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Hors des murs de la cité, Mydria respirait mieux. Les environs étaient encore reconnaissables, le temps relativement sec et la route assez fréquentée. Bordée des deux côtés par des champs qui, à cette époque de l'année, offraient de ravissantes taches de couleurs, la route filait en courbes douces. De temps à autre, on pouvait voir une ferme ou une grange. Mydria s'arrêta brièvement dans l'une d'entre elles pour acheter quelques provisions de voyage et fût accueillie avec méfiance mais courtoisie. Après plusieurs heures de marche durant lesquelles la fugitive se sépara de la route pavée qui menait à Bouhen pour se diriger vers le Nord-Ouest, elle se jugea assez en sécurité pour ôter son inconfortable capuchon. La jeune fille marchait d'un bon pas.
Le jour tombant, la question de comment passer la nuit se posa. Mydria n'avait encore jamais dormis dehors, en pleine nature, et si elle était indéniablement débrouillarde, son manque d'expérience se fit sentir lorsqu'elle constata, après plusieurs essais piteux, qu'elle était incapable d'allumer un feu correct.
(Bravo. Partir camper sans briquet. Du pur génie.)
Ne restait comme solution que de manger ses provisions froides et d'espérer que la nuit ne soit pas trop fraiche. Elle s'était installée à quelques mètres de la route, dans un repli du terrain qui la rendait invisible du chemin et la protégeait en partie du vent léger qui s'était levé en même temps que la lune. S'emmitouflant dans sa couverture, la jeune fille tenta de trouver le sommeil. Sans succès.
(Bienvenue dans la vraie vie, ma grande! Au fond, ce petit voyage, aussi inconfortable qu'il soit, est une bonne initiation. Personne n'embaucherait un mercenaire incapable de passer une nuit dehors. Si le trajet dure un mois et demi, j'ai le temps de m'améliorer.)
L'inaction aidant, les pensées de Mydria tournaient et retournaient dans son crâne comme des fauves en cage, formant peu à peu un fil confus de considérations de moins en moins logiques qui, sans qu'elle ne s'en rende compte, la menèrent au sommeil.
Les rayons du soleil qui filtraient entre les arbres la réveillèrent. Frissonnant dans l'air frais du matin, la jeune fille se redressa et entreprit de s'étirer consciencieusement. Elle avait mal dormi, se retournant sans cesse pour tenter de rendre sa position plus confortable et se réveillant souvent à cause de bruits qu'elle n'identifiait pas. Pourtant, c'est avec un léger sourire aux lèvres qu'elle se remit en route.
Plusieurs jours de marche se déroulèrent sans incident particulier à travers une dense forêt. Mydria se réapprovisionnait quand elle le pouvait, quelques auberges isolées ou hameaux lui fournissant les provisions (et le briquet) dont elle avait besoin. Peu à peu, ceux-ci se firent plus rares et la fugitive finit par se retrouver seule. Elle appréciait cette solitude, et le paysage sauvage l'enchantait.
Elle était parvenue, selon ses estimations, au quart de son voyage, et n'avait plus croisé personne depuis trois jours, quand elle eut la surprise de voir un petit homme assis sur une souche d'arbre au bord du chemin. A son approche, il se leva.
"Bien le bonjour, jeune homme. Navré de te prendre de ton temps, mais crois bien que je ne me permettrais pas de t’adresser la parole si ce n'était pas important. Vois-tu, mon compagnon caché dans les alentours pointe un arc sur toi en ce moment même -non, pas la peine de le chercher, tu ne le trouvera pas, je te l'assure- et ne te laissera partir qu'en échange de tous tes biens de valeur."
Il avait prononcé cette longue tirade sans respirer et d'un ton badin, comme si la conversation était parfaitement naturelle. Mydria se tendit, fouillant du regard les environs pour tenter de trouver l'archer dont parlait le petit homme – sans succès.
(M*rde! Sans cet archer, je pourrais me battre, mais là... Est-ce que je cède? Non, ils pourraient tout aussi bien me tuer après m'avoir dépouillée. Et j'ai besoin du peu que je possède!)
Constatant l'absence de réponse de Mydria, le voleur reprit:
"Allons, je me doute bien que le petit marché que je te propose n'est pas très agréable, mais je te garantis qu'il est préférable d'être pauvre et en vie que de devenir un autre de ces cadavres oubliés sur le bord d'une route. Tu es jeune, tu m'es sympathique, je ne voudrais pas que cela arrive, et tu ne le voudrais pas non plus n'est-ce pas?"
Malgré son air affable et le flot incessant de paroles qu'il déversait, le regard de l'homme était glacial.
(Il s'agit de gagner du temps pour trouver ce fichu archer. Jouer le jeu de ce type jusqu'à trouver une opportunité. )
Elle baissa les yeux, se courba un peu et tenta de se faire passer pour plus effrayée qu'elle ne l'était. Ce n'était pas très difficile, elle était déjà assez mal à l'aise.
"Non, je ne le voudrais pas", dit-elle d'une voix un peu tremblante.
"Parfait! Dans ce cas, pose ta bourse à terre et recule de dix pas."
Elle suivit les instructions, ses yeux voletant d'un côté à l'autre de la route pendant qu'elle reculait. Si elle avait vu juste... Oui! L'archer qui la maintenait en ligne de mire avait dû bouger légèrement pour la garder à la pointe de sa flèche! Il était perché dans un arbre à sa gauche, masqué par le feuillage.
(Ils sont trop loin pour que je puisse faire quoi que ce soit!) Pesta intérieurement la jeune fille.(Il faut au moins que celui qui parle se rapproche.)
Il ouvrit la bourse, et en jaugea le contenu avec un air dépité.
"C'est tout ce que tu as?" Lança-t-il, toute politesse envolée.
Alors Mydria afficha tous les symptômes du malaise le plus profond: elle évita son regard, se balança nerveusement d'un pied sur l'autre, et commença ostensiblement à reculer.
"O-Oui..." Bredouilla-t-elle.
Le bandit plissa les yeux, méfiant.
"Tu ne serais pas en train de me mentir, par hasard?"
"Non! Je n'ai plus rien, je vous le jure!" La note de panique qui perçait dans sa voix n'était pas tout à fait fausse.
Le voleur s'approcha, toujours pas convaincu.
"Eh bien si tu es si sûr de toi, tu ne verra pas d'objection à ce que je procède à une rapide fouille, n'est ce pas?
La jeune fille ne répondit pas, concentrée à l'extrême pour saisir l'instant qui lui permettrait d'agir. Alors que le bandit avançait vers elle, Mydria fit un bond de côté afin de tirer son arme tout s'arrangeant pour que le petit homme soit entre l'archer et elle.
(Un problème de moins!)
Son adversaire, cependant, était visiblement habitué à ce genre de coups fourrés. Il tira une longue dague et, sans laisser le temps de souffler à la jeune fille, tenta de lui porter un coup de la pointe de son arme au niveau de l'abdomen. Elle parvint parer avec son poignard, mais la violence du coup le lui fit lâcher. Elle fit précipitamment quelques pas en arrière tandis que le brigand se remettait en garde et se préparait à frapper de nouveau.
(Un petit miracle? Non? Aie, que faire, que faire?)
Mydria arma son poing, ce qui n'échappa pas à l'assaillant. Il resta assez proche pour la frapper avec son arme, mais à une distance suffisante pour qu'elle n'ait pas suffisamment d'allonge pour le frapper du poing.
(Idiot!)
Violemment, elle projeta son pied dans le bas ventre du voleur, qui lâcha un son étouffé et se plia en deux. Sans lui laisser le temps de se redresser, elle se faufila derrière lui pour...
Une flèche empennée de vert se ficha dans le sol à ses pieds. Priant pour que l'archer ne tire pas de nouvelle flèche trop vite, elle passa son bras autour de la gorge du plus petit qui était maintenant dos à elle, et le força à pivoter pour s'en servir comme bouclier humain. Il tenta maladroitement de la poignarder à l'aide de son arme qu'il tenait encore, mais dans cette position il fut facile à Mydria de le désarmer.
S'ensuivit un curieux moment d'inactivité. Après quelques secondes passées à se débattre, le manque d'air eut raison des forces du brigand que la jeune fille maintenait. L'archer, probablement désireux de ne pas blesser son allié, ne tirait pas. Mydria relâcha légèrement la pression qu'elle exerçait sur la gorge du malfrat, tout en le maintenant fermement, et prit la parole d'une voix hachée ; bien que bref, l'affrontement avait été assez intense pour qu'elle en perde le souffle.
"Je suis prêt à négocier," lanca-t-elle."Mais d'abord, que celui qui se cache dans l'arbre se montre."
Un homme grand et excessivement mince sauta souplement d'une branche, l'arc à la main. Celui qu'elle maintenait intervint:
"Nous sommes entre gens de bonne compagnie, inutile de s’énerver. Nous avons perdu, c'est de bonne guerre... "
Mydria l'ignora et s'adressa à son compagnon.
"Pose ton arc à distance".
Une fois qu'il se fut exécuté, elle reprit:
"Je vais vous laisser partir, mais je récupère ma bourse. Et les vôtres. Si j'ai l'impression que vous faites quoi que ce soit de louche, je vous tue."
Prudemment, elle lâcha le voleur qu'elle maintenait. Leurs regards se croisèrent et elle vit bien qu'il délibérait en lui mème pour savoir s'il devait tenter une attaque. Mydria recula d'un pas et, sans lui tourner le dos, ramassa son arme d'un mouvement délibérément lent. Cela suffit à mettre fin à ses velléités de révolte. Il rejoignit son compagnon et posa à terre la bourse de la jeune fille accompagnée d'une autre.
"Sur ce, si tu nous le permet, nous prenons congé."
Les deux hommes reculèrent et, quand ils furent à assez bonne distance, se retournèrent et partirent dans la direction dont provenait Mydria.
Celle-ci resta quelques minutes debout au milieu de la route, l'arme à la main, laissant l'adrénaline et le stress redescendre. Une fois calmée, elle récupéra son argent et celui des voleurs, qui n'étaient visiblement pas bien riches.
(J'ai eu de la chance de tomber sur de très mauvais bandits...)
Mydria redoubla de prudence durant le reste de son voyage. La route montait et l'air fraichissait, rendant les nuits d'autant plus inconfortables qu'elle répugnait à faire du feu et à afficher sa position dans des terres qu'elle devinait peu sures. Le matin, une brume épaisse persistait pendant une bonne heure après l'aube, donnant aux bois un aspect fantomatique.
Sa méfiance lui fut salutaire ; elle parvint à éviter un groupe de gobelins nomades, mais perdit une journée de voyage tapie dans les rochers à attendre qu'ils daignent lever le camp. Plus elle avançait, plus elle souhaitait arriver. Les joies de la découverte avaient cédé la place à une grande lassitude, et la jeune fille rêvait d'un bain chaud, d'un bon repas et d'un lit confortable. La monotonie du voyage fut rompue par un torrent qu'il fallait traverser pour poursuivre. Même si Mydria ne savait pas nager, l'eau ne montait guère plus haut que sa taille et la jeune fille put passer sans souci ; en revanche, elle était glaciale. Marcher dans ses habits mouillés fit prendre froid à la fugitive. Ce n'était qu'un simple rhume, mais il augmenta grandement son exaspération. La route redescendit ensuite à travers un paysage de forêt que Mydria ne regardait même plus tant elle en était lasse.
La fin du voyage fut tranquille. La forêt céda la place à une plaine, et des signes d'occupation humaine recommencèrent à parsemer les alentours ; pour le plus grand bonheur de la jeune fille qui commençait à manquer de provisions. Enfin, elle parvint aux portes d'Oranan.
(((Vers les portes d'Oranan)))
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