Les yeux levés vers la cascade, je ne me rends compte que trop tard de l’apparition divine qui nait de l’étang devant moi. Alors que je baisse mes yeux vers sa beauté irréelle, croisant les courbes agréables de son corps des yeux en déjouant les flots du châle liquide qui l’habille, mais si peu, elle se met à parler d’une voix cristalline et délicate, qui tinte comme le doux coulis d’une rivière dans mon ouïe séduite…
(Oh ça va, on a compris, tu craque quoi.)
(Mais… quel manque de poésie !)
L’idéale beauté aquatique énonce des évidences flagrantes, qui selon l’expression, plus qu’opportune ici, coulent de source. Le nuage est son amant transi, lui qui l’a sans doute laissé s’échapper de ses filets de brume, cette eau incontrôlable, cette ondée délicate, il y a fort longtemps. La gratitude semble faire partie des préceptes aqueux, puisqu’elle ne reste pas inactive face à notre demande d’aide. Légère et fluide, elle nous déclame conseils avisés et paroles réconfortantes. Elle va même jusqu’à nous donner un merveilleux présent, l’étole liquide qui la couvrait si peu, et qui ne la couvre désormais plus du tout, afin qu’on l’appose sur le visage sans doute enfiévré de son collègue de métal.
(Élémentaire de métal ? C’est pas le type avec ses deux bras aiguisés comme des lames au moins ?)
(Tu trouves qu’il avait une tronche d’élémentaire ?)
(Dur à dire, il n’avait pas de visage…)
Le silence consterné de Lysis m’évoque la bêtise de ma précédente pensée. Si son être était rempli d’acide, sa peau ne semblait en rien faite de métal, même en fusion, et c’est fort aise que je repars à ma béate contemplation. En effet, le corps de la nymphe des eaux est désormais tout entier offert à mon regard désireux de parcourir longuement son anatomie aqueuse et svelte, ses hanches appréhensibles que mes mains voudraient agripper, sa poitrine délicate où déposer des baisers, la chute de ses cheveux sur les côtes dessinées… Une vague de désir s’empare de moi, inondant toute la pièce d’un délicat parfum de rose fraichement coupée, aux pétales aussi rouge que le sang qui bat dans mes tempes de manière sourde et rythmique.
Et puis, le rêve se poursuit, lorsque la divine apparition fait volte face pour s’enfoncer lentement dans l’étang qui l’a vue naître. Mon regard dégringole tout le long de sa colonne vertébrale cambrée pour finalement se perdre sur sa chute de reins, et la cascade de désir se prolonge un instant encore, alors qu’elle plonge dans son élément, laissant à ma rétine un souvenir mémorable…
Derrière moi, Sidë semble nettement moins conquise, et m’apostrophe pour me tirer de ma béate rêverie…
« Bon, on y va ? »
Sans m’en rendre compte, je suis resté immobile et contemplatif d’un souvenir éternel pendant plusieurs secondes, et quand enfin je me tourne vers ma compagne, mon sourire niais la fait hausser les épaules.
« Ben voyons, il ne manquait plus que ça. Vous êtes vraiment tous les mêmes… »
Sans comprendre le sens de sa remarque, je ramasse le délicat tissu liquide et le porte à mon visage comme si je cherchais à m’en imprégner, à sentir en vain l’odeur d’Ondine, la nymphe des eaux. Quelques secondes passent encore avant que je ne passe l’étole autours de mon cou, comme une écharpe précieuse que l’on m’aurait confiée. Sidë, elle, se contente de taper du pied, et enfin, grimaçant sous son impatience incompréhensive, je me dirige vers le couloir qui, selon les paroles de la belle élémentaire, recèlerait monts et merveilles…
Suivant ses conseils que je sais avisés, je plaque mon regard sur les dalles, au sol, et je marche sur les dalles prescrites, les cinq premières, et les trois dernières, évitant soigneusement la traitresse sixième. Alors, suivant toujours ses consignes, je frappe la suite logique qu’elle m’a confiée sur le mur de gauche : deux coups rapides, et un plus lent. Et à nouveau deux coups rapides, attendant impatiemment ce que l’habitante de l’endroit a bien pu nous révéler comme secret ancien caché…
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