Le mur qui s’ouvre dévoile bien vite son secret à nos yeux enfiévrés de curiosité. Mais là où je m’attendais à mille trésors de volupté, maintes richesses ou artefacts rares et précieux, livres anciens, pièces d’or, bijoux et joyaux, je ne vois qu’une salle de bain. Celle-ci est de taille respectable. C’est même la plus grande que j’ai jamais vue, avec un bassin rempli d’eau et de bulle d’où émanent la lueur bleutée d’un saphir, et une odeur délicate de rose. Les murs sont dans des tons chaleureux et un peu provocateurs, sans être toutefois agressifs. Elle est fastueuse et belle, mais ça n’en reste pas moins une salle de bain. Et pourtant, mon cœur ne se laisse aller à la déception. Au contraire, j’accueille cette apparition avec une certaine sérénité. Une paix de l’âme, un soulagement. Et les pensées rassérénantes que Lysis m’envoie pour m’assurer de la sécurité totale de l’endroit finissent par me satisfaire d’y pénétrer sans plus attendre.
L’air y est doux et paisible. Je m’y sens bien, revigoré et calmé en même temps. J’inspire et j’expire avec bonheur cette atmosphère si paisible, tellement loin de toute la dure réalité que je vis depuis peu. Cette violence perpétuelle, ces combats incessants, ces troubles, ces ennemis nombreux, ces intrigues obscures, ces vérités dramatiques… J’en oublie presque la tendresse, le calme, l’insouciance de mes débuts.
Visiblement, je ne suis pas le seul à trouver cette pièce à mon goût : mon elfe bleue de compagne d’aventure s’approche elle aussi du bassin, et se penche au dessus pour y tremper la main doucement, sans prêter attention à moi. Elle ôte alors doucement son armure, et ses armes pour les poser au sol, et se retrouve en large veste de satin, celle que nous a offerte le seigneur Marlak. J’entraperçois les formes de son corps se dessiner sous l’habit ample, et la courbe de ses épaules par son encolure large. Aussitôt, une odeur plus marquée de rose arrose la pièce, émanant directement de mon corps… Instinctivement, je pose la main sur la broche insérée dans mon corps, au niveau de mes côtes, juste sous la courbe de mon sein droit. Car oui, j’arbore encore et toujours la même physionomie que ma consœur Sidë.
Celle-ci se retourne d’ailleurs, et je vois un instant poindre une lueur de reproche dans ses yeux, de croiser ainsi mon regard sur elle. Mais l’instant d’après, ce regard noir s’adoucit, et elle se mordille les lèvres en me regardant de haut en bas. Se détournant de moi, elle ôte les habits qui lui restent avant de glisser rapidement, pudique, dans l’eau mousseuse. Elle disparait entièrement sous les bulles, et je suis pris d’une envie irrésistible de l’y suivre… ôtant à mon tour mes équipements, armes, sacs et trouvailles diverses, je me mets à nu, et glisse à mon tour dans l’élément aqueux…
Le frémissement des bulles sur ma peau bleutée est agréable, et chatouille un peu. Je marche dans le bain, mes mains flottant à la surface, sous les bulles, alors que seule ma tête dépasse de la mousse. Je ne vois pas Sidë, sans doute allongée dans une anfractuosité, ou baignant plus profondément dans le bain tiède et agréable. Mais alors que j’avance, je sens contre ma cuisse la douceur d’une autre peau que la mienne. Aussitôt, Sidë apparait à mon côté en se levant, visiblement tout aussi surprise que moi de m’effleurer de la sorte dans ce brouillard savonneux… Elle est nue, et proche. Si proche de moi, dans ce bain. Si accessible et si désirable. Tout est silencieux.
Mes yeux croisent les siens et s’y perdent, dans un océan ténébreux, une nuit sans lendemain, un puits sans fond. Quelques mèches rousses lui tombent sur le front, et je les écarte d’un revers de la main délicat. Ce contact bref semble la faire frissonner, vibrer intérieurement, et mes doigts se posent sur son bras, doucement. Elle ne dit rien. Elle ne réagit pas. Elle me fixe comme je la fixe, et nous nous regardons, silencieux et intimes. Sa peau est douce et voluptueuse, et mes yeux glissent sur ses lèvres entrouvertes, si désirables elles aussi. Sans aucune brusquerie, ni affront, je m’approche un peu plus d’elle, et alors que nos corps s’assemblent, se frôlent, se touchent, je l’embrasse. Rien n’est choquant, ça n’est que la suite du moment. Le baiser est d’abord doux, pudique, hésitant, comme un premier essai dans un domaine encore inexploré.
Et puis, le désir montant, et les effluves rosés aidant, il se fait plus présent, plus fébrile, plus assuré. Nos langues se mêlent et nos lèvres se caressent avec une passion inconnue encore. Je me sens bizarre, dans ce corps qui ne m’appartient pas, et que pourtant je partage avec son modèle, son égal. Comme si je partais en exploration de ce que je connaissais déjà, tout en étant totalement neuf et inconnu. Les sensations qui naissent dans mon bas-ventre me surprennent, accélèrent ma respiration. Cette chaleur montante, qui semble bouillir à l’intérieur… Et qui se répand petit à petit dans tout mon être. Ma poitrine, mes mains, ma bouche…
Ce moment d’intimes découvertes se prolonge, et jamais nos bras ne s’écartent l’un de l’autre. L’étreinte est douce, féminine, sans brutalité virile, sans prise de pouvoir sur l’autre. C’est un partage, juste un partage charnel, un partage de plaisir.
Et même après l’étreinte, nous restons enlacés, allongés près d’un rebord moins profond du bassin. Lorsque nos membres commencent à fourmiller, l’étreinte se défait d’elle-même, et nous sortons de l’eau pour nous rhabiller, silencieusement toujours, et sans se quitter du regard…
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