Je sens le regard de ce mâle blond sur nous, et plus le temps passe, plus il m'irrite. Il se tient fièrement, trop à mon goût. Je ne sais pas quand il a pris les armes et ce qu'il a pu vivre, mais je m'en contrefous royalement. Sa trogne n'est pas marquée de blessures, il est suivi par des crétins volants sans doute aussi peu aptes à réfléchir que ceux qui constituaient la troupe de Dae'ron. Je suis certain qu'il n'a jamais eu à subir l'enfermement et la solitude, qu'il n'a jamais eu à lutter seul contre la maladie et les humiliations. Non, il parait trop propre pour cela, presque comme Dae'ron. Sauf que j'ai déjà trop enduré et changé à cause du Protecteur. Je ne vais pas refaire la même erreur en laissant un autre mâle m'approcher, que ce soit moralement ou physiquement parlant.
Il finit par se faire entendre, certain d'être en sécurité à cause du cercle des autres combattants au-dessus de nous. Il évoque une reine Caliopé, mot qui sonne faux à mes spirales, comme la quasi-totalité des noms de femelles. Il serait plus simple de la qualifier d'emmerdeuse couronnée, cela donnerait au moins le ton.
De sourcils froncés, je passe à un haussé en entendant une ineptie. Les rebelles se sont mis en action au nom du feu dans le ciel et pour retrouver... L'égalité entre mâles et femelles ? Alors là... Mais alors là, quel ramassis de conneries ! Jamais je n'accepterai qu'on me mette sur le même plan qu'une grognasse emplumée ! Et puis quoi encore ! Après tout ce que j'ai enduré par leur faute, il faudrait que j'ai davantage de considération pour elles qu'une trace de boue sur ma botte ? Ha ! Si cette blague n'était pas aussi ridicule, je la trouverais presque drôle ! Ce Jorhan s'est laissé monter la tête, oui ! Par une femelle sans doute, qui n'a aucune envie d'instaurer ce retour à l'égalité, mais qui veut évincer celle qui occupe le trône. Et comme aucune femelle n'est foutue de se débrouiller seule, elle a du droguer des consoeurs et se présenter en libératrice des mâles emprisonnés ! Je ne vois que ça !
Irrité, j'ai du mal à ne pas considérer le regard qu'il porte à mes ailes autrement que négativement. Scrute-les donc, mes plumes sombres, et tu en recevras une entre les deux yeux, je te le jure ! Tous les volants ont des couleurs sur leurs plumes, mais aucun d'entre eux n'a du en passer par ce que j'ai vécu pour les obtenir. Un effet esthétique qui m'énerve encore un peu plus.
Et pour finir, le mâle me défie en combat aérien sans arme ni magie si je compte rencontrer leur supérieur. Pas le temps de répliquer que Dae'ron s'adresse à moi, m'expliquant qu'il s'agit d'un art martial particulier, basé sur la mobilité et la vitesse, destiné à retirer celles de l'adversaire. Encore une fois, on m'oblige à faire quelque chose qui m'énerve. Tout ça parce que les humains sont infoutus de régler leur problème... Tout est lié à cette saloperie de grosse moche inatteignable tant que la situation perdure... Encore une fois, encore et toujours quelque chose se dresse en travers de ma route. J'en ai ras-les-ailes, vraiment.
Un souffle amusé. Un haussement d'épaule régulier. Puis je laisse passer un rire froid et d'une amertume non dissimulée.
"
Digne de la couleur.", fais-je avant de stopper net mon ricanement et de grimacer. "
Digne... Que crois-tu savoir de moi, mâle ? Je n'ai rien à prouver. À te prouver. Je sais ce que je vaux."
Dans mon dos, je sens Dae'ron tendu, semblant se résoudre à ce que je déclenche un affrontement malgré le nombre. Et je n'en suis pas loin. Je l'aurais fait... Avant. Avant de le connaître et de l'apprécier. Avant d'avoir conscience qu'il risque d'être entraîné dans des situations qui ne le concernent pas.
J'étends mes ailes, lorgnant dessus un instant. Mes plumes sont si noires qu'elles absorbent toute lumière, elles. Comme un gouffre, une porte vers le néant. Après tout ce que j'ai enduré et que je subis encore, pas question de laisser un freluquet se montrer condescendant envers moi. Il peut aussi toujours voleter pour que je le respecte celui-là.
"
Mais soit, si tu ne te sens légitime qu'en défiant des étrangers devant tous tes larbins, allons-y, mâle."
Je me tourne légèrement vers le Protecteur et lui confie mon arbalète. Je décolle, m'arrachant au contact du brun. Hésitation, demi-tour, j'empoigne sa nuque, m'approche pour le regarder droit dans les yeux, et faire en sorte qu'il soit seul à entendre.
"
Reste auprès de Lyïl. Si quelque chose tourne mal, comme d'habitude, fais éclater ta lumière et fiche le camp.", lui ordonné-je avant de couper court à l'échange. "
Objection rejetée."
Sans plus lui prêter attention, je prends de la hauteur, venant me placer face à face avec mon opposant. Plus je le fixe, plus son apparence de mâle non-laid m'énerve. J'ajouterais bien une grosse balafre en travers de sa trogne à celui-là.
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