Souvenirs à caractères violents
Le vent sifflant à ses oreilles, caressant sa fourrure, le félin n’aurait su exprimer le sentiment grisant de liberté qui l’envahissait: cela faisait un jour que lui et son escorte avait quitté Kendra Kâr. L’appel de la guerre se faisait crescendo, plus rien ne pouvait arrêter le champion et ses hommes. Comme prévu, le Lieutenant Serjin avait choisi une cinquantaine de soldats triés sur le volet pour assister les forces du Nord. Si cette poignée de soldats ne pesait pas lourd dans les rangs, leurs mission principale était de protéger le woran neige. Mais agissant ainsi à ses côtés, ils ne demeuraient pas simplement un bouclier : ces Fils là étaient la prolongation du bras armé du woran.
Rattraper le Capitaine Neiffert ne serait pas chose simple, mais manœuvrer presque un millier d’hommes prenait plus de temps : Aztai voulait jouer là-dessus.
A ses côtés, fendant la brise à dos de cheval, Waor maintenait un air fermé depuis leur départ. Son esprit semblait déjà entièrement tourné vers les batailles à venir.
Même s’il n’avait pas été très loquace lors de sa rencontre avec la garde personnelle du champion, il avait fait forte impression. Les Fils de la Flamme considéraient le frère de leur Champion presque à égalité avec lui, n’était-ce qu’il ne priait pas Meno. Malgré ce détail majeur, ils louaient tout de même sa volonté de fondre sur l’armée Noire, comme on l’appelait.
Le Lieutenant Serjin chevauchait également à hauteur du félin. Menant personnellement les hommes de son Seigneur au combat, Aztai se dit qu’il n’aurait pu trouver meilleur officier pour cette tâche. Le faisant profiter son expérience d’officier, le félin apprendrait vite à mener des hommes. Et avec le temps, la confiance que portait Aztai envers son lieutenant deviendrait inébranlable, grâce au sang versé de leurs ennemis. Avec un tel escrimeur pour protéger ses arrières, l’escorte du félin promettait des miracles.
La magicienne Aglaë était resté sur place, mais avait promis au félin de le rejoindre. La vieille femme désirait « mettre au point certaine chose », mais s’était gardée de dévoiler les détails. Souhaitant bonne chance au woran, elle avait prié Meno pour la première fois devant lui, un exploit. Aglaë demeurerait encore pour un moment un mystérieux personnage aux yeux du félin.
Enfin, un « invité » s’était joint au cortège. Attendant patiemment son Seigneur aux portes de Kendra Kâr, Octave semblait avoir attendu le dernier moment pour se joindre au voyage. Selon ses dires, l’Archiprêtre Moerio n’aurait jamais accédé à une telle requête car Octave était un être… spécial. Mais Aztai comprenait le confinement subit par le jeune homme, qui n’avait quitté la ville qu’une seule fois de sa vie. De plus, il restait la seule personne ayant carrément juré allégeance au champion. Face à ces arguments de poids, Aztai n’était pas réticent à emmener Octave avec lui, et au diable la réaction des diacres. A ce moment là, la faera du woran neige s’était manifestée : « Fais de lui ton écuyer ». Si l’idée restait pour le moins spontanée, elle avait de suite séduit le jeune homme dès sa formulation par le fauve. Le Lieutenant Serjin avait abondé en ce sens, justifiant qu’un écuyer était fort utile dans un camp militaire.
Tous les partis d’accord, on n’avait pas trainé pour trouver une monture au garçon. Bombardé écuyer du Champion, Octave rayonnait. Un soldat était tout de même resté en arrière pour alerter le temple de ce virement de situation.
-Nous devrions rejoindre Neiffert d’ici deux nuits ! Cria Serjin à son seigneur. Lorsque nous contournerons les Duchés par l’Ouest, nous prendrons la direction d’Oranan, vers l’arrière de nos lignes !
Aztai acquiesça pour signaler qu’il avait capté et talonna sa monture. Si le félin n’était pas un amateur des voyages à dos de cheval, il devait admettre que le temps manquait pour faire la fine gueule. D’autant plus que les humains auraient eut peine à suivre sa propre cadence. Comme promis, Serjin avait trouvé une bête assez puissante pour supporter le poids du fauve pendant cette chevauchée.
Le champion et son lieutenant était tombé d’accord pour minimiser les arrêts. Mais galoper toute la nuit et toute la journée suivante avait épuisé les chevaux, le crépuscule annonçait quelques heures de répit à la troupe.
Dans une prairie à l’écart des routes principales, l’escorte avait instauré une garde et les quelques tentes poussèrent en un rien de temps. L’une d’entre elle, plus grande, était destinée aux officiers et au champion. Octave, lui, s’afférait au déchargement des bagages, littéralement euphorique d’avoir quitté le temple. Il s’était de suite proposé pour descendre le sac et l’armure de son champion, prenant son rôle d’écuyer très à cœur. Il avait même proposé à Waor ses services, mais le woran l’avait repoussé d’un grognement fier et peu avenant.
C’est ainsi qu’à la tombée de la nuit, Aztai, Serjin et Waor était penchés sur une carte de Nirtim.
Concentré sur la partie Ouest du continent, le Lieutenant expliquait aux deux worans les bases établies. La ligne de « front » s’étendait du Nord des Duchés jusqu’à l’océan. Quelques batailles navales avaient également au lieu au-delà de la terre, informa l’officier.
-Cet espace, expliqua-t-il, n’est en fait qu’un ensemble de villages, ceux qui composent les plaines entre Oranan et l’ancien royaume d’Omiry. Depuis des mois, des années, les Oranans repoussent les assauts des garzoks et des hommes de l’armée Noire.
Aztai savait parfaitement de quoi parlait son lieutenant, il avait vu déferler des hordes de cette vermine sur Ambervalle.
-Nous leur prêtons main forte, mais aussi Kendra Kâr. Des renforts proviennent également d’autres continents, dans la mesure du possible.
Soudain, Serjin prit un ton on ne peut plus sérieux :
-Je ne vais pas vous mentir, Seigneur. Ce conflit interminable n’est qu’un ensemble d’escarmouches pour conquérir les villages. Si beaucoup ont été désertés par la population locale, ils restent des points stratégiques du conflit : des voies commerciales, des refuges pour les garnisons. Avec le temps certains de ces villages sont devenus de véritables petites forteresses. C’est une guerre de possession, Seigneur, il faut des mois d’efforts pour s’emparer d’une place forte et autant plus pour tenir nos positions. Sans parler de l’intendance qui est indispensable pour mener nos hommes à bien, les éclaireurs mènent un rôle essentiel. Les convois de ravitaillement deviennent des cibles prioritaires, tout est bon pour affaiblir l’ennemi.
Aztai et Waor étaient pendus aux lèvres de l’officier, acquiesçant simultanément. Le fauve pressentait l’expérience derrière ses mots, une vie au cœur de la guerre forgeait un être au point qu’il ne ressente aucune peur, c’était le cas avec Serjin.
-Il y a autre chose, ajouta le lieutenant d’un ton plus sombre. Il s’appuya sur le bord de la table de camp, jetant un regard noir à la carte de guerre. Les soudards de l’armée Noire ne sont pas encombrés d’une broutille qu’on appelle conscience… en plus des habituels pillages, ils se livrent de plus en plus à des atrocités sur les prisonniers, civils et militaires. Beaucoup sont emmenés on ne sait trop où depuis quelque mois.
-Ils sèment la terreur, c’est normal, intervint Waor pour la première fois. En se comportant ainsi, avec les villageois capturés par exemple, ils envoient un message direct pour les prochains villages : se rendre où souffrir d’avantage.
-En plus d’être déshonorant, la reddition serait une grave erreur, intervint Aztai. La mort est douce comparé aux sévices de ces bourreaux. Hélas tous le monde n’a pas cette vision des choses. Ou du moins le courage de se livrer ainsi aux enfers. Lieutenant Serjin, avons-nous des prisonniers ? Lança soudainement le woran neige.
-C’est sûr, répondit le lieutenant d’un ton fier. Je dirais plusieurs centaines depuis…
-Voilà une erreur, gronda Aztai d’un ton dur, envahit de colère. Laisser une chance à nos ennemis, c’est trahir les innocents que nous protégeons !
Serjin leva un sourcil. Si Aztai était son Seigneur, jamais ce dernier n’avait remit son avis en doute avec tant de ferveur.
-Ces prisonniers peuvent s’avérer utiles, Seigneur.
-Pas au point d’en couver des centaines. Les officiers seuls importent, s’ils ne passent pas sous le fil de nos lames.
Le lieutenant parut hésiter un instant et se jeta à l’eau :
-Faire des prisonniers, c’est encore ce qui nous différencie de leurs méthodes barbares et cruelles. Par cet acte nous restons humains, tenta-t-il d’argumenter.
-C’est donc leur donner une chance, rétorqua implacablement le félin, appuyé d’un hochement de tête de Waor. Qu’il y a-t-il d’humain à laisser vivre ces monstres ? Et puis… nous ne sommes pas humain, Lieutenant, ajouta-t-il d’un rire jaune.
Lui et Waor n’avaient que trop vu la haine émerger des chiens d’Oaxaca : en matière de pitié, les deux frères et l’armée Noire comptaient en commun uniquement cet aspect.
-De quelles atrocités parliez-vous Lieutenant ? Que font subir les soudards aux villageois encore vivants ?
Surpris, l’officier hésita un instant. Sur le point de répondre, il se retint et invita les deux worans à s’assoir. A cet instant, Aztai comprit d’avance l’ampleur de ce que Serjin allait lui raconter. Prenant appui sur les accoudoirs de son fauteuil de fortune, l’officier braqua son regard dans celui du Champion. Waor avait préféré rester debout, campé à côté de son frère.
-Pas longtemps avant que je ne devienne votre lieutenant, j’étais, vous le savez, Commandeur des Croisés de Feu.
Le woran neige approuva d’un grondement.
-L’une des missions confiée par l’Archiprêtre demandait la présence de tous les Croisés, autant dire un corps d’élite des plus impressionnants. Moi et mes guerriers étions censés infiltrer le village d’Angle-Bas, afin d’effectuer… hé bien un peu le même travail que vous Seigneur : éliminer une poignée d’officiers, décisifs dans la prise de décisions tactiques. Au pied des montagnes, Angle-Bas ne comptait pas beaucoup d’habitant. Sa garnison était au strict minimum lorsque les hordes Noires ont déferlées. En quelques heures, la défense fut mise en déroute et le village fut aux mains de l’ennemi.
Serjin fit une pause avant de reprendre.
-Moi et me gars sommes arrivés après la bataille, nous n’avons pas pu appliquer notre plan : s’infiltrer dans le village avant l’arrivée des troupes.
Waor fronça les sourcils.
-Nous savions qu’Angle-bas tomberait sous peu, reprit Serjin, fataliste. Nous cachant avant leur venue, les officiers auraient été à porter de main, insouciant du danger déjà tapis parmi leurs troupes. Malheureusement nous avons été contraints de nous terrer dans les montagnes. A cette altitude, le climat est docile et les grottes ne manquent pas. Plusieurs semaines durant nous avons observé le comportement de nos ennemis, qui soit dit en passant, avait quasiment triplé l’effectif du village… en soldats ! La discrétion était de mise et nous avons glané des informations essentielles : Angle-Bas était devenue une plaque tournante, les villageois s’échinant comme des esclaves pour les forces Noires. Il y avait des exécutions tous les jours, instillant la peur et l’effroi chez les habitants. A l’entrée du village pourrissait sur un poteau le cadavre du baron qui avait vainement contenu l’assaut. Il est resté accroché des semaines, au bonheur des corbeaux…
Serjin marqua une pause, tendu d'évoquer ces souvenirs.
Comme il ne restait pas assez de prisonniers pour abattre le travail requis, les soldats se sont alors mit à la tâche. C’est là que nous avons compris ce qui faisait d’Angle-Bas un point étonnement stratégique de l’ennemi : une galerie découverte au pied de la montagne, non loin de notre propre campement, niché dans la roche. Une mine de ressources qui justifiait la présence d’autant d’hommes en si peu de temps. Nous avions remarqué chaque jours des convois interminables de vivres aller et venir sur les principales routes environnantes. Nous remarquâmes que des prisonniers accompagnaient les diligences… sur les jours précédents notre attaque, il n’y avait d’ailleurs plus que des prisonniers. Une seule question me hantait : comment tenir notre objectif dans de telles conditions ?
Aztai profita de cet instant pour assimiler cette vérité : la cruauté et l’immoralité de leurs ennemis. Comment Serjin auraient pu attaquer avec cents hommes dans des conditions pareilles ? Comme s’il avait deviné les pensées de son Seigneur, le lieutenant répondit avec un sourire :
-Oh nous avions trouvez une idée, rassurez-vous ! Une idée presque sans faille, mais pas moins dangereuse. Nous prévoyions de nous lancer à l’aube, nous étions prêts, Seigneur ! Nous n’allions pas beaucoup dormir cette nuit là…
Il se détourna légèrement.
-Nous n’en avons pas eut l’occasion en vérité.
Serjin eut un soupir résigné, accablé. Aztai pressentait le pire mais refusait de ne pas écouter. Sa colère s’éveillait de nouveau rien qu’à entendre parler de ces monstres.
-La nuit qui a précédée l’attaque, tout est allé de travers. Depuis nos positions, nous n’avons été les témoins impuissants d’un spectacle affreux. A la lueur des incendies, en une seule nuit, tous les prisonniers ont été exécutés. Hommes comme femmes, vieux comme jeunes, Angle-Bas est devenu le berceau du meurtre et de la cruauté pendant ces quelques heures sombres. Profitant de la cohue, mes hommes et moi avons pu nous approcher… mais nous étions sans voix, nous ne trouvions pas les mots et demeuraient apathiques devant ce carnage. La plupart des hommes furent décapités, mais certains suppliciés furent contraints de s’agenouiller au bord des tranchés. Là, devant les regards horrifiés de leurs femmes, avec une masse d'arme, quelques colosses leur explosaient le crâne d’un seul coup puissant.
Le lieutenant parut ne pas pouvoir continuer. Il porta la main à sa ceinture, s'emparant de son outre, il but une gorgée.
-Tuer sur le champ de bataille est une chose, mais exécuter des civils de sang-froid en est une autre Ils les brulèrent ensuite, certains encore vivants… (Serjin ferma les yeux, sa voix tremblait) sacrilège. D’autre ont été exposé aux corbeaux, cloués aux murs de leur propre maison, de leur boutique. Tout cela se déroulait dans la précipitation, comme si une nuit durant, toute la haine de ce monde avait carte blanche. Les femmes, comme je le disais, ne furent pas épargnées… avant que leur corps ne repose enfin en paix, leurs hurlements couvrirent largement le tumulte provoqué.
Aztai eut un frisson, Serjin avait les yeux rivés sur la gourde, qu'il serrait à demain. Son angoisse était contagieuse.
-Par Meno, j’aurais cru impossible d’entendre de tel cris sortirent de la gorge d’un humain. Tremblantes de peur, ces pauvres femmes assistaient, souvent serrées les unes aux autres, à la fin de leurs amours et de leurs espoirs. Mes hommes se bouchaient les oreilles, les cris des femmes mirent à rude épreuve leur sens du devoir. Conscient de courir au sacrifice, la majorité d’entre eux désirait passer à l’assaut. Rester là à supporter ce spectacle manqua de me faire perdre également la raison, et je me revois la main sur le pommeau de mon arme. C’est le seul ordre qui fut contesté par mes propres hommes durant ma carrière de Commandeur : celui de se tenir à l’écart de cette boucherie. Un ouragan de cruauté venait de s’abattre et ne pouvions rien faire.
Il releva un regard emprunt de terreur et de haine:
-A la question, à quoi ressemble la fin du monde ? je connais la réponse… chaque maisons, chaque boutiques, étables, cordonnerie furent brûlées. A l’aube il n’y avait plus âme qui vive, ces montres ont même tué les chiens ! Et les envahisseurs étaient tous repartis vers le Nord-Est.
Captivé, horrifié, le woran neige n'arrivait plus à dessérer les crocs. Il semblait en être de même pour son frère.
-Il nous a fallut plusieurs heures avant de pénétrer ce charnier... le vent de mort qui soufflait sur Ambervalle avait sapé le moral de mes hommes, Meno les pardonne. Dans leur précipitation, les soudards laissèrent quelques dizaines de blessés, abandonnés à côtés des corps de leurs parents, de leurs amis. Leur hébétement était affligeant, coquilles vide d’âme et de volonté de vivre. Bien sûr, pour l’armée Noire ces pauvres rescapés ont un rôle capital : transmettre la peur et l’effroi.
Une goutte perla au front de Serjin, il couvrit son regard comme s’il désirait ne plus revoir ces images. Jamais Aztai n’aurait cru voir la faiblesse de son Lieutenant un jour.
-Je revois ce garçon, cloué au sol par une lance enfoncée dans son ventre. Le pauvre n’osait plus bouger, de peur de déloger l’arme de ses entrailles et d’accélérer sa fin. Un autre rampait, les deux jambes brisées vers le cadavre inanimé de ses enfants. Et je ne vous raconte pas ce que ses petits venaient de subir…
Le cœur prêt à exploser, Aztai serra les babines. Ces mots éveillait la magie tapis en lui, incontrôlable. Enfonçant ses griffes dans sa paume, c’est après un long silence que le woran neige brisa la glace :
-Qui peut expliquer un tel comportement ? Comment ? Alors que ce village promettait d’être important pour l’armée Noire, pourquoi un tel massacre sur un point aussi stratégique ?
-Oui, stratégique grâce à un filon de mithril, précisa Serjin. Deux jours plus tard, nous avons saisi quels étaient leur intentions par le biais de ce massacre.
Aztai leva les yeux, avide de savoir. En son fort intérieur, il sentit que Zénith laissait traîner une oreille afin d’en savoir lui aussi un peu plus.
-En tant que Croisés de Feu, expliqua Serjin, nous n’étions pas tenus informés jour pour jour des agissements de notre armée. En tant que corps d’élite, nous nous concentrions sur nos objectifs. Il s’avérait en fait que les forces d’Oranan prévoyaient une attaque massive, levant une armée pour « dégager » les flancs des Duchés. Après avoir conquis plusieurs terres sous la coupe des soudards, Angle-Bas était à portée : les oranans ne ce sont son pas reposé, trois jours plus tard ils assiégeraient le village. Ayant vent du déplacement des troupes, les officiers de l’armée Noire ont prit la décision de déserter Angle-Bas, sans oublier de laisser un message dans leur sillage. Lorsque les oranans sont arrivés, il n’y eu ni cri de guerre, ni chant ni cornes. L’odeur insupportable des brasiers et du sang monta vite aux narines des premières lignes, alors que nous y étions déjà habitués depuis plusieurs heures.
Après un silence accablant, le regard de Serjin se perdit dans le vide :
-Seigneur je n’ai plus les mots pour vous décrire le cimetière qu’est devenu Angle-bas.
Aztai se leva calmement et posa une patte sur l’épaule de son lieutenant. Il croisa un regard avec Waor, lui-même n’était pas indifférent aux supplices des prisonniers.
-Voilà pourquoi il ne faut pas leur laisser une once de pitié. Si les prisonniers que nous conservons ne sont pas, ou plus, expugnables de toutes informations bénéfiques, ils meurent c’est aussi simple que ça. Leur donner une once de pitié, c’est trahir les innocents, morts, mais surtout vivants. Au-delà de notre conscience, il en est de notre devoir. Je ne doute pas de l’importance de ces incarcérations, Lieutenant, mais leurs morts seraient également un message adressé à nos adversaires.
Il força son lieutenant à le regarder dans les yeux :
-Du moins il en sera ainsi pour nous, Lieutenant. Je ne tolère aucun prisonnier, sauf exception. Et mes hommes devront s’en tenir à ça lorsqu’ils égorgeront ces chiens.
-Rassurez-vous, Seigneur.
-je leur fait déjà confiance sur ce point, ajouta Aztai. Demain nous partirons avant l’aube et sillonnerons les plaines d’Ouest, il nous faut rejoindre Neiffert au plus vite.
Le fauve espérait ne pas tomber sur l’un de ces charniers évoqué par Serjin. Si ces horreurs alimentaient la colère du fauve, elles lui donnaient également des frissons… il s’imagina un instant aux mains de ces bourreaux, et n’eut dorénavant aucun mal à imaginer sa fin.
Il n’y avait décidément plus de temps à perdre, le woran savait qu’il fermerait encore difficilement l’œil cette nuit. La tragique histoire d’Angle-bas alimenterait pour un moment ses cauchemars…