(
Avant)
(7)
Ça pique. Ça pue. Ça fait super mal. Zu'Gash oscille entre conscience et inconscience. Son regard rouge décèle des silhouettes, des sons, puis tout s'estompe encore et encore. Quand elle parvient à aligner deux pensées, elle se demande vaguement ce qu'elle a mal digéré. Elle crève de chaud, puis de froid. Elle rêve et cauchemarde en succession, incapable de trouver le moindre repos. Même sa nature optimiste et enthousiaste a du mal à émerger. Son regard sanguin finit quand même par s'ouvrir. Première chose que sa vision floue lui apporte : une tête d'ours aux yeux vides, rivée à sa poitrine. Lourdement, la garzoke relève son bras intact et tapote la fourrure lui servant de couverture.
"
Toujours à tirer la gueule, toi.", souffle-t-elle dans un murmure à la peau de bête.
La dernière fois qu'elle s'est réveillée en cette malodorante compagnie, c'est lorsque Brukag lui a ouvert le crâne avec une pierre. Enfin, il y a eu la fois où elle s'est pris un tronc d'arbre dans le dos, et quand une bestiole des marais a voulu lui faire visiter son terrier aquatique, aussi. Bref, elle est donc là, allongée sur le dos, dans la tente de Luriol.
Ses souvenirs reviennent, tout comme de la douleur, surtout au bide. La rôdeuse se redresse sur les coudes. Son bras droit lui dit
non en la laissant retomber. Juste à côté du rouleau servant d'oreiller.
"
Aww.", sourit la peau-verte. "
Au moins, j'sens mon corps."
Elle refait une tentative, mais en prenant appui uniquement sur son bras gauche. Elle a mal partout, y compris à la tronche. Ses joues sont un peu gonflées, comme lorsque le chef lui colle des mandales. Il l'a peut-être fait. Premier constat quand elle s'assoit, elle n'a plus une once de fringues sur elle. Tant mieux, comme cela, elle peut voir clairement son corps abimé. Enfin clairement, autant que le permet la lanterne mourante oubliée dans un coin. Juste à côté de ses frusques ensanglantées d'ailleurs.
Sa blessure à la cuisse est refermée en lui laissant une marque visible. Comme une grosse brûlure. C'est bien du Luriol ça, à expédier un travail qui l'emmerde. Il a juste du lui caler un peu de son baume qui pue et cramer le reste. Mais au moins, ça marche. La plaie le long de son torse est bardée d'un fil noir ou marron. Elle peut bouger assez normalement son bras et resserrer la main. Elle manque juste de force. Son regard sanguin descend sur son ventre. Lui aussi est piqué de plusieurs gros points bien moches. Elle va avoir une très grosse cicatrice, mais au moins, elle est en vie. Ce qui n'est pas si mal vus les coups bouffés. D'un autre côté, elle est curieuse de savoir ce qui l'aurait attendu au royaume de Phaïtos.
"
J'ai soif.", déclare-t-elle à voix haute. Personne ne lui répond.
Oreilles verdâtres qui se tendent à la recherche d'un son. Qu'elle trouve. Une discussion sur un ton plutôt bas en fait. Des garzoks qui causent sans gueuler, c'est nouveau. Tellement incroyable que la rôdeuse oublie la faiblesse de son bras garni des vertèbres de serpent et se lève. Sa tête tourne mais elle reste debout, à se curer l'oreille violemment pour faire cesser le sifflement. Peau d'ours sur les épaules, elle se dirige vers la sortie.
"
... C'que j'me tue à t'dire."
"
Merde... Merde merde merde !", s'élève une voix de garzok familière. "
Et t'aurais pas pu faire sans ?"
"
T'fais chier Brukag. J'ai d'jà pu sauver sa carcasse en m'forçant les fluides pendant deux jours. C'est pas c'que tu voulais ?", lâche Luriol en ponctuant sa tirade d'un énorme bâillement. Chose qui le fait s'illuminer un peu, d'ailleurs.
"
Si. Mais j'pensais pas qu'ça tournerait comme ça."
Zu'Gash arbore un sourire jovial et écarte les pans de la tente de son bras valide, triomphante.
"
C'est moiiiii !", annonce-t-elle en levant la main puis s'esclaffant en voyant les tronches d'ahuris des deux garzoks. "
Ben quoi ? Z'avez vu une banshee ?"
"
Tu vois ? Increvable. Mais pour le reste, c'est ta décision, chef.", fait Luriol en tapotant rudement l'omoplate de Brukag. "
J'vais bouffer et pioncer. Après tout c'bordel, j'veux la paix au moins une semaine. Alors faites gaffes à vos miches.", ajoute-t-il avant de bailler encore.
Le garzok en armure émet un râle énervé, mais le guérisseur est déjà loin. Casque sous le bras, dévoilant une tête rasée à l'exception d'une unique tresse partant du milieu du crâne et descendant sur son oreille gauche, Brukag la darde d'un regard sombre. Ah tiens ? Il fait nuit. Son observation est interrompue par la tranche de main du chef, s'abattant sur le milieu de sa tête.
"
Oaille ! Mais quoi ?", fait la rôdeuse en ayant du mal à retenir la peau et se frotter le cuir chevelu.
"
Abrutie. Inconsciente. Pauvre débile.", lui plaque le grand gaillard dans la figure, mais sans sa hargne habituelle.
"
Ça va pas ? T'as avalé un truc pas frais ?"
"
Boucle-la et écoute-moi.", commence le chef avant qu'un mouvement d'un Siffl'Croc n'attire son attention. Un guerrier avec un bandage sur le nez lève un tonnelet, en lampe une grande gorgée puis déambule. Il est bourré, et il se met à chanter. Mal.
Agrippant une tresse défaite de Zu'Gash, Brukag la ramène dans la tente du guérisseur. Là, il pose son casque et croise les bras. Il fait la tronche, mais pas dans sa forme habituelle.
"
Pourquoi t'si sérieux, chef ? T'vas m'engueuler parce que j'suis pas rentrée sur mes deux guiboles ?", fait la peau-verte avec un sourire.
"
J'réfléchis là.", lâche le guerrier avant de se tourner vers elle. "
Savoir si j'te bute, si j'te bannis du clan ou si j't'assomme avant d'te laisser dans les marais."
"
T'préviens pas avant d'faire ça d'habitude.", remarque la rôdeuse en haussant un sourcil. "
Crache le morceau. Y'a un problème ?"
"
Oais. Luriol t'a sauvé la peau."
"
Et c'est le problème ?"
"
Arrête de m'interrompre, bougre d'empotée !", grogne le chef.
"
Ohla oh ! Ca va, ça va. Continue patron.", s'amuse Zu'Gash en levant les mains de façon joueuse, lâchant la peau de bête. "
Reviens là, toi."
"
J'te la fais courte. Tu vas avoir du mal à marcher. Ton bras est pas passé loin d'être foutu. Et t'es plus vraiment une femelle, la moche."
"
Ma jambe paie pas d'mine mais ça v... Hein ? Quoi ça, plus une femelle ?", demande Zu'Gash, comme percutée encore une fois à la tête.
"
Le coup qu't'as pris dans l'bide. Ça a failli t'tuer. T'étais trop abimée.", déclare Brukag avec une telle gravité que la rôdeuse a l'impression de porter son poids sur ses épaules.
"
T'es en train d'me dire...", fait-elle en attendant la suite.
"
Qu'tu pourras jamais faire de p'tits."
"
Oh... Ah bon ! Ah c'est que ça ! Putain tu m'as foutu la trouille !", s'esclaffe la garzoke devant un Brukag stupéfait.
"
Non mais, tu piges c'que j'te raconte ?"
"
T'inquiète chef, j'ai jamais aimé les gosses. Sauf rôtis. J'comptais pas en faire. À part si l'clan était en pénurie d'viande.", blague-t-elle avant de voir le visage sévère du guerrier.
"
Je vais reprendre, pour qu'ça pénètre ton crâne.", fait-il en massant son front plat. "
On lève le camp dans quelques heures. Tu peux plus courir. Ton bras va mettre des plombes à r'trouver sa force. Celui qu'tu voulais pour maître a choisi un aut' type. T'es une femelle incapable de faire le moindre petit. Conclusion ?"
"
Euh... J'suis dans la boue-ze ?", parvient à réfléchir la garzoke avant d'esquisser un sourire. "
Donc ? T'as décidé quoi ?"
"
J'viens limite de déclarer qu't'étais devenue un poids mort et tu tires encore cette tronche ?"
"
J'vais pas m'mettre à chialer. J'dois encore avoir un bout d'caillou qui m'bloque les canaux d'larmes.", fait-elle en levant l'index, désignant un point sur sa tête.
"
T'es con, franchement."
"
Et donc ? Ta décision chef ? J'vais pas rester à poil sous c'te peau d'ours pendant deux lunes. J'reste ? J'pars ? Ou tu m'crèves ?"
Le colosse la scrute longuement puis pose la main contre son fourreau. L'autre vient sur la tête de la rôdeuse. Elle l'ébouriffe puis agrippe sa tignasse fermement. L'éclat de la lame arrive aux yeux de Zu'Gash. Brukag prend une longue inspiration, comme pesant une décision. La peau-verte attend, amusée de le voir troublé à ce point. Elle n'a pas peur, elle anticipe. S'il veut la tuer, un geste et c'est terminé. Et il ferait bien de se grouiller. La faiblesse, c'est pas bon pour un meneur de tribu.
Ses crocs clairs se dévoilent dans un sourire.
(
Après)