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Texte violent, contenu gore et choquant
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Le soleil trace une courbe dans le ciel tandis que les heures s’égrènent avec lenteur. L’éclat du souverain des cieux arrose avec générosité les champs composés de blés et de tournesols. Une fragrance légère embaume les chemins que nous empruntons et je respire avec plaisir, humant l’air, me ravissant de ce délicat fumet rural. Des oiseaux chantent depuis les arbres qui bornent le chemin de terre menant à Valtordu, les piaillements aigus se mêlent aux intonations plus marquées dans un chœur vibrant de vie, d’une joie si communicative.
Joseph nous prévient que nous sommes bientôt arrivés mais que nous allons faire halte dans ce hameau avant de rejoindre Valtordu qui est encore à un jour de marche, lui offrant l’opportunité de revoir de vieux amis. A peine dit-il ça que nous cheminons sur une voie de terre entourée par de grands champs dans lesquels s’activent les hommes, fauchant dans un geste répétitif et éreintant. Des enfants traînent derrière et à l’aide de panières, ils récupèrent les récoltes de leurs aînés. Ici la vie est simple, chacun connait sa place… J’en viens à éprouver une envie, fugace mais qui semble provenir de loin, m’établir dans un village de ce genre, vivre libre, sans rien d’autre en tête que le présent… mais je sais que ce genre de vie ne me conviendrais pas sur le long terme. J’ai besoin de reconnaissance, je veux dévorer le monde au même titre que les nobles… Plus jamais je ne serais un simple spectateur. Ma vie, je la prends en main, je veux m’élever au-dessus de la fange, devenir quelqu’un.
Joseph s’arrête finalement et nous annonce que nous allons trouver refuge chez un couple d’amis. D’après lui, ils accepteront sans sourciller, toujours ravis d’avoir des convives. Pour passer le temps, je lui demande comment les a-t-il connus et il commence à me conter cette histoire alors que nous avançons, oubliant les femmes derrière. Je sais qu’elles s’occupent de charger les affaires et préfère éviter cette corvée en m’en infligeant une autre, moins amère.
Le paysan m’explique qu’il a rencontré ce couple en partance pour ce qui n’était alors que le petit village de Valtordu, encore à ses balbutiements. Depuis, le village a prospéré et ils sont restés en contact uniquement à l’occasion mais Joseph semble persuadé qu’on va leur réserver un bon accueil. J’entends des grognements et des reproches derrière moi mais fais la sourde oreille, continuant de discuter avec le paysan.
Après une dizaine de minutes de marche, nous parvenons devant la maison de nos futurs hôtes, Joseph part devant et toque à la porte alors que je laisse s’évader mon regard sur les propriétés avoisinantes. Je vois des pères et leurs fils, travaillant main dans la main, ce simple spectacle me réchauffe le cœur… je me retourne et constate que Joseph est en pleine discussion avec un homme d’âge mûr. Je profite de mon instant de solitude pour vagabonder, et m’éloigne d’un pas distrait, sifflotant comme un gai pinçon.
J’entends alors un grognement de douleur et me retourne en direction de l’éclat de voix, un peu surpris. C’est là que je la vois… cette silhouette dans un champs adjacent, ce visage qui me laisse muet et immobile. Un homme est en train de faucher du blé, un jeune homme à ses côtés, ce dernier n’a même pas de barbe, ses traits sont encore ceux d’un enfant.
Je braque de nouveau mon regard sur l’homme, son visage me remémore une avalanche d’images… je suis happé par un tourbillon de souvenirs et de visions. Je reste immobile, les larmes perlent de mes yeux, se déversent sur mon visage et se perdent dans ma tunique. Mon corps est en proie à d’irrépressibles convulsions, mon âme elle-même est au supplice… Le voir a brutalement ravivé des enchaînements d’images qui se fichent en moi comme une pluie de flèches. La peine fait place à la douleur, puis à l’amertume, à la colère…
Ma mâchoire se crispe, mes poings se resserrent jusqu’à devenir blanc… quand je sens un soudain contact. Prune me serre dans ses bras et me demande ce qu’il y a. Je n’ose pas croiser son regard, lui murmure simplement que je veux être seul, d’une voix glaciale et sans appel. Elle grogne et me donne un coup dans l’épaule avant d’obtempérer et de me signaler que le repas sera bientôt prêt, qu’elle reviendra me chercher une fois servi. J’hoche de la tête sans la regarder, les yeux toujours fixés sur cet homme et son fils.
Je ne pensais pas que le revoir m’ébranlerait ainsi mais je ressens une certaine euphorie à cette idée malgré tout. Je vais enfin pouvoir les confronter… depuis tout ce temps. J’exécute quelques pas hésitant, mon ventre se noue… Je suis perdu, totalement confus… j’ai envie d’agir, de me venger… et pourtant quelque chose me retient… Je ne sais comment réagir, tiraillé par des choix opposés.
(Père…)J’ai en face de moi l’un des responsables de ma chienne de vie. Lui et ma mère, eux, qui m’ont vendu… eux qui ne m’ont pas laissé de véritable chance… Plus je ressasse mon ressentiment, plus la colère enfle. J’essaie de la canaliser avec peine et recommence à m’approcher, pas par pas. Je m’arrête à quelques mètres de lui, le dévisage, sans mot dire.
Je le vois qui scrute mon visage, ses yeux s’écarquillent sous le poids de la compréhension, sa bouche reste grande ouverte alors que nous échangeons nos regards.
« Bonjour… père. » prononcé-je dans un murmure à peine audible.
Il déglutit et prend son fils par l’épaule. Il n’ose rien dire et se contente de trembler, toujours en me fixant.
« Est-ce mon petit frère ? Vous ne l’avez pas encore vendu ? » lui demandé-je en sifflant, d’un ton accusateur.
Mon père demeure prostré dans son silence et j’en profite pour le détailler. L’âge ne l’a pas épargné, ses cheveux, sa grande barbe tressée, tout est d’un blanc poudreux. Son visage est constellé de rides qui viennent parfaire le portrait de ce vieux croulant. Pourtant il a toujours cette posture droite, si fière… La haine prolifère à nouveau et me sentant sur le point de céder, ordonne à mon père et à son rejeton de me conduire à l’intérieur. Ce pochtron n’ose pas protester et en soupirant tristement, me mène vers cette demeure que je n’ai jamais connue. Mes parents n’étaient pas encore établis ici quand ils m’ont vendu… et ils osent procréer à nouveau… après s’être débarrassé de moi…
Le feu qui me dévore devient un véritable incendie… Je sens déjà l’influence du fluide sombre… ses tentacules percent ma fragile muraille, s’infiltrent et me contamine. Je pénètre en dernier dans la modeste chaumière et découvre ma mère, assise tranquillement tout en sirotant un verre de son thé si fade. Elle laisse tomber sa tasse qui se brise au sol avec fracas, aspergeant le sol au passage, en me voyant arriver. Son visage se mue en un masque d’horreur et se fige. Mon père va s’installer face à moi, à côté de sa chère et tendre… le gamin lui essaie de les rejoindre mais ma main se pose fermement sur son épaule et je l’empêche de bouger.
« Alors… cela fait bien longtemps, n’est-ce pas ? » prononcé-je sur un ton de conversation.
Mon cœur bat, à chaque pulsation s’étend le fluide sombre.
« J’ai longtemps rêvé de ce moment vous savez… vous revoir, vous, qui avez gâché ma vie, qui m’avez vendu en pâture à de vils pirates ! » m’indigné-je.
Mon ton monte, je deviens plus agressif alors que la tension devient palpable.
Mon père prend enfin la parole, il me supplie de leur pardonner, de partir, de les laisser en paix. Je souris à l’entente de cette supplique et aussitôt réplique :
« Et moi ? Vous m’en avez laissé une, de chance ? Vous m’avez vendu putain ! J’ai dû vendre mon corps, fouler au pied ma dignité pour survivre dans ce cloaque qu’est Darhàm… et vous pensez que je vais repartir, comme ça ? »D’un coup de pied je referme la porte et dans un même mouvement envoie bouler le gamin aux pieds de mes parents. Je les observe tour à tour et jubile intérieurement. Ils sont enfin à ma portée, je vais enfin pouvoir me venger… Soucieux de bien faire, je laisse en toute impunité le fluide sombre me submerger. Cette fois il n’a même pas à lutter et avec célérité, se déverse en moi, me domine totalement…
Tout devient plus clair… les monstres qu’ils sont, ils méritent ce qui va leur arriver. Et ce gamin… ce gamin va devoir apprendre à vivre sans eux. Cette punition est je le sais, pire encore que celle qu’attend nos parents. Car tandis qu’ils seront libérés de toute contrainte, non sans souffrir avant… lui va devoir apprendre à survivre, seul, sans repère, tout comme moi à l’époque… Peut-être est-ce la jalousie qui me fait agir ainsi mais j’y trouve un divin plaisir, si sublime que j’ai envie d’en pleurer…
J’invoque une main sombre qui flanque à chacun un solide coup dans la mâchoire et après m’être approché, je saisis un couteau à pain sur la table et m’affaire à… faire en sorte que mes vieux ne parlent plus jamais, leur tranchant les cordes vocales. Un flot de sang gicle quand je tranche la chair si fragile des gorges... Je savoure la magie de l'instant, me sens en parfaite harmonie avec le monde... La bête ronronne en moi, elle me susurre de continuer...
Je m’approche ensuite du gamin et le rosse sauvagement jusqu’à ce qu’il perde conscience. Sa peau devient violette par endroit et son visage est tuméfié, la peau par de multiples endroit gonfle. Son nez est réduit à une petite feinte par laquelle s'échappe l'air dans un faible sifflement. Il remue un peu mais conserve les yeux clos, toujours à terre dans une posture miséreuse...
Satisfait de mon œuvre, je reporte mon attention vers mes parents qui gesticulent. Ils ont l’air de souffrir atrocement, dès qu’ils essaient de parler, ce sont des bulles à la teinte écarlates et des gerbes de sang qui sortent… Les voir comme ça, dans une telle position de faiblesse me ravit au plus haut point, j'exulte de plaisir en contemplant mes géniteurs devenir des déchets, des loques...
Je prends une chaise que j’installe devant eux et m’y installe. Je croise ensuite les doigts et pose mon menton dessus en observant mes parents.
« Par qui je commence… ? Toi le vieux ? Ou toi, chère maman que j’aime tant ? »Je tremble d’excitation et tel le prédateur, passe ma langue sur mes lèvres, dévoilant mes dents dans un sourire sinistre et inquiétant. Ma main sombre est toujours là, d’une directive je lui fais comprendre ma volonté et elle se précipite sur ma mère, lui tenant les cheveux et la forçant à se redresser. La pauvre se tient la gorge dans un geste illusoire, je nettoie le sang du couteau sur sa robe pastel avant de l’enfoncer dans sa panse. Je me trouve obligé de la soutenir pour qu’elle ne s’écroule pas. Ses jambes tressaillent, alors que je plonge mon regard dans le sien. Ses yeux me supplient d’arrêter mais la bête rugit en moi. Elle veut prolonger son plaisir… et je ne suis que son esclave, le réceptacle de sa haine.
Je remue le couteau dans la plaie, l’extraie avant de le replonger compulsivement. Je larde son corps, le corps de ma mère, de tant de coups que son corps m’échappe, rendu glissant par tout ce sang qui s’échappe. Elle ne bouge plus… ne m’intéresse plus.
Je me tourne alors vers mon père qui pleure à chaude larme en contemplant son épouse. Lui aussi se tient la gorge dans un geste désespéré… mais il n’a même pas essayé de fuir… je m’énerve en le voyant qui ne réagit pas… il ne me regarde même pas… Je lui enfonce un coup de pied rageur dans le torse et il se recroqueville, tremblant comme une feuille.
« Regarde-moi putain ! Regarde-moi ! Je suis ton fils ! Ton sang, ta semence ! Ta création ! Regarde -moi bordel ! » achevé-je en lui flanquant un nouveau coup dans le ventre.
Mais le coquin ne veut pas me regarder, il s’obstine à pleurer en regardant celle qu’il aime passer de vie à trépas. Je m’approche et m’abaisse à sa hauteur, le couteau toujours dans la main… Je lui prends sa tête, l’oblige à me fixer, moi, l’objet de sa futur mort…
« Contemple les conséquences de ton acte vieil homme… contemple les depuis l’outre-tombe. »Je me sers du couteau et extraie ses yeux dont l’un d’eux se ratatine entre mes doigts. C’en est trop pour l’homme dont le sang inonde maintenant son visage. Il essaie de crier mais aucun son ne parvient à sortir… Je hurle alors à la mort, et lui plonge le couteau en travers du cœur, le laissant ficher dedans. Je me recule alors de quelque pas, tremblant.
Le fluide sombre, constatant que la boucherie est terminée se retire vivement et me laisse de nouveau seul avec moi-même… Je ressens alors une profonde vacuité… Je pensais que cet acte me délivrerait mais il n’en est rien… je me sens seulement coupable… honteux…
(Je n’aurais pas dû les tuer… j’aurais simplement dû passer mon chemin… la vengeance me laisse un goût amer dans la bouche… je ne parviens pas à savourer cet instant… et que vais-je faire de mon frère ?)Je le regarde alors avec un œil nouveau, ne voit en lui qu’innocence et comprend qu’il n’est qu’une victime… Mais que faire maintenant que j’ai tué nos parents… quel avenir pour lui… je déglutis, ravalant ma bile au passage et m’approche de l’enfant, je me baisse à sa hauteur, lui caresse le visage…
« Je suis désolé… » lui murmuré-je avant d’emmagasiner de l’énergie dans ma main.
J’invoque alors une nouvelle main sombre, et cette dernière accomplit sa tâche sans que je ne trouve le courage de regarder. Je préfère lui tourner le dos et commence à déambuler vers la sortie, la gorge nouée, les yeux embués de larmes chaudes et salées. Je suis encore sous le choc quand je sors dehors… Il pleut et les gouttes frappent mon corps. Le ciel lui-même pleure la perte d'une âme si innocente, celle de mon si jeune frère... un être que jamais je ne pourrais connaître... il était lui aussi une victime et je l'ai exécuté froidement... Il était mon frère, avec lui je partageais mon sang, ma chair...
(Et je l'ai tué...)J’entends alors mon nom prononcé à la hâte et distingue une forme qui s’élance vers moi.
(Prune…)La voleuse m’accoste et s’apprête à m’incendier quand son visage se fige à la vue de tout ce sang. Elle soupire et me force à m’asseoir dans l’herbe haute. Avec l’aide d’un chiffon elle me nettoie le visage et m’oblige à me dévêtir partiellement. Elle se défait ensuite de sa cape qu’elle me force à enfiler avant de me lever.
« Tu vas devoir tout me raconter. En détails. Je veux savoir ce qui s’est passé. Tu as disparu, on s’est inquiété. »J’essaie de lui répondre mais les mots restent bloqués dans ma gorge et je tombe à genoux, pleurant une nouvelle fois et engouffrant mon visage dans mes mains. Prune soupire à nouveau et me demande de rester là. Je l’entends qui s’éloigne à vive allure. Elle ne revient que cinq minutes plus tard avant de m’empoigner et de me braver du regard.
« Pourquoi Insanis… ? Pourquoi avoir tué ces innocents, ces simples paysans ? »Je sais que je suis obligé de lui répondre et lui confesse tout. Qu’ils sont mes parents, que j’ai été vendu à des pirates, devenant par la même occasion un homme-pute… Je lui explique que quand je les ai revus, je n’ai pas pu m’empêcher d’agir…
« Même si je regrette amèrement de les avoir tué maintenant… je me sens si vide… si coupable. »Prune me serre dans ses bras et m’assure comprendre.
« Bon, ce n’est pas joli bien sûr… et il ne va pas falloir s’éterniser ici. Si des gens découvrent ça, on va être sur la liste des suspects en tant qu’étranger. Dans ce genre de communauté, c’est toujours la faute aux étrangers de toute façon... »J’acquiesce, muet, et me contente de la suivre tandis qu’elle trace un détour pour éviter la maison où réside temporairement Joseph et Cornélia. Il est selon elle plus prudent de partir sans dire au revoir… tout de suite, sans se faire remarquer. Je la suis sans broncher sur le chemin de terre qui mène vers l’extérieur du hameau, en direction de Valtordu qui d’après Joseph, n’est pas très loin d’un immense labyrinthe avec en son centre un grand castel. Il n’en connaissait pas le nom mais je suis sûr que c’est celui que je cherche, celui où réside Vahalat.
J’essaie de ne plus penser à la mort de mes parents mais de sombres pensées m’assaillent tout le long du trajet et je préfère rester silencieux malgré les tentatives de Prune à engager le dialogue.