelques uns de ses amis ayant déjà tiré le tapis, les dés et les cornets du paquetage, prêts à se plumer mutuellement, le guerrier s’engage vers les bâtiments. Sans plus qu’un vague regard pour les vers gravées sur la porte, le voilà qui pénètre dans les thermes. L’endroit a tout d’une taverne, et fréquentée qui plus est, par tout un assemblage hétéroclite de mines patibulaires.
(Un coin tranquille…) Veillant à ne bousculer personne, à ne croiser aucun regard, soucieux qu’il est de ne pas chercher les ennuis avant d’avoir mouillé son gosier, Beorth parvient au bar, où il commande une mousse et demande :
« J’viens de débarquer. Paraît qu’ici y’a d’l’ouvrage ? »Discussion de taverne