Quelle merveille qu'est la pluie. L'eau glaciale ruisselait le long de son corps, elle ne portait pas sa capuche, elle laissait l'eau froide se mêler à ses cheveux d'or. Sa peau humide et blanche perdait en température et elle adorait ça. Elle s'était adossée à un mur de pierre après avoir prévenu le vieil homme que les deux truands allaient venir. Elle avait demandé au vieil homme de cacher ses filles au cas où ça tournerait au vinaigre. Elle regardait le mur de son domicile. La peinture et la chaux posée sur le mur coulaient pour se mélanger à la boue. La ruelle avait une allure de mare brune. Le ballet incessant des gouttes offrait une mélodie saccadée et rapide, un bruit de fond sur le théâtre de l'horreur. Il n'y avait personne dans cette ruelle, très très peu fréquentée. Ça offre un avantage et un inconvénient. Personne pour l'attaquer ou la poursuivre, mais personne pour lui venir en aide. Être là pour tuer alors qu'elle pourrait voler un riche marchand. Elle ne doutait pas de ses choix mais de la valeur de ses actions. Elle allait certes tenter d'éliminer deux hommes qui seraient tôt ou tard dangereux pour ses vols. Mais d'un côté elle risquait sa vie pour un cochon qu'elle allait refuser quoiqu'il arrive. Il voulait payer la gorge de deux hommes contre un porc, quelle ironie, elle pourrait être en train de compter l'argent volé au marché. Elle considérerait le petit collier trouvé dans les bains comme une paie à sa besogne. D'ailleurs elle ne l'avait même pas essayé, elle se regardait sur la surface immuable et humide d'argent lisse. L'œil fauve. Deux hommes s'approchèrent.
"Ici voilà la pluie"... Murmura-t-elle. "Qu'est ce que vous dites ?" Eledran venait d'arriver avec son compagnon à portée de la jeune femme. Ce qui Silmeria venait de dire au moment de son arrivée n'avait de sens que pour elle. Elle lui indiqua que l'homme qui devait les assassiner était rentré depuis quelques minutes déjà, qu'ils feraient mieux d'entre rapidement. L'homme au tatouage dit à Silmeria de s'approcher derrière eux, mais de ne pas entrer, quoiqu'il arrive. Il lui tendit une petite bourse contenant sa récompense, offerte d'avance. Eledran semblait moins grave que dans la taverne, il dit à Silmeria qu'il était ravi de voir une jeune femme se soucier des justiciers des ruelles, qu'il pourrait très bien avoir du travail pour elle une fois cette histoire terminée. Ils avancèrent vers la maison.
L'odeur de chaux était de plus en plus forte, elle coulait le long de la rue, la pluie était de plus en plus froide, elle glaçait l'excitation morbide de la voleuse, lui parcourait l'échine d'une caresse de mort. Eledran était juste à côté de son compère, les épées rangées à droite. La poitrine de Silmeria devint plus lourde. Elle avait la main qui caressait la paume de la lame elfique, elle reconnaissait les motifs brodés du manche... Ils n'étaient qu'à quelques pas de la maison, juste avant de passer le muret, elle sortit la lame de son fourreau, silencieusement. Elle s'élança; plia la jambe pour frapper le plus bas possible et attaqua dans le dos. La lame sifflait avant de rencontrer la première cible. Eledran reçut le coup sur le côté droit de la cuisse, il eut un sursaut de douleur et tomba à genoux. La lame continua sa course sous la pluie avant de trancher le bas de la cuisse de son compère, juste au dessus de l'arc du genou. Il tomba sur le coup. Le tendon avait été sectionné. Eledran encore sous la surprise se releva en s'appuyant de tout son corps sur sa jambe valide.
Il sortait son épée lentement en regardant Silmeria avec un regard noir, il fronçait les sourcils, la bouche était presque ouverte, les dents serrées, prêt à vomir sa haine et couvrir l'Elfe d'insultes pour sa traitrise. Elle resta concentrée face à la haine grandissante de l'homme. Son compère rampait dans la boue, aucun d'eux n'avait crié. Parfait personne ne sera alarmé. Il grognait comme un chien affamé. Le tatoué cherchait visiblement à approcher le tonneau pour s'aider à se relever, sa jambe ouverte perdait du sang, il se mélangeait à la pluie. Eledran portait sa main gauche à sa jambe. Il était droitier, portait l'épée à droite, la jambe droite et touchée, il n'avait pas d'autre solution s'il voulait contenir le sang qui abondait.
Silmeria regardait sa lame légèrement courbée en souriant : " C'est pour ça que j'aime beaucoup les lames de facture Elfe. Voyez, celle ci n'est pas très affutée, mais elle a un fil tellement fin comparé à vos armes, qu'elle perce facilement les armures humaines et naine. Et le plus vicieux, c'est qu'elle est si fine que l'on n'imagine que tard l'étendue des dégâts. Ça pourrait ressembler à une blessure superficielle, mais la blessure est profonde monseigneur."
L'homme avait l'écume aux lèvres, le visage battu par la pluie, Silmeria s'était placée de façon à avoir le vent de dos pour que les gouttes se dirigent vers le visage de l'homme qui plissait les yeux. Il insulta Silmeria d'une voix rauque et pleine de colère, " Les femmes ! Vous êtes la putain des faiblesses humaine ! Tu vas payer cette trahison de ta vie ! Puisse le diable vous tourmenter dans l'au delà !
Elle souriait à ses menaces, se tenant à une distance de trois pas assez pour esquiver en toute sécurité un coup d'épée. " Et puisse la terre avoir bon goût lorsque vous la mangerez monseigneur. Elle parlait d'une voix mielleuse et pleine de railleries. Elle marchait doucement, le pas sûr alors que son agresseur lui tentait de tenir sur une seule jambe. Il lança un coup d'épée, il était trop loin, la lame ne rencontrait que de l'air. Elle indiqua de recommencer, qu'elle était sûre de trouver beaucoup de plaisir dans ce petit duel. Duel ? Elle jeta un coup d'œil à l'homme qui se redressait à l'aide d'un tonneau et d'un harnais en cuir posé dessus. Son épée était plantée au sol et lui servait d'appuis. L'elfe, sans quitter Eledran des yeux donna un coup de pied dans l'épée qui tenait que trop difficilement dans le sol trempé. Le tatoué retomba le visage dans la boue en hurlant. Eledran glissait beaucoup, avait de plus en plus de mal à tenir debout à mesure ou ses chaires lésées le faisaient souffrir. Être assassin n'a rien de très différent d'un combattant normal. Les assassins ont quelques qualités comme la furtivité et la ruse, mais ils s'arrangent de façon à ce que le premier coup fasse le plus mal possible. Une fois l'ennemie empoisonné ou handicapé, la suite des hostilités est tout de suite plus facile. C'était le cas. Un était incapable de se relever, l'autre allait bientôt le rejoindre. Silmeria renversa le harnais de cuir sur le visage de celui qui gisait au sol, elle enjamba son corps, prête à bondir au moindre mouvement qui risquerait de la faire tomber. Eledran fondit sur Silmeria avec son épée en perdant l'équilibre. Il retint sa chute grâce au muret, Silmeria n'avait pas calculé cette éventualité, elle avait esquivé d'un pas chassé le coup d'épée qui aurait été mortel, mais dans sa rage, Eledran avant lancé un revers du poing au visage de la jeune blonde. Elle fut légèrement sonnée et heurta le mur qui se trouvé derrière elle, en secouant le visage, elle vit Eledran se relever et dans un effort surhumain fondre sur elle, l'épée tenue à deux mains prêt à la fendre de haut en bas. Dans un ultime réflexe elle se laissa glisser le long du mur, l'épée frappa le mur à l'endroit ou se trouvait sa tête quelques secondes plus tôt. Elle contre-attaqua en frappant sous l'armure pectorale. Elle avait une légère connaissance des armures, elle savait où frapper de façon à ne pas abîmer la lame en la frottant à une couche de métal. Sous l'armure pectorale se trouvait une petite bande de cuir souple pour que les soldats puissent bouger aisément. La lame plongea dans sa chair alors qu'il prononçait un dernier râle. Silmeria ne bougeait plus, elle gardait les yeux ouvert mais restait aussi immobile qu'une statue de marbre, l'homme tomba, se détachant ainsi de la morsure mortelle du métal qui lui avait frappé la poitrine de bas en haut. La lame toujours immobile était lavée peu à peu du sang par la pluie qui frappait parfois le métal tiède de la chaleur de sa dernière victime. Eledran était mort, restait son complice qui gisait toujours au sol. Elle s'approcha de lui, il venait de reprendre son épée. Tout avait été si rapide entre le moment ou elle venait de sortir sa lame et lorsqu'elle venait de tuer le chef. Ça lui paraissait une éternité mais elle y était presque. Tuer un handicapé, c'est mesquin, sauf si celui-ci tente de vous tuer, ou de vous jeter des poignées de boue. Elle était encore un peu sous le choc de la frappe de l'homme. Le tatoué était ivre de rage et pataugeait dans la boue, la saisissant à pleine main pour la jeter sur Silmeria en la traitant de sorcière. Silmeria en reçu à la poitrine et dans les cheveux, elle pesta. L'homme était sur le dos, débattait sa jambe valide pour s'éloigner de la jeune femme qui s'approchait rapidement, arme à la main. Il avait le visage couvert de boue, de bave, de chaux, il criait. Silmeria écrasa sa jambe gauche pour faire monter la douleur dans l'espoir de le faire s'évanouir. Rien n'y fit. Il hurlait de plus en plus. Une main se posait sur son épaule. Elle eut un léger sursaut. C'était le vieil homme qui alarmé par les cris venait de sortir. Le truand qui gisait au sol semblait déjà faible en vue du sang qu'il venait de perdre et de la chaux dans les yeux qui le faisait souffrir. Il murmurait, les yeux fermés quelque chose que ni l'homme âgé, ni Silmeria parvenaient à comprendre.
Le vieillard semblait tout affolé, il demandait à Silmeria ce qu'ils allaient pourvoir faire, où ils pourraient enterrer les corps. Silmeria n'avait plus rien de très rassurant, elle avait un filet de sang aux bords des lèvres, de la boue plein les cheveux, ces derniers d'ailleurs, étaient loin d'être aussi bien coiffés qu'ils ne l'étaient il y avait quelques minutes. Elle regardait l'enclos ou étaient les porcs affamés. " Ça fait combien de temps que vos cochons ont faim? " L'homme ouvrit la bouche, effaré : " Vous... Vous voulez donner ces hommes aux cochons ? "
Elle lui dit que rien ne se perdait, qu'il pourrait ôter les armures les armes pour les vendre, garder l'argent qu'ils pourraient avoir sur eux pour nourrir ses filles. Et garder ses anciens ennemis pour nourrir ses porcs. Rien n'allait se perdre.
Elle s'empara de l'épée qui était toujours à côté du tonneau, et la tendit au vieil homme et lui dit : " Si vous voulez tuer cet homme qui vous a fait tant de mal, faites le maintenant et de la façon dont il vous plaira. Vengez votre femme et protégez vos filles grâce à cette arme.
Le vieillard était déjà trempé. Il regardait Silmeria de ses grands yeux bleus. Il tenait l'épée faiblement, il tremblait et approchait à petit pas de sa victime pour se placer juste au dessus de sa tête. La pointe de l'épée vers le bas. Sa victime ouvrit les yeux et se dressa rapidement de sa seule jambe valide pour donner un coup de dague à la jambe de l'ancien qui n'avait pas réagit. Silmeria sursauta encore, elle tenait toujours la lame Elfique, elle s'avança rapidement. Le combattant venait de plaquer au sol le vieil homme en levant le poing armé de la lame pour le poignarder. Dans un dernier reflexe le vieil homme donna une claque au soldat et attrapa son poignet, retardant la chute mortelle de sa dague. Le tatoué écrasait le visage de son adversaire et forçait de plus en plus pour pourfendre sa cible. La dernière chose qu'il avait pu sentir, c'était le métal Elfique qui parcourait sa gorge. Il rendit l'âme, la gorge ouverte vomissant des flots de sang chaud sur le visage livide de peur du vieil homme. Du pied, elle poussa le cadavre qui dominait sa victime pour aider l'ancêtre à se dégager de la boue. Il était sale, couvert de sang, livide et tremblait, il s'enfuit chez lui, en fermant la porte.
Silmeria quant à elle attrapa la jambe de sa dernière victime pour la trainer jusqu'à l'enclos à bête. Elle déposa près de lui le corps sans vie d'Eledran. Il avait à la ceinture une bourse visiblement pleine qu'elle prit.
Pour ne pas attirer l'attention, elle s'assura que l'enclos à cochon était bien fermé, il fallait enlever les armures avant de les envoyer se faire dévorer. Elle couvrit les corps à l'aide de paille et de quelques morceaux de cuirs trouvé à proximité de l'enclos et de la maison. Elle ouvrit doucement la porte, et entra, le plus naturellement du monde. Le vieil homme était assis à table, il couvrait son visage de ses deux mains et pleurait. Elle prit place en face de lui. Les trois petites filles étaient dans la paille, mal cachée, l'une d'elle se dressa et avança timidement vers la jeune femme qui avait le visage et les cheveux encore ensanglantés et boueux. Elle était maigre, tristement maigre mais elle n'avait pas peur. Son père pleurait toujours, les nerfs avaient dû craquer, c'était une expérience difficile pour un homme de son âge; il portait sur lui le sang d'un de ses anciens démons, l'un de ceux qui avaient dévastés sa vie et son bonheur.
" Mon papa disait que vous viendrez nous aider. Il disait que vous allez nous sauver, et que c'est ce qu'il attendait depuis toujours madame. C'est vrai ce que mon papa disait ? "
A ces mots l'homme redoublait de larmes, Silmeria, attendrie souriait et caressait la joue de la jeune petite fille tandis que ses deux sœurs quittèrent leur cachette. " Oui ma jolie cannelle, c'est vrai, personne ne viendra pour te faire du mal à toi et à tes sœurs avant un long moment... ( je l'espère.) "
La petite se tourna vers son père et l'embrassa. Elle se mit à pleurer elle aussi, ses deux sœurs accoururent. L'une d'elles sauta sur son père et mêla ses sanglots au sien et à celui de sa sœur, la dernière fillette approcha de Silmeria et l'embrassa en la remerciant. Elles étaient si jeunes que cette délicatesse était touchant, elles avaient connu tant de peines qu'elles étaient capables de comprendre malgré leurs jeunes âges que les tourments causés par ces brigands étaient enfin terminés.
Silmeria n'avait rien d'une grande sentimentale, elle n'avait pas l'habitude de voir tant de monde pleurer de joie, de soulagement. S'ils pleuraient tous en chœur, c'était probablement par un immense soulagement, la pluie dehors nettoyait les deux vilains de leurs pêchés, et les larmes des enfants nettoyaient le passé de ses démons. Une nouvelle vie allait commencer pour eux. Une vie que chaque père voudrait offrir à ses filles. L'homme s'adressa à la Sindel d'un ton solennel " Si un jour ces petits bouts deviennent des femmes, ça sera grâce à vous. Vous ne nous connaissez pas, mais vous avez fait aujourd'hui tellement plus pour elles que moi j'en ai fait durant toute leurs vies. Jamais je ne pourrais vous remercier assez. Je vous suis éternellement redevable."
Elle répondit avec un sourire et déposa la bourse prise sur le corps d'Eledran devant lui. Elle lui souhaita bonne chance pour l'avenir. Elle caressa du revers de l'index le visage de la petite fille qui était posé sur sa cuisse. Elle déposa un baiser sur le front de la dernière et s'apprêta à passer la porte.
Une petite voix vint à elle : " Madame, c'est comment votre nom ? " Elle parlait comme une petite fille, en prononçant longuement chaque lettre... Un repos agréable après les menaces de morts et les insultes du combat.
"Tu peux m'appeler Silmeria Trésor."
_________________
Dernière édition par Silmeria le Dim 2 Mai 2010 12:54, édité 1 fois.
|