Toujours porteur de son étrange sourire, il s’approcha de moi en déclarant :
« Alors ? Comment c’était d’être livré à toi-même pendant une dizaine de jours ? Je t’ai observé tu sais et je dois te féliciter de ta réaction. Beaucoup d’apprenti passe tout leur temps à nous chercher vainement. »
(Comment ? Je ne suis resté que dix jours seul ?! J’avais pourtant la sensation de mois voir d’années…)
«-Comment est il possible que seulement dix jours soient passés ? J’ai l’impression d’avoir passé beaucoup plus de temps seul, j’ai d’ailleurs pratiqué trop de cycles pour une dizaine de jours… A chaque fois je m’endormais épuisé et me réveillais en pleine forme… -Justement, tout cela vient du sommeil. Ethernia a des pouvoirs que tu n’imaginerais même pas et sous son influence, ton corps se régénérait à grande vitesse. Ainsi une longue nuit de sommeil devient une sieste d’une demi heures. Comprends tu maintenant comment tu as peu t’entraîner autant en si peu de temps ? »
J’acquiesçai vaguement. J’avais du mal à croire ce qu’il m’avait dit. C’était fort tout de même ! Même venant d’Ethernia… et pourtant, la connaissant un peu, je pouvais la croire capable d’un tel prodige. D’un geste de la main, il m’invita à le suivre et s’en alla se placer au centre du cercle de combat. Il se tenait immobile, me fixant d’un regard vide ; comme s’il attendait quelque chose de ma part… Ah oui ! Je devais arriver à le toucher au visage…. Un objectif situé bien loin du sol.
(Réfléchis ! Je ne dois pas encore foncer tête baisser. )
Je lui rendais son regard depuis quelques minutes déjà quand j’optai pour une stratégie. Je me mis à marcher vers Barald, approchant d’un air innocent et refoulant mes envies de meurtres. Une lueur fugace de surprise passa sur le visage de mon instructeur et, bien qu’il l’effaçât instantanément, je le pris comme une petite victoire.
(Être imprévisible, surprendre l’adversaire)
Je continuai jusqu’à ce que nous soyons si proches que je pouvais sentir son haleine et là, je m’arrêtai, plongeai mon regard dans ses yeux sombres tandis que… mon poing droit décrivait une ample courbe hors de son champs de vision avec pour but d’atteindre sa tempe. J’avais donné mon coup avec toute ma force et mon poing ne rencontra … que du vide. Barald avait fait un pas en arrière. Un simple pas qui donnait mon attaque la même efficacité qu’un courant d’air.
(Comment a-t-il bien pu la voir ?!! Il l’aurait… sentit ?! Non… Bon, tentons autre chose)
Durant mon entraînement solitaire, j’avais souvent simulé ce combat et avais trouvé un certain nombre de frappes intéressantes. Je laissai donc l’élan de mon premier coup m’emporter tout en accélérant la force centrifuge et alors qu’en pleine rotation, je donnais du dos à mon adversaire, j’envoyai mon poing gauche vers sa tête… Répétition de la scène précédente. Barald fit un autre pas en arrière, regardant ma main lui rafraîchir le visage. Déception, colère. Je continuai à enchaîner les coups… gauches, droites, atémis, coups de paumes et lui, continuait à faire un pas en arrière pour chacun de mes coups. Même que certaines fois, il se contentait de tourner la tête pour esquiver, comble de l’humiliation pour moi. Je pris conscience que mon maître auxiliaire était véritablement impressionnant… pouvoir éviter entièrement cette succession d’attaques rapides avec autant d’aisance. Il prenait même la peine de se replacer au centre du cercle tout en m’évitant… Je m’acharnai, tenant à l’idée que si j’envoyai un nombre de coup suffisant, l’un d’entre eux toucherait. Et la ridicule poursuite continua, encore et encore, la même corrida où je continuai à frapper comme une bête et lui, l’homme évolué, m’évitait sans cesse. Cette danse burlesque dura longtemps, trop longtemps… si longtemps que l’on pouvait prouver que le ridicule ne tuait pas… mais je finis par m’arrêter, épuisé, le souffle court et les épaules en feu. Barald me lança un regard amusé avant de lancer :
« Ce n’est pas en frappant comme ça que tu me toucheras. Réfléchis donc, regarde toi, on dirait un ours lourd et maladroit. Tu frappes avec toute ta force en donnant des coups si amples… il est certain que si l’un d’eux m’atteint, je serais mal en point mais tu crois vraiment que l’un d’entre eux a ne serais-ce qu’une chance de me toucher ? Réfléchis un peu nom de Phaitos !! Tu n’as donc rien appris d’Ehternia ! »
Ce qui me semblait être une moquerie se transforma vite en remontrance puis en conseil. Qu’avais-je appris d’elle ? Beaucoup ! Mais, je n’avais hélas pas encore tout assimilé. Qu’avait-elle dit qui me servirait maintenant… Je revoyais ma dernière conversation avec elle et soudain, ça me sauta aux yeux, ou plutôt aux oreilles…
(« Nous, arpenteurs de la Voie, n’avons pas une force impressionnante… Nous attaquons de façon réfléchie, en visant les points faibles de l’adversaire… . La force avec laquelle nous frappons n’est pas importante. Ce qui compte est notre vitesse d’exécution. Notre capacité à nous mettre en mouvement sans aucun geste préalable, transformant immobilité en geste meurtrier… »)
Quel imbécile je faisais… Elle m’avait précisément indiqué comment je devrais me battre et j’avais pratiqué l’opposé de cette sagesse. Mon regard s’éclaira, mon torse se redressa et je mis dans une position que je sentais d’instinct comme la plus adapté à cette manière de combattre. Jambe gauche devant moi légèrement fléchie, la jambe droite tendue soutenant mon corps, mon torse arqué vers mon adversaire et mes mains proches l’une de l’autre, prêtent à frapper, à mordre et à déchirer la chair…
Je m’élançai vivement vers Barald et commençai à frapper, vif comme un fauve. Je ne mettais plus de force réel dans mes coups, utilisant mes muscles pour toucher le plus vite possible. Ma première attaque fut à la fois rapide et surprenante. J’envoyai mes mains se refermer d’une part et d’autre de son crâne comme la mâchoire d’un loup et, alors que Barald esquissait un nouveau pas en arrière, je fis un pas en avant, suivant son élan et mon coup… ne porta pas. Il avait utilisé ses bras pour se défendre et je fus ravi de ce grand progrès. Ragaillardi, j’enchaînai les attaques tranchantes, mordantes et contondantes en variant sans cesses mes enchaînements et, au fur à mesure que je combattais, j’en trouvai d’autres, plus complexe…
Combattre, Infinité de mouvements, Voie
Je ne faisais pas que frapper, je lui tournais autour pour attaquer sur les cotés et l’arrière de sa tête, l’obligeant à se tournoyer pour parer mes attaques. Frappes, esquives. Vitesse contre parades… Il avait le grand avantage de toujours savoir quelle serait ma cible…
(C’est ça ! Défendre uniquement sa tête est plutôt facile mais s’il devait esquiver des coups visant tout son corps, ça lui complexera la tâche. Je dois le frapper au corps !!!)
Et joignant le geste à la pensée, alors qu’il me dégageait les bras en arrières d’une violente parade, je lui décochai un puissant coup de genou dans l’entrejambe. Surpris, il dû bondir en arrière pour éviter le choc. Ses lèvres s’étirèrent plus franchement comme pour me dire que j’étais sur la bonne voie. Ne m’arrêtant pas, j’envoyai désormais bras et jambes assaillir ce géant félin qui jouait avec moi. Pluie de coup sans fin, je ne m’en lassais pas. J’expédiai une gauche au corps qu’il arrêta aussitôt puis dans la foulée, j’engouffrai ma droite dans sa défense ouverte. Il put le parer de sa main libre mais j’avais compris le truc. Mon panel d’attaques s’étant immensément agrandi, je tentai de le faucher d’un balayage qu’il esquivât en sautant, j’essayai d’une double attaque au thorax et à l’abdomen qu’il parât des deux mains. Coups de coudes, de pieds… Frappes de la paume et du poing… Attaques tranchantes et assommantes…
Je n’avais de cesse de frapper partout, pénétrant chaque ouverture, exploitant chaque faiblesse et Barald esquivait toujours, parait bondissait, sautait, montrant des capacités défensives toujours plus impressionnantes. Durant ce combat, un plaisir étrange naquit en moi. Un sentiment confus au contour incertain qui pourtant menaçait d’éclater tout instant. J’étais… transcendé. Une impression si puissante que je devais me forcer à contenir pour qu’elle n’emporte pas mon âme. Cet entraînement… me guidait, m’approchait du début de la Voie et les mots d’Ethernia se transformaient en actes, actes qui imprimaient leurs messages dans mon corps, corps qui murmurait à mon âme ce qu’il apprenait…
Apprentissage sans fin, Potentiel infini, Expérience
Des centaines de coups plus tard, mon corps m’arrêta, incapable de continuer. Mes bras et mes épaules étaient anesthésiés tandis que mes poings et pieds ensanglantés m’arrachaient des larmes de douleur :
« Je voudrais… prendre une pose…s’il vous plait maître. »
Il me jeta un regard vide avant de hocher la tête. Je m’en retournais vers la combe/lit pour m’allonger tandis qu’il dit d’un ton des plus sérieux :
« Jeune apprenti. Tu es sur la bonne voie. Il te manque cependant encore quelque chose. Je vais te donner un conseil et ne reviens pas me voir avant d’avoir une réponse… Tu dois trouver un moyen de frapper sans frapper. »
(Quoi ? comment ça frapper sans frapper ?? ce conseil ne veut rien dire…)
Pendant mon repos, alors que j’aurai du chercher à dormir, je ne pouvais m’empêcher de réfléchir à cet étrange conseil. Frappé sans frapper, porter un coup sans en donner… c’était complètement paradoxale comme idée. Evidemment, si je trouvais un moyen de le faire ça m’aiderait mais c’était impossible à réaliser à moins d’être magicien. Or, j’étais un assassin ou du moins, un apprenti assassin et…
(C’est ça ! Un apprenti assassin… ça voudrait donc dire qu’un véritable assassin est capable de le faire or, un assassin n’use pas de magie. Ça doit avoir une signification moins grandiloquente… quelque chose que je pourrais réutiliser en combat, un mouvement qui donne… l’impression de frapper ? Mais oui, si je fais semblant de donner un coup, et si c’est bien réaliser, mon adversaire croira à un vrai coup. On peut donc dire que je frappe sans frapper…)
C’était donc de la feinte qu’il s’agissait, du moins, je le pensais et, enfin apaisé d’avoir trouvé une réponse, je sombrai tranquillement dans les ténèbres du sommeil. Une seconde plus tard, Barald me cogna la tête :
« Allez, debout fainéant ! T’as bien assez dormi comme ça et puis… j’en ai assez d’attendre. Mais dis moi, as-tu trouvé la réponse ? »
Il avait l’air tout content de pouvoir me maltraiter de la sorte et moi, groggy par le peu de sommeil qu’il m’avait accordé, l’écoutais à moitié justifier son acte. A sa question, je répondis par un petit sourire et sur ce il m’entraîna au cercle sans même me laisser le temps de réellement me réveiller :
« Allez, attaques ! »
Oubliant les plaintes de mon corps, focalisant mon esprit à nouveau sur l’entraînement, je le regardai droit dans les yeux en prenant ma position de combat puis, je m’élançai. Gardant en tête la fameuse réponse, je l’attaquais de le même manière qu’avant, frappant au corps, à la tête, en haut, en bas, à droite, à gauche et alors, dans ce qui semblait l’exacte copie de mon dernier combat, j’introduisis la variation… Une gauche au corps partit violemment pour s’arrêter aussitôt, à mi-distance, et au même moment, ma droite s’envola vers le visage du géant. Il l’esquiva d’une rotation de la tête mais un sourire approbateur se dessina sur son visage. J’avais mal réalisé ma feinte en envoyant ma droite tard mais ce sourire confirmait ma réponse. Ravis d’avoir trouvé juste, je me jetai sur lui…. Un crochet fusa sur son flanc droit mais alors qu’il allait le bloquer, je transformai mon geste en un coup de coude visant le visage. Là encore, je fus maladroit et il m’évita sans peine mais sans me décourager, je continuai à expérimenter cette nouvelle arme, ce qui était pour moi comme rajouter une corde à un instrument auquel elle manquait… Ma nouvelle gamme d’attaque m’impressionnait et je me surprenais moi-même par des mouvements auquel je n’aurais jamais pensé avant. Feinte, un mot, un geste, une ouverture… Je me mouvais sans cesse, contorsionnant mon corps de manière à tout essayer. Ainsi j’apprenais, de chaque échec, attaques manquées et feintes défaillantes. Chacun de ces coups ratés étaient une progression qui me conduisait à un style… mon propre style de combat et toutes ces expériences me permirent vite de trouver des feintes plus efficaces et de les améliorer encore. Des feintes qui ne nécessitaient que très peu de mouvements… Mon épaule gauche s’agitait brusquement et c’était mes jambes ou ma droite qui frappaient. Un pas à droite et c’était un coup à gauche. Un regard vers son torse pour une attaque sur son abdomen. Je me mis à feinter à chacun de mes coups, ne faisant pendant un certain temps aucune frappe directe et je pus profiter d’un nouvel élément. La feinte dans la feinte. Barald s’habituait tellement à ce que je feinte avant de frapper qu’il ne prêtait presque plus attention à mes coups « normaux » et c’est à ce moment là où après une trentaine d’échanges toujours ponctués de feintes, que je ne feintai pas et touchai Barald. C’était ce que j’appelais une griffure. Un coup où la main était à moitié refermée et où tous les doigts formaient des crochets. Un simple coup qui visait la joue pour à la fois cogner et griffer.
Barald était tellement pris au rythme feinte/attaque que son cerveau avait dût instantanément enregistrer cette frappe comme étant une feinte et ne l’avait ainsi pas pris en compte dans les sa défense. Et ce fut l’impact.
(Ah, c’est possible de la toucher alors…)
Ce fut ma première pensée. La seconde fut la joie d’avoir réussi. La troisième était quand à elle une autre pensée de surprise.
(Pourquoi est-ce que j’ai mal ?)
J’étais allongé et je regardais le ciel.
(Que s’est-il passé ?)
Barald me regardait mi-fier, mi-surpris. Sa joue gauche était un tantinet rougie mais il ne semblait pas avoir souffert plus que ça de mon coup. Sa main droite était encore pliée, j’en déduisis qu’il m’avait frappé avec elle juste après que je l’ai touché :
« Bien joué ! Tu m’as bien eus ce coup-ci. M’habituer à un rythme précis que tu as rompu dès qu’il le fallait. Ça faisait bien longtemps qu’on ne me l’avait pas faite celle là. »
(J’ai pas fait exprès de créer ce rythme… Bah, au moins j’ai appris quelque chose.)
« Quoi qu’il en soit, tu as réussi, tu m’as touché au visage. Désolé au passage pour mon contre, un vieux réflexe. Maintenant que tu as appris à attaquer, nous allons nous battre pendant une petite semaine. Tu devras te lever, te battre contre moi, t’entraîner, manger et te reposer à nouveau. Tu vas voir. Survis à une semaine de combat intensif avec moi et tu commenceras à tenir de l’assassin. »
Je n’en croyais pas mes oreilles… ces deux cycles de combat avec lui m’avait semblé plus long que les dix jours d’entraînement et maintenant, il m’annonçait que j’allais devoir subir une semaine avec lui.
(Survis qu’il a dit… survis.)
Je me retournai vers la combe/lit, redoutant déjà le réveil. J’étais par ailleurs épuisé par mon long entraînement me rendant compte que c’était l’excitation et l’exaltation du combat qui m’avaient tenu éveillé… :
« Ah ne crois pas t’en tirer comme ça ! Tu vas d’abord allez me faire un petit cycle d’entraînement avant de te coucher et t’as intérêt à courir. Tu aspires à devenir un assassin non ? Souviens toi ! Un assassin cherche toujours à dépasser ses limites. »
Je crus faire un cauchemar après son ordre mais la question rhétorique qui suivit capta mon attention et ranima ma volonté.
(Toujours me rappeler de mes objectifs quand je suis faible !! Devenir un assassin accompli, gravir la voie, servir Phaitos et rendre fier de moi Althan et Ethernia !!!)
Je vis aussi que Barald n’avait pas une goutte de sueur sur le front après tout les coups qu’il avait paré et esquivé… Je pris alors conscience de l’incroyable endurance de cet homme. Il était complet. Il possédait force, vitesse, dextérité, agilité, endurance et expérience. Un véritable assassin. Plus résolu que jamais, je mis à m’entraîner avec hargne, repoussant toujours les limites de la douleur, combattant cette douleur par ma détermination. Pompes, tractions, abdominaux puis les étirements… C’étaient le meilleur passage des cycles, seule phase où la douleur refluait au lieu d’augmenter, où l’âme s’apaisait au lieu d’être mise à vif. Le cœur calmé, l’âme en paix, je commençai à trottiner autour de l’aire. Je commençai à être fatigué… très fatigué… trop fatigué… Le regard trouble, je m’arrêtai près de la combe lit pour pouvoir enfin dormir…
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-Nous, assassins, ne rendons de culte qu’a Phaitos, le dieu de la mort.
-Pourquoi lui rendre un culte ? -Il est le dieu de la mort et nous la semons. Nous sommes ses envoyés.
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