Eau calmeLe marais s'estompe petit à petit pour laisser place à une zone plus rocailleuse et boisée. Daemon s'engage sur une petite rivière sortant de la foret. Le niveau de l'eau semble bas, la berge est bordée de pierres vaseuses. Par moment le courant ralentit sa progression, la plate essuie plusieurs collisions avec les roches qui parsèment le lit.
Une petite cascade indique la fin des manœuvres. Il réveille le nain assoupit pour lui indiquer qu'ils vont à présent devoir marcher. La forêt se compose d'un subtil mélange d'essences, les conifères épousent les feuillus, un tapis de fougère dissimule le sol. Fougères qui semblent sérieusement agacer Korben. Hautes et abondantes, elles forment une jungle à sa dimension. Cela amuse beaucoup Daemon qui l'observe jouer de la hache pour se frayer un chemin. Korben ne bronche pas, mais il est évident que ses blessures l'indispose. A plusieurs reprises, Daemon tente d’aborder le sujet, mais ne récolte que des noms d'oiseaux.
Après une longue marche ils arrivent enfin sur une route. Un chemin de terre et de caillasses serpente entre la végétation, il ne semble pas vraiment fréquenté. Daemon est à son aise, chaque forêt dégage une atmosphère caractéristique, mais celle ci est particulière : il s'agit de sa terre natale.
Plus loin, la route contourne une colline qu'ils gravissent afin de obtenir une vue dégagée. La pente est glissante, Daemon manque de riper et glisser sur l'herbe grasse. A chaque pas la cime des arbres se distingue un peu plus, pour enfin dévoiler un océan de verdure surplombé par les imposantes et ancestrales montagnes Thorkines. La beauté du paysage les laisse pantois... Au contraire du semi-elfe appréciant sa terre natale, le nain s’angoisse dans se dédale de troncs. La vision de sa patrie l'emplit à présent d'un sentiment réciproque. Avec un petit sourire Daemon constate son enthousiasme.
« Korben ? »
« Oui ? »
« Puis je vous demander une faveur ? »
Daemon baisse les yeux en trahissant une petite gène et tripote ses doigts nerveusement. De son coté, le nain ne lâche pas ses précieuses montagnes des yeux.
« Pouvons nous faire un détour vers mon village natal ? Il est à quelques heures de marche. »
« Hey ! Ce n'était pas dans le contrat ! »
Et voilà le moustachu qui s'indigne, Daemon présentait la réponse négative, mais le désir de revoir son village l'assaille.
« Le revoir, juste une dernière fois... Cette quête sera sûrement la dernière... Aussi, nous pourrons y passer la nuit, ou bien... préférez vous dormir à la belle étoile au cœur de cette foret ? »
Korben change directement d'attitude au son de ce dernier mot.
« Dormir dans la foret à cette heure !? Quelle horreur ! Allons y elfe de malheur. »
« Semi-elfe ! »
Précise Daemon en levant le doigt, avant de dévaler la pente avec entrain. Son visage s'illumine de gaieté, embellit par les rayons traversant les feuillages. Après tant d'années, il rentre enfin chez lui. Du moins, ce qu'il en reste... Les souvenirs de cette triste nuit lui reviennent en mémoire... Dissimulé sous le planché, les cris d'agonies, les pas calmes suivant le tumulte, le bruit des gouttes, les gouttes du même sang que le sien...
« Qu'est ce que tu fais planté là !? »
Daemon s'était arrêté le regard tremblant et perdu dans le vide.
« R... Rien, j'arrive. »
Arrivé à un croisement, les compères s'engagent sur un petit chemin plus sauvage encore. A plusieurs reprises le nain doute de la présence du sentier, car il s'estompe au profit des fougères. Mais Daemon reste confiant, cette terre est la sienne ! Le paysage s'escarpe, des roches nues s'approprient les lieux et enfin s'annonce devant eux un petit plateau. Des falaises abruptes s'élèvent et laissent deviner une foret similaire à son sommet.
Daemon conduit le nain au pied des falaises. Deux statues humanoïdes et monstrueuses sont accroupies sur des rochers délimitant la fin du chemin. Les créatures dégainent une dentition aiguisée et des griffes menaçantes. L'une d'elle tire la langue de manière désinvolte et inquiétante. Un détail frappe Daemon, il ne se souvient pas du troisième œil situé au centre de leurs fronts... La découverte amuse beaucoup le nain, qui les affuble de noms outrageux. Entre les deux monstres de pierres, un escalier serpente jusqu'au sommet.
Essoufflés après avoir franchit la dernière marche, ils arrivent nez à nez avec une porte massive. De chaque cotés s'étend une imposante muraille de rondins marquées par le temps. La plate forme est relativement étroite et promet une chute vertigineuse. Le semi-elfe pousse un battant sans succès... Le nain prend donc le relais et le rabaisse au passage. Après un premier essai, il constate que la tache n'est pas aisée. Il insiste. Insiste... Le voici rouge à s’exciter contre la porte.
Daemon prend du recul et constate une béance dans la muraille, le soucis est la petite corniche y menant. Après plusieurs hésitations, il s'y engage tandis que le nain entame la porte avec sa hache. L'envi de passer cette fichue entrée lui donne des ailes. C'est qu'il risque d'en avoir besoin en cas d'échec.
(Ne pas regarder en bas...)
Évidement, il regarde en bas. La parois raide se perd dans la foret épineuse, la hauteur est vertigineuse, il distingue même des rapaces en vol. Ventousé sur la muraille, il avance à tâtons en cherchant des prises du bout des doigts. Une fois les bras fixés, il déplace doucement, doucement ses pieds latéralement.
« Tombe pas hein !? »
Il ne prend pas la peine de lui répondre, le corps raide, dos au mur et l'esprit concentré. Le trou est à un petit mètre, mais la corniche rétrécit.
Il réalise que la roche s’effrite et commence à s'affaisser... Un éclair de terreur le frappe. Il pivote et élance son bras à travers la brèche tandis que le sol se dérobe sous ses pieds ! Il pendouille misérablement à la recherche d'appuis.
Le nain hypnotisé, assiste à la scène en silence.
Daemon arrive au bout de ses forces, il perd petit à petit sa prise, descendant inexorablement vers l'abîme... Une peur inextricable l'envahit, son thorax implose et ses pensés illisibles se déchaînent. Alors qu'il s’apprête à lâcher prise, une main sortie du trou le saisit et le tracte avec force hors du vide.
« Toujours à grimper où il ne faut pas... Mon petit Daemon. »
Daemon tombe au sol, les membres tremblent, incapables soutenir son poids. Quelqu'un vient de lui sauver la vie et connait son prénom. Son égarement sature quand l'individu l'enlace avec tendresse. Une chevelure abondante recouvre son visage, mais une senteur stimule un pan oublié de sa mémoire... Il se souvient, cette odeur, ses cheveux bruns grisonnants.
« Olwë... »
L'effroi s'évapore pour introduire un intense sentiment de surprise et de bonheur. Il se figurait depuis tant d'années déjà être le seul rescapé de son Clan. Les larmes aux yeux, il s'abandonne dans ses bras.
« Vous allez m'ouvrir un jour !? »
Korben commence à s'impatienter dehors, Olwë sèche les larmes de Daemon et retire la planche qui entrave les grandes portes.
« C'est pas trop tôt ! Qui êtes-vous ? La maman du pleurnichard ? »
Aucunement outrée, la semi-shaakt s'amuse du comportement de Korben pour lui répondre :
« Olwë, la grande tante du pleurnichard. Enchanter. »
« De même madame. » Répond le nain en mimant une révérence.
Daemon se perd dans la contemplation de sa parente, vivant un rêve éveillé. La semi-elfe arbore une magnifique tunique violette aux broderies blanches. Fine et élancée, sa peau est grisonnante à l'inverse de Daemon, leur ressemblance réside dans leurs iris pourpres.
« Venez, ne perdons pas de temps, allons nous installer. Nous avons tant de choses à nous dire. »
Ils entrent ainsi dans le village composé d'une vingtaine de masures en bois. Les toits peu communs sont en pierre mauve. Des buissons poussent partout comme des mauvaises herbes, les plantes grimpante couvrent des maisons entières. La végétation semble s'être installée dans les moindre recoins. Un village fantôme et sublime les accueille. Un détail amuse Korben, il semble qu'Olwë a installé un potager au milieu de la rue. Il lui demande où elle loge, elle indique le temple situé en retrait du village.
Le plateau n'est pas très large, une fois les maisons dépassées, le temple s'affiche comme dans ses souvenirs. Construit de matériaux similaires, il se distingue par sa taille démesurée et la richesse de ses ornements, l'entrée est gardée par deux statues identiques à celles des marches. Derrière se dessine les sommets Thorkins enneigés
Olwë les introduit aimablement dans le hall principal, une grande salle où s'alignent des piliers soutenant un haut plafond. Des tapis s'additionnent sur le sol, mais aucune effigie religieuse n'est présente.
« Je vais vous servir un thé. »
Elle s'éloigne tandis que Korben inspecte la pièce et visite le temple en détails. Un déluge de souvenirs assaille Daemon, qui redécouvre les lieux avec un air ébêté.
« Voici ton thé mon petit ! »
Elle s’émut et l’étreint à nouveau.
« Vous avez de la bière ? Et de la viande ? » réclame Korben de retour.
« Navré maître nain, je n'ai que des plantes et des infusions à vous offrir. Mais fouillez dans la cuisine, derrière vous. »
Le trapu grogne et marmonne avant de s'éclipser. Daemon goûte le thé brûlant et s'assit sur les tapis.
« Je croyais être le dernier tante Olwë... Je croyais... »
Elle s'assied face à lui.
« Tout comme moi. La découverte de cette... du massacre de notre Clan m'a plongé dans la plus grande des solitude. Cette ville, notre famille... » Elle s'arrête, déversant de tristes larmes de bonheur en contemplant son neveu. « Tes parents sont enterrés derrière le temple, face aux montagnes. »
« Je vois, merci... Mais tante, comment as-tu survécu ? »
Olwë s’embrume et pose sa tasse. Rassembler ses souvenirs semble la décontenancer, après un petit temps elle raconte :
« Tu étais jeune et pas au fait de tout ce qu'il se passait. Plusieurs mois avant cette tragédie, Shiva fut enlevée, plongeant le clan dans une période trouble. Sans notre matriarche nous perdions tout repaire, la peur s'installait... »
Shiva, la fondatrice du Clan était une shaakt de pure sang et de noble lignée. Exilée de sa patrie natale, Caix Imoros, afin d'échapper à une coalition de maisons rivales. Elle rencontra un homme de ces contrés. De cet amour naquirent plusieurs enfants, au fil des générations le Clan prit forme.
« La communauté m'envoya à sa recherche dans les villages voisins. Sans succès... Après une absence de plusieurs jours, je retrouvais notre village décimée... »
Daemon comprend, il a fuit ses lieux une fois le drame achevé. S'il avait attendu quelques jours... Il expose ensuite son histoire, le vagabondage dans les campagnes, son travail de docker à Dahràm, les embrouilles avec les pirates suivit de la fuite par dessous les murailles et son aventure naissante : la recherche du gantelet d'Obscurité. Ils conversèrent longtemps et sans interruption, pour enfin s'endormir à même le sol sous les reflets de la lune.
Le lendemain matin le soleil pénètre la pièces aux innombrables tapis. Korben réveille Daemon à grand coup de pompes, lui indiquant qu'il souhaite reprendre la route.
« Patiente encore un peu Korben... Je dois profiter encore un peu de mon village. »
Comme d'habitude le nain grogne et s'éloigne. Sa grande tante n'est plus là. Il doute un instant mais oui, il est chez lui. Il se frotte les yeux et se lève pour sortir. Le ciel semble maussade, alors que le soleil s'étire timidement de l'est, il s'agenouille longtemps au bord de la falaise, devant les tombes rudimentaires de ses proches. La forêt au-dessous n'est pas visible, un épais brouillard l'enveloppe transformant le petit plateau en île nébuleuse.
Ce petit village isolé et autarcique l'a vu naître et grandir. Dans ce temple il passait des journées entières avec sa mère à maîtriser les fluides d'Ombre. Ici même au bord du précipice, les éclats de rire ponctuaient les battements du fer lors des sessions d’entraînement avec son défunt père. L’écho de sa mémoire s'estompe doucement, pour ne léguer que ce présent fait de silence et de poussière.
De retour sur les tapis, il voit Olwë et plusieurs plats disposés à même le sol.
« Tante Olwë, je vais devoir... »
« Oui je sais Daemon. » Répond elle sans le laisser finir, elle attrape ses mains et poursuit. « Tu vas reprendre ta route. Tu es jeune, tu dois tracer ton chemin et non vivre en ermite avec moi, accroché à son passé et à cette inextricable douleur. Libère nous, venge nous au nom de Phaïtos et Thimoros ! »
Tandis que ses mains étreignent les siennes, la haine se distingue au fond de ses pupilles. Olwë semble hantée par ce même désir de vengeance... Partir est difficile, il mange le ventre noué et observe sa semblable.
« Daemon... Quand tu auras acquis assez de force, quand enfin tu seras puissant, reviens ici. »
« Oui, je reviendrai ! » répond-il avec conviction.
(Le gantelet m'apportera cette puissance nécessaire.)
Elle se détourne et indique le centre de la pièce.
« Sous ces tapis se terre le secret de notre famille, la Vérité. Seul les puissants peuvent se targuer de la contempler. Cet héritage te permettra de venger notre famille. »
Son air est grave et solennel. Bien que piqué par la curiosité, Daemon n'ose demander des détails sur cette « Vérité ». Mais cela accompagne son but, quérir cette force lui permettra d'imposer la justice.
Daemon empoigne son baluchon et se lève, il embrasse Olwë sur le front avant de déclarer en guise d'au revoir :
« Je reviendrai ! »
Cité secrète.