Alors que le petit groupe s’était remis en marche, une question fort délicate fut lancée à la cantonade par le Ménestrel. La magicienne trouva cette curiosité mal placée, et fut confortée dans cette idée par la réponse des plus succinctes de l’Humoran Mercurio :
« Alors heu... C'était un ami à vous je présume? le borgne je veux dire. »
«Oui. Un ami. C'était mon ami »
Il n’était pas aisé de discerner les émotions sur la face de cet individu mystérieux, d’autant plus que Depheline ne connaissait rien sur cette race d’humanoïde. Pour autant, la peine était universelle, et elle résonnait encore dans les quelques mots de Mercurio, qui s’étaient imprégnés dans l’esprit de l’Humaine.
La magicienne garda le silence tout en grimaçant, pour ne pas interféré dans la réflexion intérieure que devait mener à présent ce second compagnon de voyage. Si Depheline faisait de son mieux pour ne pas penser à ceux qu’elle avait laissé derrière-elle, elle s’était dans un premier temps imaginé que ce devait être le souhait de Serpent et Mercurio aussi. Ainsi, elle avait donc du mal à comprendre que l’on eût voulu reparler de la violente scène précédente, autour du feu de camp, au beau milieu d’une armée d’Orques et des Elyds des marécages.
Elle ne fut cependant pas plus enjouée par la suite des propos du semi-humain, qui semblait entrer peu à peu dans un délire que Depheline n’était pas prête à suivre, malgré la morosité qui continuait de l’habiter. Non, ils n’étaient pas morts. Non, ils ne resteraient pas à jamais prisonnier des marais, pas s’ils continuaient d’avancer en ligne droite.
« …On sait même pas où on va, merde ! On espère, juste, par hasard, trouver une foutue sortie dans ces marais. Si on est morts, ils pourraient bien être sans fin et c't'aube aussi, p't'être bien qu'on la redoute pour rien. Cette déesse débile pourrait avoir dit ça rien que pour nous faire bader pour l'éternité dans la nuit… ou pas. »
La sorcière s’était ainsi apprêtée à contredire et l’Humoran, bien déterminée à remettre les pieds de Mercurio sur terre, la main tendue en sa direction pour le pincer sans vergogne :
« Tu vois, ça, c’est bien réel ! Donc on n’est pas mort ! Cesse de te tourmenter alors, on a déjà bien assez à faire de cette fuite...», s’exclama-t-elle, agacée.
Elle voulut ajouter qu’il était nécessaire de ne pas perdre la tête s’ils voulaient avoir une chance de s’en sortir, mais elle fut interrompue dans son élan par le Ménestrel, qui adoptait une autre méthode pour stimuler leur camarade d’aventure, tout ce qu’il y avait de plus pragmatique : Une carte. La même carte, sortie du sac de Serpent, qui avait été dérobée par ce dernier dans le campement Orque où ils avaient été faits prisonniers, puis libérés sous condition par Oaxaca elle-même. Depheline n’eut point besoin de repenser à la modalité de leur fuite, elle s’imposait à elle à chaque recoin de pensée. L’ombre du dragon de la déesse terrestre planait sur son âme et rôdait sans cesse au-dessus de sa conscience.
Ensembles, ils prirent le loisir de stopper leur marche pour observer la carte et prendre une décision quant à la suite de leur avancée, à la lueur de la magie de Depheline et des premiers rayons du soleil qui commençaient à percer l’horizon d’une multitude de faisceaux de lumière. L’aube était là… et Serpent ne manqua pas de le faire remarquer :
« Il suffit de prendre l'opposé de ce putain de soleil ! D'aller à peux près en diagonale pour le sud et de nous magner le train pour trouver un coin ou se planquer ! Surveillez le ciel ! Allez !Allez !Allez ! »
La magicienne était généralement toujours pleine d’idées et d’envie de faire avancer la situation, même lorsqu’elle semblait désespérée, mais dans l’état d’abattement dans lequel elle se trouvait, elle fut tout simplement soulagée de se reposer sur les épaules de Ménestrel. Ce dernier agissait en parfait chef de bande, avec un succès qui rattrapait la maladresse de l’instant d’avant, lorsqu’il s’était adressé à Mercurio, au sujet du Pirate.
« Bien, j’imagine que nous devons reprendre la route… », murmura-t-elle, un air dépité peint sur son visage partiellement recouvert d’un liquide noir, témoin de la putréfaction des lieux. Ils marchèrent d’abord d’un pas rapides, puis se mirent à courir, écrasant des branchages en décomposition, imbibant sans vergogne leurs chausses d’eau nauséabonde, sans relâcher leurs efforts et le rythme soutenu qu’ils s’étaient vus contraints d’adopter pour quitter cet enfer au plus vite. La magicienne tenait ses flancs car elle avait des points-de-côté lancinent qui indiquaient que son corps était à bout. Cependant, tant que son esprit resterait vif, elle continuerait de courir, car sa volonté était de fer, malgré la douleur de son ventre et de ses plaies à demi-refermées, accusées par les nombreux combats qui avaient fait rage sur l’île maudite des 13 d’Oaxaca.
Au loin, à quelques kilomètres finit par se dessiner l’horizon, et avec elle, la fin des marais. Serpent leur signifia son excitation que Depheline parvint à peine à partager tant elle était ravagée par la souffrance de l’effort. Elle but une gorgée de potion revitalisante, se mettant en retard l’espace de quelques secondes, puis repris de plus belle, pleine d’espoir, oubliant presque que le dragon s’était probablement déjà mis à leur poursuite. La plaine qui les attendait n’était d’ailleurs probablement pas le meilleur endroit du monde pour se dissimuler, c’est pourquoi les réjouissances furent, dans l’esprit de Depheline, de courte durée.
---------------------------------------------------------------- (((--> Vers les Plaines de Pierres)))
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