Chapitre 1 : Dans la boue-ze jusqu'aux genoux
(1)
Un pas. Deux pas. Trois pas. Et
splotch splotch et
splotch encore. C'est en gros ce que Zu'Gash retient des Marais de Gutenborg. Ah oui, et la puanteur aussi. Faut dire que laisser des cadavres y moisir donne un coup de pouce pour caler l'ambiance. Là, ses yeux rouges ne quittent pas souvent le sol. Un sourire ancré sur ses lèvres à crocs y reste et s'élargit en voyant Brukag, le nouveau chef du groupe, se prendre bêtement les pieds dans un tronc. À se demander ce qu'il foutait là, d'ailleurs. Le grand garzok massif, tout bardé de métal comme les chienchiens d'Omyre, grogne et donne un coup de pied si puissant au pauvre végétal que ce dernier va se ficher dans un cadavre. Et encore un son dégueulasse. Un
sprutch cette fois.
Il n'y a pas eu un rire à son accident. Pas fous les frères. Se foutre de sa gueule, c'est manger un pain dans la poire. Quand on voit ce qu'il fait à un pauvre tronc d'arbre, pas de doute que la tête d'un gars tiendrait pas le choc. Quoique. Ce sont des garzoks, pas ces fillettes d'elfes aussi épais que des brins de paille.
"
Où est ce foutu messager !", beugle-t-il à la ronde.
"
Bah, c'est un sekteg patron.", s'amuse Zu'Gash en prenant la parole pendant que les autres se regardent comme des cons. "
S'il s'est pas paumé...", commence-t-elle en tapant un par un ses doigts à mesure qu'elle déballe ce qu'elle pense. "
Il a pu se noyer, se faire chopper par des élyd, trouver des trucs pas trop moisis à becqueter, se carapater, oublier ce qu'il devait faire et aussi..."
"
Ta gueule Zu'Gash !", l'interrompt le meneur en pétard.
"
Woh ça va ! T'énerve pas. J'suis sûre qu'il a pu arriver jusqu'à eux. L'est pas trop débile celui-ci."
À l'aube, l'un des sekteg les plus rapides qui suivent la troupe, juste pour grappiller des restes, a été envoyé au camp des Briz'Fass. Pas de truc d'espionnage ou de machin compliqué, juste pour se mettre d'accord sur l'endroit où les deux groupes sont censés se foutre sur la tronche. Rien qu'à y penser, Zu'Gash en frémit d'impatience. Elle cale un carreau sur son arbalète de poignet et se retourne vers les siens. Langue tirée sur le côté, elle braque son arme sur une tronche à la limite du porcin et ferme un œil.
C'est que c'est sensible au moindre contact ces trucs. La garzoke a à peine éclaté de rire devant la tête pas rassurée du peau-verte que l'arbalète se déclenche seule. Et
zouh le trait qui part ! Et
plouf le garzok qui plonge pif dans la boue pour y échapper. Et
paf suivi de
ouargh, quand un malchanceux Siffl'Croc, qui s'est baissé pour une raison obscure, reçoit le carreau.
"
Oh.", s'étonne la garzoke.
Le pauvre quand même, prendre un coup pile là où son armure s'arrête. Au moins, ça a tapé dans le gras. Il ne va par contre plus pouvoir s'asseoir pendant quelques temps. Le rire de Zu'Gash à sa performance est stoppé par un poing gantelé s'abattant sur son crâne. Ça la coupe net. C'est qu'elle a failli se mordre la langue !
"
T'arrête de faire la conne !", lui crache Brukag à la figure.
"
Rah ! Déjà du boulot pour moi ? Vous faites chier, franchement !", s'élève une voix que Zu'Gash connait trop bien.
Passant en bousculant les Siffl'Crocs, un garzok en tenue de cuir comme un tablier, collier de crocs d'animaux divers et bandeau marron pour retenir sa tignasse sale s'approche. Il n'est pas vraiment vieux mais pas beau et pas discret non plus. Luriol, façon attardée de dire luciole. Un surnom qui lui colle comme une sangsue. Faut dire qu'à vouloir faire le con et avaler des trucs qui brillent quand on est pas futé, ça finit par se voir. Cela fait des années qu'il a apprit à se servir de sa magie qui guérit, mais sa peau est toujours aussi éclairée.
Pendant qu'elle se frotte une tête résonnant encore du coup, Zu'Gash se met à pouffer. Elle est même pliée en deux quelques instants plus tard. Voir un garzok massif chouiner parce que le médecin du groupe, virant au orange par l'effort, lui retire une flèche du fion, ça ne laisse pas indifférent.
Scratch scratch. Des grattements se font entendre avant que le médecin du clan n'applique un baume aussi puant que la victime sur la plaie. La garzoke se prend un autre coup de poing plutôt costaud. Sous l'impact, elle fait quelques pas et s'enfonce dans la boue jusqu'aux mollets.
"
Bwaah ! Ah non ! J'ai des trous dans ces bottes, Brukag !", glapit-elle en s'extrayant de la mare. "
C'est froid !"
"
T'en veux une autre ?", lui crache le chef, visiblement à bout de patience.
"
Ouais, nan. Faut que je tienne debout pour la bataille."
"
Encore du boulot pour moi.", soupire gutturalement Luriol. "
Meulez-leur la tête une bonne fois pour toutes, que j'ai pas à passer mes nuits à vous rafistoler !"
C'est vrai qu'à la dernière escarmouche, en plus des cadavres, il y a eu quelques beaux blessés. Les balafres affichées sur les gueules proches l'affirment. Mais là, la situation est différente. Brukag a pris le temps de tabasser des chefs de petits clans et d'en gagner le contrôle. D'ailleurs il se tourne vers les nouvelles têtes, les faisant se figer.
"
Si y'en a un seul qui recule, je le bute moi-même !"
Et vue la tronche de son épée encore brune de sa dernière crise de nerfs, aucun doute sur son honnêteté. Zu'Gash affiche un sourire à l'expression presque apeurée des nouveaux. Y'a pourtant pas de quoi en faire un drame. Bon, d'accord, il a déjà buté quelqu'un qui s'était approché un peu trop pendant qu'il pionçait. Mais ça n'empêche pas que Brukag est un grand guerrier. Un seul coup bien placé et c'est fini. Pas de bobo, pas de larmes, pas de cri vrillant les tympans, juste une fin rapide. Une mort parfaite donnée par le meilleur des chefs, quoi.
Enfin, s'il est d'humeur.
(
Après)