Et sitôt ma question posée, l'elfe à mes côtés renchérit avec la finesse d'un orque en rut, questionnant le capitaine et l'équipage tout entier. L'archère intervint elle aussi, reprenant les propos de son presque compatriote.
Je les regardai alors avec de grands yeux ahuris et amusés, essayant de comprendre l'enjeu de tout ceci et la nature réelle de leur relation. Mais ce fut la réaction du capitaine qui m'étonna le plus.
Il répondit …
Assaillie d'autant de questions de la part de parfaits étrangers je leur aurais pour ma part lancé un regard fatigué et les aurais expédiés loin de moi manu militari.
Il était loin d'être l'allié du maître que je soupçonnai. Il n'était là qu'à cause de l'amour qu'il portait à sa femme qui était comme nous sujet à l'incroyable influence que les colliers avaient sur nous. Elle avait dû lui faire part de l'extraordinaire sensation de puissance que nous ressentions tous. Il avait dû regarder un à un les porteurs venir à lui, lui qui n'avait pas eu droit à la générosité du maître alors qu'il était celui grâce à qui le voyage serait possible. Sa mauvaise humeur semblait cacher un océan de rancœur, de frustration, et qui sait, peut être même une certaine jalousie.
Je souris malgré moi devant son attitude, non par méchanceté, mais parce qu'il était sans doute le plus chanceux d'entre nous.
L'intervention de sa femme sembla le calmer et il partit vers l'aynore afin de finir les préparatifs. Je le suivis du regard jusqu'à ce qu'il disparaisse et le détournai ensuite vers sa femme, pensive. Une drôle d'idée me vint alors. Le maître n'était probablement pas le fou que son mari pensait, à distribuer des colliers comme des friandises … il en avait économisé un. Pourquoi gaspiller un collier ? La persuasion par l'amour était tout autant efficace.
L'elfe blanche était elle aussi intriguée par la réaction du capitaine mais ce fut un tout autre sujet qui sembla l'inquiéter. Pragmatique et réaliste elle se souciait de la présence de vivres à bord et je m'aperçus alors que je n'y avais pas pensé, tout comme sur les quais de Kendra Kar avant de partir comme maintenant vers je ne sais où, avec je ne sais qui.
Je haussais les épaules, ne partageant étonnamment pas l'inquiétude, pourtant justifiée, de l'elfe.
L'elfe gris de son coté avait un autre sujet d'intérêt, pour le moins étonnant. Il s'imposa une nouvelle fois au groupe, nous demandant à tous de nous présenter et ce afin de faciliter la cohabitation durant le voyage.
Pour ma part, les gens pouvaient bien m'appeler comme ils le voulaient je m'en contrefichai, mais cela semblait lui tenir à cœur. Je lui répondis en tête à tête.
- Le mien est Madoka. Et soudain, sans trop savoir pourquoi, je repensai aux premières heures sur le pont du rubis sanglant, à ma rencontre avec Fino, Glenor et Pragatt' et ce qu'il advint d'eux.
Mais les dernières personnes avec qui j'ai passé pas mal de temps en voyage ont tout perdu ou presque, et pour une majorité, ce fut la vie. Aussi, étant donné que vous m'êtes sympathique, je ne vais pas trop m'attarder.
Je lui tournai ensuite le dos et m'installai à l'écart afin d'observer plus sérieusement les faits et gestes de chacun.