Les gardes à l’entrée de la milice me font entrer avec diligence et m’indiquent le chemin de la cave, si je souhaite discuter avec la personne en charge. Le lieu indiqué me parait incongru, j’ai toujours cru que les sédentaires préféraient faire leurs lieux de vie dans les hauteurs, plutôt que dans les sous-sols. Mais peut-être est-ce là seulement une question de culture. Cependant je commence vite à déchanter en passant devant les salles d’interrogatoire et ce qui ressemble à des cellules, m’enfonçant toujours plus dans l’humidité des caves. Que font-ils dans de tels lieux ?
Je continue à descendre, croisant plusieurs postes de garde. Plus le temps passe, et plus me voilà intriguée. J’aboutis finalement dans un long tunnel, fort large, pourvu de portes barrées munies de cadenas. D’autres cellules ? Devant l’une d’elles se trouve un homme.
Cet homme ressemble tant à mon frère que sa vision en devient poignante. Oh, ils n'ont certes rien en commun en apparence, mais ils ont ce quelque chose dans leur prestance, dans l'autorité qu'ils dégagent qui se ressemble. Je me ressaisis, car je suis encore une femme des Dunes, une princesse du désert, et que j'appartiens à un peuple fier qui ne se laisse pas aisément dominer par ses sentiments. Il m’adresse quelques paroles d’une voix ferme, une voix assurément habituée à se faire obéir.
Si en apparence, j'écoute calmement les paroles de l'ynorien, la réalité est toute autre, car mon coeur, lui, se déchire à ses premiers mots. Aliaénon ? Une autre planète ? Je l'ignorais, pas une fois les personnes que j'ai croisées lors de mon court périple ne l'ont mentionné. D'un déracinement, me retrouvant dans une culture étrangère, avec un peuple étranger, je passe à un monde qui n'aura rien à voir avec le mien, où même les règles que je pensais immuables n'auront peut-être pas court. Après tout, qu'importe, que je doive mourir ici ou ailleurs, cela n'aura guère d'importance. Ou cela en a-t-il ?
L'homme s'approche de moi, me regardant droit dans les yeux et prend une voix adoucie pour prononcer ses quelques prochains mots, augurant des dangers auxquels je m'exposerai en me rendant sur cette autre planète. Je soutiens son regard et écoute ses paroles qui achèvent de me convaincre.
Lorsqu'il eut terminé sa tirade, je m'avance à mon tour d'un pas, réduisant la distance qui nous sépare. J'ai le port altier des femmes du désert et dans les yeux une lueur farouche lorsque je les rive aux siens.
- Mon peuple s'est fait massacré sous mes yeux. J'ai contemplé le cadavre décapité de mon père et celui, profané, de mon futur époux. J'ai tué mes deux premiers hommes, dont l'un d'eux désarmé, ils étaient de ceux qui ont pillé, violé et assassinés les miens, et pourtant je les ai pleurés. J'ai fui dans le désert, dormi contre le flanc d'un cheval, le froid ankylosait mes membres et j’ai affronté la chaleur. J'ai contemplé la beauté des cieux, la beauté d'un monde dont j'ignorais tout pour me rendre dans une cité étrangère. Alors, oui, messire, oui, je suis prête à aller sur une autre planète et à en affronter les dangers. A n'en pas douter, j'y verrais des horreurs, des choses que jamais personne ne devrait avoir à contempler. Peut-être y découvrirai-je également la mort, mais je ne la crains pas, car alors mon heure sera venue.
» Mais peut-être y découvrirai-je également d'autres choses, de celles qui nous font vivre et espérer... Et peut-être pourrai-je éviter à d'autre de survivre à ce que j'ai vécu.
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